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Perspectives

La Cour suprême réévalue la compétence de la Cour de l’impôt

Ce qu’il faut savoir

  • Les 23 février et 16 mars 2023, la Cour suprême du Canada (CSC) a accordé une autorisation d’appel dans deux causes majeures évaluant la compétence de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) : Canada c. Dow Chemical (Canada) ULC, 2022 CAF 70 (Dow) et Canada (Procureur général) c. Iris Technologies Inc., 2022 CAF 101 (Iris). La CSC a confirmé qu’elle entendra les appels Dow et Iris ensemble.
  • Ces appels donnent à la CSC la possibilité d’aider les contribuables et les fiscalistes à s’y retrouver dans le flou et la complexité des conflits de compétence entre la CCI et la Cour fédérale. 

Contexte

Le terme « compétence » se rapporte au pouvoir d’un tribunal de rendre des décisions sur les questions qui lui sont soumises.

Tribunal d’origine législative, la CCI tire ses pouvoirs du Parlement et de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (L.R.C. (1985), ch. T-2) (la « Loi sur la Cour de l’impôt » ou la « Loi »). La Loi stipule que la CCI a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle (aucun autre tribunal ne peut entendre le litige initial) sur les questions découlant de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)) (« LIR »), de certaines parties de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15) (« LTA ») et d’autres lois, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle. La LIR et la LTA stipulent, aux articles 169 et 302 respectivement, que les contribuables peuvent interjeter appel auprès de la CCI pour s’opposer à une cotisation. Par conséquent, la CCI a généralement compétence exclusive, en première instance, pour établir la validité de cotisations déterminées aux termes de la LIR ou de la LTA.

Par contre, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, aux termes de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7), pour examiner et offrir des recours à l’égard de décisions discrétionnaires du ministre du Revenu national (le « ministre »).

L’objet de la question était de clarifier la portée des actions et décisions du ministre et de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») énoncées dans une cotisation, et d’établir la validité de la cotisation même. Le flou entourant le tribunal compétent suscite constamment des conflits dans les litiges en matière de fiscalité portés devant les deux tribunaux, ce qui motive souvent les contribuables à protéger leurs droits en portant leurs litiges devant les deux instances1.

Questions soumises à la CSC

Lors de l’audience conjointe de Dow et Iris, la CSC doit déterminer si la Cour d’appel fédérale (CAF) a eu raison de conclure :

  1. que l’examen de la décision du ministre de rejeter une demande de redressement à la baisse du prix de transfert en vertu du paragraphe 247(2) de la LIR ne relevait pas de la compétence exclusive de la CCI (Dow);
  2. que la demande auprès de la Cour fédérale, sollicitant des jugements déclaratoires portant :
    1. que le contribuable avait été privé de son droit à l’équité procédurale, lors du processus de vérification et de cotisation;
    2. qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une cotisation au titre de la LTA;
    3. que les cotisations avaient été établies dans le but illégitime de priver la Cour fédérale de sa compétence d’entendre les griefs en matière de droit administratif soulevés par le contribuable dans une demande connexe;
  3. constituait une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la LTA, ce qui est une question relevant de la compétence exclusive de la CCI (Iris).

Dow : Faits et décisions des cours inférieures

En décembre 2011, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2006 de Dow, en augmentant le revenu de cette société d’environ 307 millions de dollars, à la suite de certains redressements du prix de transfert effectués en vertu de l’article 247 de la LIR relativement à des opérations intersociétés entre Dow et une société suisse en exploitation avec laquelle Dow avait un lien de dépendance. Aux termes du paragraphe 247(10) de la LIR, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’effectuer un redressement à la baisse de la valeur d’une opération avec lien de dépendance (ce qui réduit la cotisation du contribuable). Le ministre a rejeté la demande d’application d’un redressement compensatoire à la baisse du prix de transfert concernant les frais d’intérêts déboursés à l’égard de l’emprunt souscrit pour les années d’imposition, ce qui aurait réduit le revenu annuel imposable de Dow.

Dow a interjeté appel contre la cotisation devant la CCI. Avant l’audience de l’appel, les parties ont soumis une question posée en application de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a. L’article 58 permet à la CCI de trancher une question de droit si aucun fait pertinent n’est contesté et s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais. Voici la question posée en application de l’article 58 :

La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève-t-elle de la compétence exclusive conférée à la Cour canadienne de l’impôt par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR?

