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Réforme de l'accès à la justice : changements aux Règles de procédure civile de l’Ontario et regard sur le Québec

L’accès à la justice est reconnu comme étant une valeur fondamentale du système de justice canadien. Dans un pays démocratique comme le nôtre, il s’agit notamment d’une condition indispensable à la confiance du public envers notre système judiciaire.

De nos jours, l’accès à la justice est même devenu un enjeu parmi les plus pressants et plusieurs institutions œuvrent activement à en faire la promotion à travers divers programmes et initiatives. C’est le cas du ministère de la Justice Canada, la Cour suprême du Canada, les ministères de la Justice et tribunaux de l’ensemble des provinces et territoires, les barreaux, ainsi que plusieurs associations et organismes communautaires.

Toutefois, malgré les efforts importants déployés pour faire de l’accès à la justice une priorité, le contexte économique actuel et plusieurs autres considérations font en sorte que trop souvent, les citoyens1 sont confrontés à un système juridique coûteux, complexe, lent et difficile à comprendre.

En Ontario, les citoyens sont confrontés à cette réalité autant qu’ailleurs. Les coûts exorbitants des litiges, la complexité des règles procédurales, les longs délais judiciaires ainsi que la surcharge des tribunaux ont contribué à créer un système où l’accès à la justice est devenu de plus en plus difficile ainsi qu’un vecteur d’inégalités. C’est donc à partir de ce constat que s’est amorcée la réforme du système de procédure civile en Ontario2 (la « Réforme ») et le présent article vise à en présenter les grandes lignes tout en rappelant la réforme du Code de procédure civile du Québec qui fêtera bientôt ses 10 ans3.

Au-delà des différences propres à chaque système, les deux provinces partagent des défis communs. Que peuvent apprendre les juristes ontariens de l’expérience québécoise ? Cet article propose des pistes concrètes pour tirer profit d’un virage déjà bien amorcé au Québec.

Une réforme nécessaire en Ontario : quels sont les objectifs principaux?

Le 1er avril 2025, le Groupe de travail sur l’examen des règles en matière civile (le « Groupe ») publiait un important Document de consultation sur la phase 2 (le « Document ») qui vise à présenter de manière détaillée le nouveau cadre proposé de la Réforme.

Dans son introduction, le Groupe rappelle que l’accès à la Justice est un droit fondamental reconnu par la Charte canadienne des droits et libertés4 (la « Charte »). Il revient également sur deux arrêts importants de la Cour suprême du Canada5 pour renforcer son constat voulant que le problème de l’accès rapide et abordable à la justice civile n’ait fait qu’empirer au cours des dernières années. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Groupe écrit que la réforme attendue depuis longtemps « exige des changements radicaux et exhaustifs dans la façon dont nous porterons les actions civiles en justice dans cette province »6.

Parmi les objectifs identifiés dans le Document, on lit vouloir moderniser, simplifier et rendre plus accessible un système judiciaire souvent critiqué pour sa lourdeur, ses délais et ses coûts prohibitifs. Cette volonté d’efficacité n’est pas sans rappeler la réforme majeure du Code de procédure civile du Québec, entrée en vigueur le 1er janvier 2016 après plusieurs années de réflexion, de consultation et de rédaction. Encore à ce jour, le Code de procédure civile du Québec ne cesse d’être modifié afin d’améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice7.

En Ontario, les objectifs principaux à atteindre dans le cadre de la Réforme se résument comme suit8 :

  1. Favoriser des résultats justes, équitables et pratiques qui sont adaptés aux besoins des parties;
  2. Assurer des procédures proportionnelles eu égard à la nature du dossier, sa complexité et les montants en litige;
  3. Accélérer les délais de traitement des dossiers pour favoriser la résolution rapide des différends avec un règlement à l’amiable ou définitif dans un délai de deux ans ou moins;
  4. Améliorer l’accès aux ressources judiciaires de manière efficace pour toutes les parties de sorte qu’il y aura une accessibilité accrue pour les justiciables non représentés;
  5. Renforcer le respect des règles et des ordonnances et directives judiciaires.

Ces objectifs s’articulent autour de nouvelles règles mais aussi d’un changement de culture judiciaire, tout comme l’avait souhaité le Québec. D’ailleurs, ces objectifs rappellent les principes enchâssés dans le Code de procédure civile du Québec, en particulier les règles ayant trait à la proportionnalité, la coopération entre les parties, la gestion active de l’instance et l’usage des modes privés de prévention et de règlement des différends9.

Présentation des propositions clés de la Réforme ontarienne

La Réforme proposée contient plusieurs changements majeurs qui auront évidemment une incidence bien réelle sur la gestion des litiges. Si l’ensemble des propositions devaient entrer en vigueur, nos collègues avocats en Ontario devront s’ajuster et changer leurs habitudes parfois bien ancrées depuis plusieurs décennies. Nous résumons ici les propositions mises de l’avant par le Groupe qui nous apparaissent les plus significatives.

