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Perspectives

Adoption du projet de loi 96 : incidence des modifications à la Charte de la langue française sur les employeurs

(Mis à jour le 9 juin 2022)

Le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, a été sanctionné le 1er juin 2022, une semaine après que l’Assemblée nationale du Québec ait procédé au dernier vote sur son adoption. Il avait été présenté la toute première fois le 13 mai 2021. Le projet de loi 96 entraîne plusieurs modifications à la Charte de la langue française (la Charte) et à d’autres lois, notamment le Code civil du Québec et la Loi sur la protection du consommateur. Il s’agit de la plus importante réforme depuis l’adoption de la Charte en 1977.

Nous avons publié deux bulletins, les 14 et 26 mai 2021, dans lesquels nous avons présenté les importantes répercussions de la première version du projet de loi 96, notamment sur les milieux de travail (Cours 101 : notre revue du projet de loi 96 sur la langue française et Le projet de loi 96 : Qu’en est-il pour le secteur du travail?). Bien que les changements apportés aux dispositions liées à l’emploi ne soient pas importants, le gouvernement du Québec a adopté certains amendements au projet de loi 96 à la suite de l’étude en comité.

Dans le présent article, nous décrivons les changements les plus notables aux dispositions liées à l’emploi de la Charte afin que les employeurs soient au fait des principales obligations pouvant toucher le milieu de travail. En plus des changements dont il est question ci-dessous, il convient de noter que les entreprises québécoises comptant de 25 à 49 employés seront assujetties aux mêmes règles en matière de francisation que les entreprises de 50 à 99 employés. Celles-ci devront généraliser l’utilisation du français à tous les niveaux de leur entreprise. Cette exigence entrera en vigueur dans les trois (3) ans suivant la sanction du projet de loi 96 et aura une incidence sur la relation employeur-employé. Son importance est considérablement accrue en raison des nouvelles conséquences qui seront imposées en cas de manquement. Nous publierons bientôt un bulletin sur le processus de francisation.

Les modifications à la Charte énoncées ci-dessous sont entrées en vigueur à la date de sanction du projet de loi 96, soit le 1er juin 2022.

Exigence

Description

Mesures à prendre

Langue du travail (article 41 de la Charte)

Les employeurs doivent respecter le droit des employés à exercer leurs activités en français et, plus particulièrement, doivent offrir les documents suivants en français :

  • offres d’emploi, de mutation ou de promotion;
  • contrats individuels de travail;
  • communications écrites, même celles suivant la fin du lien d’emploi, qu’ils adressent à leur personnel, à une partie de celui-ci, à un travailleur en particulier ou à une association de travailleurs représentant leur personnel ou une partie de celui-ci.

Les employeurs doivent également rendre les documents suivants disponibles en français et, s’ils les rendent aussi disponibles dans une autre langue, veiller à ce que leur version française soit accessible dans des conditions au moins aussi favorables :

  • formulaires de demande d’emploi;
  • documents ayant trait aux conditions de travail;
  • documents de formation produits à l’intention de leur personnel.

Les employeurs doivent d’abord présenter aux employés une version française d’un contrat de travail individuel qui est un contrat d’adhésion (c.-à-d. un contrat dont les clauses principales sont imposées ou rédigées par l’employeur, pour son compte ou suivant ses instructions et sont non négociables, ce qui correspond à la plupart des contrats de travail des grandes organisations). Si un employé souhaite expressément que le contrat de travail soit rédigé en anglais (ou dans une autre langue), l’employeur peut lui fournir une version anglaise.

Un employeur peut communiquer par écrit avec un employé exclusivement en anglais (ou dans une autre langue) si ce dernier en fait la demande.

Traduction en français des modèles de documents d’emploi : offres d’emploi, de mutation ou de promotion, contrats de travail, demandes d’emploi, lettres de cessation d’emploi, etc.

Traduction en français des politiques en milieu de travail, des guides de l’employé et des documents de formation.

Dotation en personnel (article 42 de la Charte)

Si une offre (recrutement, embauche, mutation ou promotion) est publiée en anglais (ou dans une autre langue), l’employeur doit la publier simultanément par des moyens de transmission de même nature (c.-à-d. sur la même plateforme ou une plateforme semblable) et atteindre un public cible de taille comparable (c.-à-d. atteindre un bassin de candidats francophones comparable au bassin de candidats anglophones).

À titre d’exemple, il serait vraisemblablement possible d’utiliser une plateforme comme LinkedIn puisque le service est offert à tous les candidats en français et en anglais.

Traduction en français des offres d’emploi.
Examen des plateformes utilisées pour publier des offres d’emploi.

Conventions ou ententes collectives (article 43 de la Charte)

Les conventions collectives et leurs annexes doivent être rédigées en français.

Les ententes collectives, quant à elles, n’ont pas à être rédigées en français, mais elles devront être accessibles en français dès leur conclusion. Une entente collective est celle, autre qu’une convention collective, qui est conclue par une association ou un autre groupement habilité par une loi à la négocier et qui, en vertu de cette loi, s’applique même à des personnes qui ne sont pas membres de cette association ou de cet autre groupement.

Traduction en français des ententes collectives.

