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Perspectives

Taux d’intérêt criminel au Canada : de nouvelles exigences strictes

En revisitant sa réglementation sur le taux d’intérêt criminel datant d’il y a plusieurs décennies déjà, le Canada resserre l’étau sur les prêteurs.

Ce que vous devez savoir

Le 23 décembre 2023, le gouvernement fédéral a publié son Règlement sur le taux d’intérêt criminel (la « réglementation ») dans la Gazette du Canada aux fins de consultation publique (ouverte jusqu’au 22 janvier 2024).

Ce projet de réglementation vise à mettre en œuvre les modifications à l’article 347 du Code criminel proposées dans la Loi no 1 d’exécution du budget de 2023, lesquelles feront passer le taux d’intérêt effectif annuel considéré comme un « taux criminel » de 60 % à 35 % sur une base de taux annuel en pourcentage (« TAP ») et affineront la définition des types de conventions et d’ententes visées. L’objectif est de lutter contre les pratiques d’octroi de prêt abusives et de réformer le cadre canadien de protection des consommateurs en matière financière.

Ces changements introduiront des défis de conformité inédits pour les préteurs, notamment ceux de second ordre et non bancaires et ceux qui font des affaires sur les marchés du crédit à haut risque, qui verront fondre leurs marges. Les stratégies d’évaluation des risques et l’accès au crédit seront également touchés.

Régime actuel

Aux termes de la version actuelle de l’article 347 du Code criminel, la conclusion d’une convention ou d’une entente visant à percevoir des intérêts à un taux effectif annuel supérieur à 60 % constitue une infraction. Le taux effectif est calculé en tenant compte de l’ensemble des frais, amendes et autres sommes imposés à l’emprunteur. Sont visées la quasi-totalité des conventions ou ententes de crédit canadiennes, qu’elles prévoient le prêt de sommes d’argent ou de la valeur pécuniaire globale de biens, services ou prestations. Un dossier notable de la Cour suprême du Canada concernant un contrat de vente de gaz naturel qui imposait une pénalité de 5 % pour les retards de paiement montre que toutes sortes de contrats peuvent contrevenir à la loi.

Les conséquences juridiques d’une violation de l’article 347 ne sont pas les mêmes dans tous les cas. Les actes criminels sont punis par une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans. D’autres sanctions possibles sont une amende d’au plus 25 000 $ dans le cas d’une mise en accusation, ou une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de deux ans moins un jour, ou les deux, dans le cas de procédures sommaires. La Couronne a le pouvoir discrétionnaire de choisir comment elle procédera. 

Historique des réformes du taux d’intérêt criminel

La nouvelle réglementation représente la première mise à jour du régime du taux d’intérêt criminel en plus de 40 ans. Cette réforme tire ses origines de la lettre de mandat de 2021 de la ministre des Finances demandant la prise d’action contre les prêteurs prédateurs, et a été soumise à de nombreuses consultations avec des intervenants du secteur des prêts et des groupes de défense des droits des consommateurs. Les récentes propositions législatives se basent notamment sur les modifications apportées au Code criminel en 2007, qui exemptaient notablement certains prêts sur salaire des dispositions relatives aux taux d’intérêt criminels.

La nouvelle réglementation, selon le gouvernement, atténuera les effets des prêts à coût élevé sur les personnes les plus vulnérables. Elle aidera également à établir un équilibre entre la protection des emprunteurs et le maintien de la rentabilité des prêts.

Exemptions possibles

Le nouveau taux d’intérêt criminel continuera de s’appliquer aux conventions et ententes dont l’objet est de percevoir des intérêts, mais la nouvelle réglementation propose l’exemption de quelques pratiques données, du fait qu’elles ne correspondent pas à l’intention politique du gouvernement de réprimer les prêts à conditions abusives.

