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Perspectives

Des changements aux règles fiscales nuiront aux entreprises immobilières étrangères de propriété canadienne

Publié le 7 avril 2022, le Budget 2022 : Un plan pour faire croître notre économie et rendre la vie plus abordable (le « Budget 2022 ») annonçait des changements aux règles de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) qui entraîneront des difficultés importantes pour certaines sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) exerçant des activités immobilières (et certains autres types d’activités à l’étranger par l’intermédiaire de sociétés étrangères affiliées). En quelques mots, les entreprises du secteur immobilier qui appartiennent à une SPCC seront généralement assujetties à un taux d’imposition de l’ordre de 50 % si elles sont exploitées au moyen d’une structure de société par actions étrangère, à moins de compter au moins six employés à temps plein travaillant hors du Canada.

À la date du présent article, les changements n’ont pas encore été adoptés, mais il est prévu qu’ils s’appliquent rétroactivement aux années d’imposition débutant après le 7 avril 2022 (c’est-à-dire, pour l’année d’imposition 2023, aux contribuables dont l’exercice prend fin le 31 décembre).

Règles sur le REATB : contexte

Les règles sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB) ont pour but de prévenir le report (potentiellement indéfini) de l’impôt canadien sur les revenus passifs générés dans un territoire à faible revenu par une société étrangère affiliée contrôlée (SEAC). Sans ces règles, une SEAC pourrait être imposée à un taux faible dans un autre État, et le fisc canadien ne toucherait aucune somme jusqu’au rapatriement des bénéfices, ce qui permettrait un report permanent de l’impôt canadien.

Selon les règles sur le REATB, le revenu passif net que tire une SEAC de différentes sources (p. ex., dividendes, loyers, intérêts, redevances, certains gains en capital) est réputé faire partie du revenu du propriétaire canadien de la SEAC (une SPCC) au moment où ce revenu est réalisé par la SEAC, et non au moment où l’argent est distribué au contribuable canadien; il est donc assujetti à l’impôt canadien pour l’année d’imposition même, à moins d’être exclu de l’application de ces règles. Fait également partie du REATB le revenu tiré de certains types d’« entreprises de placement » au sens de la LIR. En règle générale, le revenu généré par la location ou la location à bail ou par une entreprise de promotion immobilière est comptabilisé dans le REATB, à moins qu’un minimum de six employés à temps plein de la SEAC participent à l’entreprise à l’étranger. À partir de six employés, la même entreprise est dite « exploitée activement », et ses bénéfices ne sont généralement pas assujettis à l’impôt sur le revenu des sociétés au Canada.

L’actionnaire canadien d’une SEAC a droit à une déduction fiscale pour l’impôt étranger payé par la SEAC sur le REATB, multiplié par le « facteur fiscal approprié » (FFA). Le Budget 2022 prévoit que le FFA passe de 4 à 1,9 pour les SPCC. Le FFA serait cependant maintenu à 4 pour les sociétés par actions qui ne sont pas des SPCC, comme les entreprises canadiennes sous contrôle étranger ou sous contrôle de l’État.

Selon les règles actuelles, lorsque le FFA est de 4, si la SEAC d’une société canadienne paie au moins 25 % d’impôt étranger sur son REATB, ce revenu est entièrement éliminé du revenu imposable par la déduction pour impôt étranger (4 x 25 % = 100 %). Dans le Budget 2022, la réduction envisagée du FFA donne lieu à l’inclusion du REATB dans le revenu imposable de la SPCC si sa SEAC paie moins de 52,63 % d’impôt étranger sur son REATB. L’ajout du REATB net sera inclus dans le « revenu de placement total » de la SPCC et imposé à un taux élevé (actuellement de 50,17 % en Ontario). Lorsque le FFA se situe à 1,9, une SPCC ontarienne dont la SEAC touche 100 $ de REATB et paie 25 $ d’impôt étranger doit 26,34 $ aux autorités fiscales canadiennes, ce qui porte à 51,39 $ la ponction fiscale nette sur les bénéfices. L’impôt sur le revenu de placement total est partiellement remboursable lorsque la SPCC verse des dividendes imposables à ses actionnaires. Si le même revenu était touché directement par la SPCC, la ponction fiscale serait de 26,50 $ (les bénéfices étant imposés à 26,5 % en Ontario).