Interdiction d’imposer des sanctions (article 45 de la Charte)

Il est interdit à un employeur d’exercer des représailles contre un employé, de le pénaliser, de le congédier, de le licencier, de le rétrograder ou de le muter pour la seule raison qu’il ne parle que le français ou ne connaît pas suffisamment l’anglais (ou toute autre langue donnée) pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

  • parce qu’il a exigé le respect d’un droit découlant des dispositions sur la langue des relations de travail applicables;
  • pour le dissuader d’exercer un tel droit;
  • parce qu’il n’a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de l’anglais (ou d’une autre langue) alors que l’accomplissement de la tâche ne le nécessite pas;
  • parce qu’il a participé aux réunions d’un comité de francisation ou d’un sous-comité créé par celui-ci ou parce qu’il a effectué des tâches pour eux;
  • pour l’amener à souscrire à un programme et aux documents connexes (ou pour l’en dissuader);
  • parce qu’il a de bonne foi communiqué à l’Office de la langue française un renseignement ou collaboré à une enquête menée en raison d’une telle communication.

Il est interdit aux employeurs d’exiger d’une personne, pour qu’elle puisse rester en poste ou y accéder, notamment par recrutement, embauche, mutation ou promotion, la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de l’anglais ou d’une autre langue, à moins qu’ils ne démontrent que l’accomplissement de la tâche nécessite une telle connaissance et qu’ils aient, au préalable, pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence.

Examen des exigences liées à la langue dans les affichages et les descriptions de poste (voir explications ci-après).

Interdiction de discrimination et de harcèlement (article 45.1 de la Charte)

Tout salarié a droit à un milieu de travail qui soit exempt de discrimination ou de harcèlement parce qu’il ne maîtrise pas ou peu l’anglais (ou toute autre langue), parce qu’il revendique la possibilité de s’exprimer en français ou parce qu’il a exigé le respect d’un droit découlant des dispositions sur les relations de travail applicables. Les employeurs doivent prendre les moyens raisonnables pour prévenir ce type de conduite et, lorsqu’une telle conduite est portée à leur connaissance, pour la faire cesser.

Révision des politiques et des formations sur la discrimination et le harcèlement.

Interdiction d’imposer des exigences (article 46 de la Charte)

Il est interdit aux employeurs d’exiger d’une personne, pour qu’elle puisse rester en poste ou y accéder, notamment par recrutement, embauche, mutation ou promotion, la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de l’anglais (ou d’une autre langue), à moins que la nature d’une tâche le nécessite. Même alors, les employeurs doivent, au préalable, avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence.

Cette interdiction s’applique non seulement lors du processus d’embauche, mais aussi lorsqu’une personne est en poste.

Examen des exigences liées à la langue dans les affichages et les descriptions de poste (voir explications ci-après).

Moyens raisonnables (article 46.1 de la Charte)

Un employeur est réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de l’anglais (ou de toute autre langue) dès lors que, avant d’exiger cette connaissance ou ce niveau de connaissance, il n’a pas pris l’une ou l’autre des mesures suivantes :

  • évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
  • s'être assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches;
  • restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de l’anglais (ou d’une autre langue).

Les employeurs devront, dans la mesure du possible, limiter le nombre de leurs employés tenus de maîtriser l’anglais (ou une autre langue) dans le cadre de leur emploi. Les organisations ne pourront plus s’appuyer sur le seul fait qu’elles exercent des activités à l’international pour justifier qu’elles exigent de tous leurs employés qu’ils maîtrisent l’anglais.
Toutefois, les moyens raisonnables susmentionnés ne signifient pas que les employeurs doivent réorganiser leur entreprise de façon déraisonnable.

Examen des exigences liées à la langue dans les affichages et les descriptions de poste (voir explications ci-après).

Victimes de pratiques interdites (articles 47, 47.1, 47.2, 47.3, 47.4 et 47.5 de la Charte)

Un employé ou un candidat qui se croit victime d’une pratique interdite et désire faire valoir ses droits peut le faire auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») dans les 45 jours suivant la présumée infraction.

La CNESST peut, avec l’accord des parties, nommer une personne qui n’a aucun lien avec le dossier afin de tenter de régler la plainte à la satisfaction des parties. Toute information, verbale ou écrite, recueillie par ce tiers doit demeurer confidentielle.

Si aucun règlement n’intervient à la suite de la réception de la plainte par la CNESST, celle-ci déférera sans délai la plainte au Tribunal administratif du travail.
La CNESST peut représenter une personne qui ne fait pas partie d’une association de travailleurs.

s.o.

Examen des affichages et descriptions de poste

L’examen des exigences liées à la langue dans les affichages et les descriptions de poste est certainement la plus importante modification imposée par les dispositions relatives à l’emploi du projet de loi 96. Dorénavant, les employeurs qui exigent la connaissance d’une langue autre que le français dans un affichage ou une description de poste devront avoir pris tous les moyens raisonnables afin d’éviter d’imposer une telle exigence.

Ces moyens comprennent notamment une évaluation des besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir, des exigences linguistiques déjà en place auprès des autres membres du personnel et du nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français. Notons que, bien que les moyens raisonnables mentionnés dans la Charte ne devraient pas imposer aux employeurs un niveau de réorganisation déraisonnable de leur organisation, il faudra s’attendre à certains ajustements.

Il convient également de souligner que le fait d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français dans le cadre d’un processus d’embauche ou de maintien de personnel n’équivaut pas au fait d’embaucher ou de conserver des employés qui connaissent cette langue sans qu’il s’agisse d’un critère officiel d’embauche. Les employeurs n’ont donc pas à prendre les moyens raisonnables détaillés plus haut chaque fois qu’ils embauchent une personne qui se trouve à parler anglais.

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