une main qui tient une guitare

Perspectives

Avis aux importateurs : élargissement de l’interdiction relative au travail forcé et au travail des enfants

Après de nombreux faux départs, le Parlement canadien a adopté, le 3 mai, le projet de loi S-211 portant sur les droits de la personne et la transparence des chaînes d’approvisionnement, soit la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.On a beaucoup insisté sur les obligations qu’impose la nouvelle loi à certaines institutions fédérales et entités privées de déclarer certains faits concernant leurs chaînes d’approvisionnement. BLG a expliqué les exigences du projet de loi S-211, notamment en matière de déclarations, dans de précédents articles, y compris dans un texte exhaustif publié en avril 2023 sur la marche à suivre pour faire une déclaration (voir la liste complète des contenus connexes au bas de la présente page).

En revanche, les changements que la nouvelle loi canadienne sur la transparence des chaînes d’approvisionnement apporte en ce qui a trait à l’interdiction actuelle d’importer des marchandises produites par recours au travail forcé ont retenu beaucoup moins l’attention. À court terme, ces changements auront probablement des répercussions plus importantes pour la plupart des entreprises que les nouvelles obligations de faire rapport, car ils créeront des risques accrus sur le plan de la vérification et du contrôle d’application pour toute entreprise qui importe ou utilise dans ses chaînes d’approvisionnement des marchandises importées.

Dans ce bulletin, nous expliquons en quoi consiste l’interdiction d’importer, la nature des modifications apportées et ce que les entreprises doivent savoir pour gérer les risques accrus. Ces changements sont censés entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Toutefois, le gouvernement a publiquement indiqué qu’il pourrait retarder en partie ou en totalité l’entrée en vigueur des nouvelles exigences. Pour le moment, on ne sait pas avec certitude si le gouvernement a ou non l’intention de retarder soit l’entrée en vigueur des nouvelles obligations concernant la déclaration annuelle à produire, soit les modifications relatives à l’interdiction d’importer, ou les deux.

Interdiction canadienne d’importer des marchandises produites par recours au travail forcé

À l’issue des renégociations de l’ALENA, le Canada a adopté des mesures pour interdire l’importation de marchandises produites en tout ou en partie par le recours au travail forcé, y compris le travail forcé des enfants. Le Canada a donné effet à cette interdiction en modifiant en conséquence le Tarif des douanes.

Toutes les marchandises importées doivent être classifiées selon l’annexe du Tarif des douanes, qui est fondée sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises de l’Organisation mondiale des douanes. Au Canada, il s’agit du chapitre 98 du Tarif des douanes, qui traite des marchandises interdites. En règle générale, il incombe aux importateurs de déterminer si les marchandises qu’ils ont l’intention d’importer sont interdites. Toutefois, l’interdiction d’importation se rattache aux marchandises et elle s’applique donc indépendamment de la personne qui les possède. Pour cette raison, les distributeurs, les revendeurs et les autres intermédiaires au Canada, de même que les utilisateurs finaux, sont exposés à certains risques en raison de l’interdiction d’importer.

Jusqu’à présent, près de trois ans après l’entrée en vigueur de l’interdiction d’importer, le gouvernement a fait preuve de laxisme dans le contrôle d’application, ce qui tranche avec les mesures prises pour faire respecter des lois semblables aux États-Unis, où le service des douanes et de protection des frontières veille scrupuleusement au respect de l’interdiction générale qui frappe, en vertu de la Tariff Act of 1930, les marchandises produites par recours au travail forcé, de même que des règles particulières prévues par l’Uyghur Forced Labour Prevention Act, qui limitent l’importation de marchandises provenant de la région du Xinjiang, en Chine.

De plus, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), l’organisme fédéral chargé de faire respecter l’interdiction d’importer, n’a pas fourni d’orientations utiles sur son application. Jusqu’à présent, on s’est contenté de dire aux importateurs qu’ils devaient faire des vérifications diligentes de leur chaîne d’approvisionnement pour s’assurer que les marchandises qu’ils importent n’ont pas été produites par le recours au travail forcé. Cette situation laisse malheureusement les importateurs, les acheteurs et les utilisateurs de marchandises importées dans l’incertitude quant aux risques auxquels ils sont exposés sur le plan juridique et la meilleure façon de les atténuer.

Effets du projet de loi S-211 sur l’interdiction d’importer

La nouvelle loi élargit la portée de l’interdiction d’importer de manière à englober et à définir expressément la notion de « travail des enfants » – qu’il soit forcé ou non – et elle introduit une nouvelle définition du « travail forcé ». Ces définitions reprennent et élargissent celles que l’on trouve dans la Convention sur le travail forcé et la Convention sur les pires formes de travail des enfants adoptées par l’Organisation internationale du Travail. En plus des définitions que l’on trouve dans les conventions de l’OIT, la nouvelle loi assimile à du travail des enfants le travail ou les services fournis ou offerts par des personnes âgées de moins de 18 ans dans des circonstances qui sont contraires au droit applicable au Canada, qui nuisent à leur scolarité ou qui leur sont physiquement, socialement ou moralement dangereuses.

On peut donc considérer que la nouvelle loi a élargi le champ des activités qui constituent du travail forcé ou du travail des enfants et qui sont donc soumises à l’interdiction d’importer.  Nous estimons toutefois que son effet le plus significatif sera d’attirer davantage l’attention du public et du monde politique sur l’importation de marchandises produites par recours au travail forcé ou au travail des enfants, ce qui poussera le gouvernement à remonter dans sa liste de priorités le contrôle d’application de l’interdiction d’importer. Par ailleurs, nous nous attendons à ce que l’ASFC se serve des renseignements qui lui sont communiqués dans le cadre des rapports exigés par la nouvelle loi pour optimiser le contrôle d’application.