Bref, les SPCC devront payer immédiatement un impôt extrêmement élevé sur le REATB tiré d’une SEAC.

Questions d’ordre immobilier

Le revenu de placement total et le REATB ont tendance à se recouper. Par exemple, l’un et l’autre comprennent les dividendes et les intérêts du portefeuille. Cependant, le REATB englobe plus de types de revenus d’entreprise. Les activités de promotion immobilière font partie des sources de revenus d’entreprise qui peuvent se traduire par un REATB si elles sont exercées par une SEAC, mais qui sont exclues du revenu de placement total si elles sont exercées directement par une entreprise canadienne. Par ailleurs, le revenu généré par l’entreprise étrangère de promotion immobilière exploitée par une SEAC constitue un REATB, à moins que l’entreprise respecte le critère de l’exception exigeant que, tout au long de l’année d’imposition, au moins six employés à temps plein participent à l’entreprise à l’extérieur du Canada.

Par conséquent, les SEAC n’ayant pas l’effectif requis auront possiblement un REATB, et donc un revenu de placement total supplémentaire, alors que les revenus tirés d’une SEAC comptant plus de six employés à l’étranger ou d’activités exercées directement par l’entreprise canadienne ne constitueraient pas un REATB ni un revenu de placement total. Les entreprises trop petites pour respecter ce critère risquent donc d’être fortement désavantagées.

Avant que le Budget 2022 n’annonce une réduction du FFA, le REATB n’inquiétait pas outre mesure les SEAC exerçant des activités de promotion immobilière (sauf pour les biens immobiliers situés dans un paradis fiscal), car il était habituellement compensé par la déduction pour impôt étranger et son coefficient de 4. Si les changements envisagés sont adoptés, les SEAC appartenant à une SPCC pourront difficilement concurrencer les entreprises étrangères de promotion immobilière, car elles paieront approximativement deux fois plus d’impôt canadien qu’elles. Dans bien des cas, elles n’auront d’autre choix que de distribuer leurs bénéfices au Canada pour régler leur facture fiscale au lieu de réduire leur endettement ou de réinvestir dans leurs activités, par exemple.

Faisabilité d’une succursale ou d’une société de personnes

Les contribuables canadiens touchés peuvent envisager l’embauche de travailleurs étrangers additionnels pour satisfaire au critère des six employés ou réorganiser leurs activités immobilières étrangères dans une structure de succursale ou de société de personnes. Ces options comportent cependant leur lot de difficultés.

Selon toute vraisemblance, la liquidation d’une SEAC et le transfert de biens immobiliers étrangers à une société par actions canadiennes donneront lieu à des obligations fiscales étrangères non négligeables. Pour les promoteurs immobiliers américains, le régime de la Foreign Investment in Real Property Tax Act (FIRPTA) des États-Unis peut exiger une retenue d’impôt immédiate relativement à la sortie de biens d’une structure de société par actions américaine1. Des droits de cession immobilière et des complications d’ordre hypothécaire, entre autres, peuvent s’ajouter aux obstacles sur le plan immobilier.

L’adoption d’une structure de succursale ou de société de personnes comporte une multitude d’autres inconvénients fiscaux et opérationnels. Il faudra s’attarder, entre autres, aux règles fiscales applicables aux succursales étrangères, à la responsabilité civile des entreprises, aux exigences des prêteurs hypothécaires et autres, ainsi qu’aux retenues d’impôt étranger sur la vente des biens immobiliers.

Conclusion

Compte tenu de coûts fiscaux et des problèmes pratiques que laissent entrevoir les changements envisagés aux règles sur le REATB et le FFA pour les entreprises de promotion immobilière de propriété canadienne, entre autres acteurs, nous espérons que le ministère des Finances corrigera le tir avant l’adoption des changements en question.

Les avocats de BLG sont à votre disposition pour répondre à toute interrogation sur ces questions et sur la façon dont elles peuvent toucher votre entreprise. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.

* Une version similaire du bulletin a été publiée précédemment par la Fondation canadienne de la fiscalité dans International Tax Highlights 2023 (vol. 2, no 3).


1 De plus, le régime de déclaration complexe de la FIRPTA exige généralement une retenue de 15 % sur le prix de vente brut lorsqu’une personne non américaine cède un bien immobilier américain.

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