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Perspectives

Action collective contre les écoles privées : exclusions validées et balises pour communiquer avec les membres

Dans Bernard c. Collège Charles-Lemoyne de Longueuil, 2022 QCCS 555, la Cour confirme la validité de 24 900 demandes d’exclusion et rend un jugement de principe concernant les communications entre les défendeurs et les membres en action collective.

La cause en bref

Suivant l’autorisation d’une action collective au nom de tous les parents dont les enfants sont inscrits dans une école privée du territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal, les écoles concernées ont fait parvenir des lettres aux parents, les invitant à s’exclure du recours et expliquant leur désaccord avec l’action collective autorisée.

Au terme de la période d’exclusion – qui a fait l’objet d’une couverture médiatique importante1 – plus de 24 900 avis d’exclusion avaient été transmis par les membres du groupe.

La Cour supérieure confirme la validité de ces avis d’exclusion. Elle rend également un jugement de principe sur les règles gouvernant les communications entre les défenderesses et les membres du groupe.

Principes en matière de communication aux membres

Le juge Pierre-C. Gagnon, dans une décision de principe, rejette ainsi une demande visant notamment à invalider tous les formulaires d’exclusion reçus au greffe, interdire aux défenderesses de communiquer avec les membres et ordonner aux défenderesses de transmettre un nouvel avis. Ce jugement est significatif, car il clarifie et circonscrit dans quelle mesure les parties défenderesses peuvent communiquer avec les membres du groupe dans la procédure d’action collective.

Reconnaissant que les précédents québécois sont limités sur cette question, le juge Gagnon retient néanmoins que la jurisprudence veut qu’un défendeur dispose du droit de s’adresser aux membres, tant que le délai d’exclusion n’est pas expiré, et peut exprimer un désaccord avec le recours intenté.

Sur la base d’une analyse poussée de la jurisprudence québécoise de même qu’ontarienne, plus détaillée sur ce point, le juge Gagnon confirme que :

  • Les défendeurs à une action collective disposent de la liberté d’expression et peuvent s’adresser aux membres du groupe à toute étape du déroulement de l’instance ;
  • Cette liberté est limitée : les membres ne doivent cependant pas faire l’objet d’intimidation, de menaces, de désinformation ou de fausses représentations ;
  • La partie qui estime que les limites à cette liberté ont été dépassées doit en faire la preuve ;
  • Le tribunal, en vertu de ses larges pouvoirs discrétionnaires en matière d’action collective, peut intervenir pour imposer des correctifs dans l’intérêt des membres du groupe ;
  • Le fardeau de la demande consistait à prouver des omissions ou des actes fautifs justifiant objectivement une crainte. La Cour ne pouvait tirer d’inférence simplement sur la base du nombre d’avis d’exclusion, qui se justifie par rapport à la nature du recours et aux relations existantes entre les membres et les écoles. Personne n’a témoigné à l’audience ou dans un écrit assermenté.

Sur la base de ces principes et puisque la preuve au dossier était insuffisante pour justifier les ordonnances demandées, le juge Gagnon conclut que les défenderesses n’ont pas commis d’acte répréhensible justifiant l’annulation des avis ou une nouvelle période d’exclusion. La Cour remarque qu’il est nécessaire de prendre en compte les communications des défenderesses quant à l’impression générale qui s’en dégage.

Importance de la décision

Cette décision est significative puisqu’elle balise les règles de communication entre les membres et les défenderesses dans un contexte d’action collective. Si la jurisprudence ontarienne n’est pas avare sur cette question, peu de décisions québécoises en traitaient jusqu’à maintenant. Si la Cour d’appel a déterminé dès 2018 qu’il était possible de faire des offres de règlement avant la fin de la période d’exclusion, la décision du juge Gagnon dans le présent dossier établit clairement les principes et balises qui doivent guider les parties dans leurs communications avec les membres.

Notons que les défenderesses ne sont pas tenues à un standard d’objectivité et peuvent inciter les membres, par exemple, à s’exclure du recours proposé, tant et aussi longtemps que les limites mentionnées ci-dessus sont respectées. En l’espèce, les défenderesses ont pu partager avec les membres du groupe — avec lesquels elles partagent une relation privilégiée — leur perspective sur le recours tout en présentant la possibilité de s’en exclure.

En somme, ce jugement éclaircit un flou juridique et pourra servir à l’avenir d’appui à la mise en place de mesures alternatives de règlement de différend au stade de l’autorisation.


1 Brian Myles, « Une action collective abusive », Le Devoir, 15 novembre 2021; Yves Boisvert, « L’école comme un ginger ale », La Presse, 11 novembre 2021; Selena Ross, « Some parents sue Quebec private schools for going virtual in pandemic, appalling others » CTV News, 10 novembre 2021; Fannie Bussières McNicoll, « Des parents se dissocient d’une action collective contre les écoles privées » Radio-Canada, 12 novembre 2021.

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