Pouvoirs de contrôle d’application de l’ASFC concernant l’interdiction d’importer

La Loi sur les douanes confère de vastes pouvoirs à l’ASFC pour faire respecter l’interdiction d’importer. Ces pouvoirs s’appliquent non seulement lorsque les marchandises franchissent la frontière, mais aussi après leur dédouanement et leur vente à des intermédiaires ou des utilisateurs finaux au Canada. La responsabilité et les risques liés à l’interdiction d’importer s’appliquent à tout propriétaire de marchandises importées. En pratique, cela signifie que le risque le plus important repose en fin de compte sur l’utilisateur final des marchandises importées, particulièrement lorsque l’importateur est un non-résident du Canada ou simplement un intermédiaire ou une société commerciale.

L’ASFC dispose de tous les pouvoirs voulus pour examiner et retenir des marchandises si elle soupçonne qu’elles ont été produites par recours au travail forcé, saisir des marchandises et des éléments de preuve, détruire des marchandises ou en disposer et faire exécuter une ordonnance de « confiscation compensatoire » (c.-à-d. pour obtenir le paiement d’une somme d’argent lorsque la saisie physique des marchandises n’est pas possible ou pratique). L’ASFC peut prendre des mesures coercitives à la frontière et après l’importation, une fois que les marchandises ont été vendues ou transférées à d’autres personnes au Canada. Dans le cas des mesures coercitives prises à la frontière, l’ASFC peut retenir des marchandises et enquêter à la lumière des renseignements qu’elle a recueillis à l’interne ou auprès d’autres ministères ou des renseignements qu’elle a reçus d’une autorité douanière ou d’une policière étrangère.

L’ASFC a pour le moment décidé de concrétiser ses mesures de contrôle d’application après l’importation en procédant à des vérifications de l’observation commerciale, qui sont des vérifications effectuées après importation par l’ASFC pour s’assurer que les exigences en matière d’importation ont été respectées. Cela signifie que l’ASFC peut entreprendre une vérification pour déterminer si certaines marchandises importées sont interdites parce qu’elles ont été produites par recours au travail forcé ou au travail des enfants.

Le processus de vérification comporte habituellement des questionnaires et d’autres demandes de renseignements et de documents, des inspections sur place et des entrevues en personne. Fait important, ces pouvoirs de vérification visent non seulement les importateurs de marchandises, mais également tout propriétaire des marchandises. Ce processus est assujetti à un mécanisme d’appel prévu par la loi, qui comprend des appels administratifs auprès de l’ASFC elle-même et, de là, au Tribunal canadien du commerce extérieur et, en dernier recours, à la Cour d’appel fédérale.

Les entreprises qui font l’objet d’une vérification de l’ASFC concernant le travail forcé et le travail des enfants devraient consulter sans délai un avocat.

Principaux enjeux pour les entreprises

Comment puis-je savoir si je suis exposé à un risque?

Si vous importez des marchandises ou utilisez des marchandises importées, vous courez un certain risque. Le niveau de risque, et plus particulièrement sur le plan juridique, dépend du type de marchandises que vous importez ou utilisez et de l’origine des marchandises. Il existe des enjeux évidents et bien documentés concernant les marchandises provenant de certaines régions de la Chine, de l’Asie du Sud-Est et de certaines régions de l’Afrique. Mais il y a aussi de nouveaux problèmes plus près de chez nous, notamment des rapports récents sur le recours à des travailleurs migrants d’âge mineur dans des usines de transformation et de fabrication de produits alimentaires aux États-Unis. Les entreprises devraient surveiller de près leur chaîne d’approvisionnement et leurs partenaires commerciaux afin de déterminer où et comment les marchandises sont produites, ainsi que les entités qui interviennent dans la production de ces marchandises.

Quelles sont mes obligations en ce qui concerne la rectification des déclarations en douane?

Les importateurs sont légalement tenus d’apporter des corrections aux déclarations en douane dans les 90 jours suivant la date à partir de laquelle ils ont une « raison de croire » qu’une déclaration est inexacte, notamment s’ils ont une raison de croire que les marchandises importées tombent sous le coup d’une interdiction d’importer. Les importateurs doivent constamment vérifier si leur connaissance d’un fait assujetti à déclaration est suffisante pour déclencher l’obligation de soumettre une déclaration en douane ou de la corriger. Avant de prendre cette décision, veuillez consulter un avocat.

Qu’entend-on par « diligence raisonnable »?

Bien qu’elle conseille aux importateurs de faire preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne leur chaîne d’approvisionnement, l’ASFC n’a pas fourni d’orientations utiles pour préciser ce concept ou les conditions à remplir pour respecter l’obligation de diligence raisonnable. Veuillez consulter notre article de septembre 2022 concernant certaines caractéristiques de la diligence raisonnable, car elles évoluent à l’échelle mondiale.

Envisagez dès maintenant des protections contractuelles

Les entreprises devraient envisager des moyens d’atténuer les risques associés à l’interdiction d’importer en examinant leurs relations avec leurs fournisseurs et leurs partenaires commerciaux. Dans l’éventualité d’une vérification de l’ASFC, les entreprises devront avoir accès à des renseignements qui sont en possession d’autres intervenants de leur chaîne d’approvisionnement. Elles devraient donc déterminer dès le départ qui devra assumer les pertes commerciales si ces marchandises sont retenues, retardées ou même saisies par l’ASFC. 

Communiquez avec nous

Pour vous tenir au courant des répercussions que ces changements pourraient avoir sur votre entreprise, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous ou avec l’un des membres de notre groupe Commerce international et investissements.

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