En se fondant sur la jurisprudence relative aux questions découlant de la loi précédant la LIR (la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97) et de la Loi sur l’assurance-emploi (L.C. 1996, ch. 23), la CCI a conclu que la décision du ministre de rejeter la demande du contribuable sollicitant le redressement à la baisse du prix de transfert relève de la compétence exclusive conférée à la CCI, pourvu que la cotisation découlant de cette décision fasse l’objet d’un appel en bonne et due forme devant la CCI. La décision de la CCI s’appuyait principalement sur la conclusion que dans un tel cas, la décision du ministre doit être rendue avant que puisse être établie la cotisation concernant les impôts du contribuable et en conformité avec les principes de droit qui s’appliquent, sans quoi la cotisation en découlant sera erronée. Par conséquent, la CCI a conclu qu’en ce qui a trait à un appel sur la validité de la cotisation, il relève de la compétence de la CCI d’examiner le fondement de la décision du ministre de rejeter le redressement à la baisse.

La CAF a rejeté ces conclusions, faisant la distinction entre le procédé et la cotisation produite. Plus précisément, la CAF a jugé que la décision du ministre s’inscrit dans le procédé de cotisation, alors que la CCI n’a de compétence qu’à l’égard de la pertinence du produit issu du procédé, c’est-à-dire la cotisation même. De plus, la CCI ne peut pas offrir de réparation sous la forme d’un examen de la décision du ministre, car elle n’a le pouvoir ni d’annuler la décision ni de décerner un bref de mandamus qu’exige ce type de redressement.

Iris : Faits et décisions des cours inférieures

De la même façon que Dow, Iris a fait l’objet d’une vérification et d’une cotisation par le ministre au titre de la LTA. En réponse, Iris a déposé un avis de demande auprès de la Cour fédérale, sollicitant trois jugements déclaratoires, et a interjeté appel contre la cotisation devant la CCI. Dans sa demande auprès de la Cour fédérale, Iris sollicitait trois jugements déclaratoires portant :

qu’Iris avait été privée de son droit à l’équité procédurale, lors du processus de vérification et de cotisation (le ministre ayant dérogé aux politiques de l’ARC);

qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir une cotisation au titre de la LTA;

que les cotisations avaient été établies dans le but illégitime de priver la Cour fédérale de sa compétence d’entendre les griefs en matière de droit administratif soulevés par Iris dans une demande connexe.

Le procureur général a demandé la radiation de la demande. Le protonotaire et la Cour fédérale ont rejeté la requête du procureur général.

Le procureur général a interjeté appel des jugements de la CAF, faisant valoir que le juge n’a pas tenu compte du fait que la demande d’Iris était en réalité une contestation indirecte de la validité des cotisations, ce qui relève de la compétence exclusive de la CCI. La CAF a jugé que, dans la mesure où les motifs cités dans la demande auprès de la Cour fédérale respectent le mandat législatif du ministre aux termes de la LTA ainsi que la compétence de Cour de l’impôt et de la Cour fédérale, la demande constituait une contestation indirecte de la validité des cotisations établies au titre de la LTA. Pour le premier jugement déclaratoire sollicité, la CAF statue que les dérogations à la politique de l’ARC peuvent donner ouverture à des arguments quant aux attentes légitimes, mais elles ne peuvent invalider une décision d’établir une cotisation, ni la cotisation en tant que telle. De plus, la CCI a la compétence pour statuer sur la question, ainsi que sur la question de savoir si les cotisations ont été établies sans éléments de preuve, laquelle est l’objet du deuxième jugement déclaratoire sollicité. Pour le troisième jugement déclaratoire sollicité, la CAF statue que l’établissement d’une cotisation n’a aucun effet sur la compétence de la Cour fédérale et qu’en tout état de cause, un tel jugement déclaratoire constitue une déclaration factuelle, ce qui n’est pas un redressement approprié aux termes d’une demande auprès de la Cour fédérale.         

Quelles sont les prochaines étapes?

En attendant les orientations de la CSC sur les questions de compétence soulevées dans les affaires Dow et Iris, il est important que les contribuables choisissent judicieusement le recours d’appel approprié. Pour toute question portant sur la justesse des faits et du droit qui fondent une cotisation, sur la conduite ou les décisions du ministre ou de l’ARC, il est prudent d’interjeter appel ou d’intenter une poursuite auprès de la Cour fédérale et de la CCI.

Pour toute question sur les litiges en matière de fiscalité ou sur la compétence de la Cour de l’impôt, communiquez avec les autrices de cet article ou un autre membre de l’équipe Litige en matière de fiscalité.


1 Cas récents traitant de questions de compétence entre la Cour fédérale et la CCI : 1594418 Ontario Inc. c. Ministre du Revenu national, 2021 CF 157; Sa Majesté la Reine c. CBS Canada Holdings Co., 2020 CAF 4; Westminster Savings Credit Union c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1496.

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