Perspectives

Une clause de non-concurrence d’une durée de 5 ans à l’échelle du Canada jugée raisonnable

Des clauses de non-concurrence sont souvent ajoutées à des ententes commerciales dans le cadre de la vente d’entreprises; elles sont cruciales pour empêcher le vendeur de faire concurrence à l’acheteur à la suite de l’opération. Cependant, même dans ce contexte, une telle clause n’est qu’exécutoire que si elle est raisonnable sur le plan de sa portée géographique, de sa durée et de l’étendue des activités qu’elle interdit. Récemment, dans l’affaire Ruel v Rebonne, 2023 ABCA 156, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé la validité d’une clause de non-concurrence s’appliquant pendant une durée de 5 ans à l’échelle Canada après la vente d’une entreprise.

Contexte

Établissons d’abord les faits : Down the Beaten Path était une entreprise de décoration intérieure qui importait des articles du Mexique pour distribution à des clients au Canada. En 2014, le demandeur a acheté l’entreprise auprès du défendeur en vertu d’une convention d’achat-vente (la « convention »). Cette dernière comprenait une clause de non-concurrence interdisant au défendeur de faire concurrence à Down the Beaten Path au Canada pendant une période de cinq ans.

Après la vente, le défendeur a lancé une entreprise appelée Mood Dekor, qui s’adonnait aux mêmes activités que Down the Beaten Path, soit l’importation d’articles de décoration intérieure du Mexique pour distribution à des clients au Canada. Mood Dekor utilisait par ailleurs les mêmes fournisseurs que Down the Beaten Path, et offrait des articles pratiquement identiques.

Au procès, le défendeur a avancé que la clause de non-concurrence de la convention n’était pas exécutoire du fait qu’elle était trop large. Il a aussi soutenu que Mood Dekor ne la violait pas puisque l’entreprise faisait des affaires exclusivement dans des salons commerciaux aux États-Unis qui étaient fréquentés par des clients canadiens.

Décision du tribunal

En première instance, le juge a examiné les dispositions législatives pertinentes et relevé que dans une entente commerciale, une clause de non-concurrence est raisonnable et légitime si elle précise une région géographique et une durée.

Pour ce qui est de la raisonnabilité de la portée géographique, le juge de première instance a insisté sur le fait que celle-ci doit être établie en fonction des preuves démontrant l’endroit où l’entreprise œuvrait au moment de sa vente. Dans le dossier qui nous intéresse, l’entreprise, au moment de sa vente, menait des activités partout au Canada. Le juge de première instance s’est fié, entre autres, à une liste de clients fournie à l’étape du contrôle diligent, laquelle faisait état de plus de 600 clients distincts au pays. Par conséquent, il a été déterminé que la clause de non-concurrence s’appliquant à l’échelle du Canada était raisonnable.

Quant à la durée de la clause, le juge de première instance a statué que la période de cinq ans s’avérait une restriction importante, mais tout de même raisonnable dans les circonstances. Il a de plus mentionné que le demandeur avait investi une somme considérable dans l’entreprise et qu’il avait besoin de temps pour atteindre la rentabilité, réitérant ainsi la raisonnabilité de la clause.

Enfin, bien que le défendeur ait prétendu que son entreprise n’exerçait des activités qu’aux États-Unis, le juge de première instance a estimé qu’il contrevenait à la clause de non-concurrence auquel il était assujetti puisque Mood Dekor était présent au Canada et vendait des produits à des clients canadiens.

Décision en appel

En appel, la Cour a conclu que le juge de première instance avait appliqué le critère juridique approprié et que les restrictions de la clause de non-concurrence touchant les activités de Down the Beaten Path, le territoire d’exécution et la durée étaient raisonnables en l’espèce. La Cour d’appel a en outre souligné que la clause de non-concurrence constituait une modalité essentielle de la vente et qu’elle était nécessaire pour protéger l’intérêt légitime du demandeur de maintenir la valeur de l’entreprise.

Points à retenir

Ruel v Rebonne confirme que même des clauses de non-concurrence de grande envergure seront exécutées dans le contexte d’ententes commerciales liées à la vente d’une entreprise. Il est toutefois possible de les contester; le cas échéant, le tribunal se penchera sur la raisonnabilité de la clause sur le plan de sa portée géographique, de sa durée et de l’étendue des activités qu’elle interdit. Cette affaire met également en lumière l’importance de limiter sa clause de non-concurrence à l’endroit où une entreprise exerce ses activités au moment de sa vente, ainsi que la nécessité de garder des preuves de l’emplacement de ses clients à ce même moment.

BLG a représenté le demandeur en première instance ainsi qu’en appel. Pour de plus amples renseignements sur le caractère exécutoire des clauses de non-concurrence, veuillez communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous

Principaux contacts