Ces exemptions toucheront par exemple les opérations suivantes :

  • Prêts commerciaux : les prêts d’une valeur de plus de 500 000 $ seront complètement exemptés, et les prêts dont la valeur s’inscrit entre 10 000 $ et 500 000 $ seront exemptés si leur TAP est inférieur à 48 %.
  • Prêts sur gage : ces prêts ne seront pas soumis au taux d’intérêt criminel s’ils remplissent certaines conditions, par exemple s’ils sont de moins de 1 000 $ et que leur TAP ne dépasse pas 48 %.

Plafond relatif aux prêts sur salaire

Le projet de réglementation introduit en outre une limite fédérale au coût d’emprunt pour les prêts sur salaire :

  • Limite des taux d’intérêt : le coût d’emprunt maximal permis pour un prêt sur salaire sera de 14 % de la somme prêtée. À noter que le coût total du prêt n’inclut pas les sommes expressément autorisées en vertu de la loi provinciale applicable, comme les pénalités de moins de 20 $ ou les frais en cas de défaut de paiement. Le coût d’emprunt total pour les prêts sur salaire se verra donc diminué dans certaines provinces.
  • Limite des frais de chèque refusé : les frais uniques maximaux pour un chèque refusé seront de 20 $. La mise en place de ce plafond s’inscrit dans l’initiative de réglementer plus étroitement les prêts sur salaire.

Échéancier d’entrée en vigueur

La réglementation s’appliquera à l’ensemble des prêts (y compris les prêts sur salaire) consentis à compter de la date où elle entrera en vigueur.

Il est prévu qu’elle prenne effet trois mois après la publication de sa version finale (Partie 2) dans la Gazette du Canada, ce qui concorderait avec l’entrée en vigueur des modifications au Code criminel portant sur le taux d’intérêt criminel.

Incidences sur le paysage des prêts

La réglementation, dans son libellé actuel, fait mention de plusieurs exemptions potentielles. Il n’est cependant pas encore clair si ces dernières pourront être appliquées à tous les types de conventions et ententes visées par l’article 347 du Code criminel. En raison de ce flou juridique, les entreprises devront redoubler de vigilance quant aux frais qu’elles imposent, qui pourraient être considérés comme des « intérêts » aux termes de la loi.

Le resserrement de la réglementation apportera son lot de défis pour les préteurs, particulièrement ceux de second ordre et non bancaires et ceux qui exercent des activités sur les marchés du crédit à haut risque, puisqu’ils devront s’en tenir à des taux plus bas. Les stratégies d’évaluation des risques et l’accès au crédit se verront également touchés. Dans ce contexte en évolution, les prêteurs devraient prioriser :

  • la réévaluation stratégique de leurs modèles de prêts;
  • la modification de leurs ententes de prêts pour s’ajuster au nouveau taux d’intérêt criminel;
  • l’examen rigoureux de leurs nouvelles ententes de crédit pour cibler tout enjeu potentiel relatif à la nouvelle réglementation;
  • le recours à des d’exemptions lorsque possible afin de gagner une certaine souplesse (il est toutefois important de bien comprendre les nuances de la réglementation afin de demeurer conforme).

En tant que conseillers juridiques qui avons étudié attentivement toutes les modifications présentées dans le projet de réglementation, nous pouvons vous aider à adapter vos pratiques pour vous y aligner et assurer la viabilité de votre organisation.

Contactez-nous pour vous préparer aux changements réglementaires à venir

Le taux d’intérêt criminel pourrait être abaissé à nouveau sous la barre des 35 % dans un avenir rapproché; les acteurs du secteur des prêts qui tiennent à prospérer doivent donc se tenir au courant des dernières décisions gouvernementales et parer à toute éventualité.

Pour discuter de stratégies proactives et obtenir des conseils personnalisés sur la conformité, notamment pour ce qui touche le taux d’intérêt criminel au Canada, communiquez avec l’une des personnes-ressources dont le nom figure ci-dessous ou avec le groupe Services bancaires et financiers de BLG.

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