Divulgation hâtive de la preuve

L’un des changements les plus significatifs et qui crée certainement le plus de vagues au sein des avocats est l’élimination des interrogatoires préalables oraux. Cette étape, souvent qualifiée de cruciale dans un dossier pour plusieurs raisons qui dépendent bien souvent de la nature du dossier, serait dans l’esprit de la Réforme remplacée par un modèle de divulgation anticipée de la preuve.

Les parties devront donc déposer dès le début de l’instance les documents sur lesquels elles entendent se fonder pour prouver leur cause incluant pièces, rapports d’expert, déclarations et affidavits. Ce modèle entraînera possiblement des frais plus importants en début de dossier mais l’objectif demeure de réduire les coûts dans leur ensemble et d’éviter les abus procéduraux.

Protocoles préalables à l’audition du litige

Le Groupe suggère également, pour certaines catégories de dossiers, la mise en place de protocoles préalables à l’audition d’un litige. Cette nouvelle exigence comporte plusieurs similitudes avec le protocole de l’instance déjà bien établi au Québec, duquel les parties doivent convenir et que le tribunal doit à son tour approuver10. En plus de promouvoir en Ontario une culture de collaboration entre les parties, ce protocole, qui impose désormais une planification conjointe de l’instance, permettra une meilleure gestion des délais dès le début du dossier.

Ces protocoles prévoient notamment l’échange rapide de renseignements et de documents clés et exigent des parties qu’elles fassent un réel effort pour régler leurs différends. S’il n’est pas possible d’en arriver à un règlement à l’amiable, les protocoles préalables à l’audition du litige visent à circonscrire les questions en litige « afin que les procédures judiciaires puissent être tranchées plus rapidement et à moindre coût11 ».

Viser un délai de deux ans

Pour contrer les délais très longs, le Groupe propose que toutes les instances civiles soient menées à terme dans un délai de deux ans suivant leur introduction. Dans le Document, le Groupe indique d’ailleurs qu’il propose de fait de recommander au procureur général de faire passer de deux à trois ans le délai de prescription de base pour le dépôt d’actions civiles en Ontario12. Cette recommandation de modifier le délai de prescription viserait à mieux répondre aux nouvelles exigences en matière de délai prévues à la Réforme.

Cette règle des deux ans rappelle le délai de six mois pour inscrire sa cause à procès institué lors de la réforme québécoise. À la lumière de l’expérience acquise, l’imposition de ce délai de six mois au Québec a permis dans certains cas d’accélérer le processus, mais tout dépend de la complexité des dossiers et de la nature de ceux-ci. Toutefois, ce délai a avant tout permis de faire évoluer les mentalités et la manière de gérer les dossiers par les avocats, puisque les demandes de prolongation de ce délai doivent être justifiées et approuvées par le tribunal.

Gestion active des dossiers par les juges

La Réforme mise également sur une gestion judiciaire active des dossiers. Cette approche s’inspire fortement de la réforme québécoise et vise à responsabiliser les parties, réduire les coûts et recentrer les débats sur les enjeux réels du litige. Bien que l’une des suggestions ayant été considérées par le Groupe visait à assigner un juge unique pour assurer dès le début d’un dossier la gestion efficace de celui-ci, en raison du manque de ressources et du nombre trop grand de litiges, il n’est pas possible de mettre cette suggestion en application13.

Toutefois, le Groupe propose d’autres moyens pour permettre une gestion plus efficace. Dans certains cas qui ne nécessitent qu’une intervention minimale du tribunal, les parties assisteront à une conférence de mise au rôle dans un délai d’un an; une date sera fixée pour la tenue d’une audience menant à une décision, l’établissement d’un calendrier de médiation, l’organisation d’une conférence de gestion du procès et la communication des rapports d’expert en suspens14.

Pour les parties ayant besoin d’une participation plus importante des tribunaux, celles-ci participeront à des conférences sur les directives qui donneront lieu à des ordonnances. Plus particulièrement, les directives pourront quant à elles traiter de divers sujets incluant les questions en suspens, le calendrier pour les demandes à être présentées, la date pour une médiation, les communications des rapports d’experts, etc.15

Accroître le recours aux modes alternatifs de règlements des différends

Le Groupe propose également le renforcement du recours aux modes alternatifs de règlement des différends comme solution pour améliorer l’accès à la justice et réduire la charge déjà importante des tribunaux. Les parties sont donc fortement incitées à tenter un règlement à l’amiable, et ce, même à un stade très précoce du dossier pour éviter que des ressources importantes ne soient mobilisées.

Depuis longtemps, on met de l’avant le principe selon lequel de nombreux litiges peuvent être réglés de manière plus rapide, moins coûteuse et souvent plus satisfaisante pour les parties lorsque des discussions sérieuses ont lieu en dehors d’un cadre strictement judiciaire. D’ailleurs, en lien avec les protocoles de l’instance qui devront être complétés en début de dossier, le Groupe rappelle que ces derniers visent à « inciter les parties à en arriver à un règlement rapide et à renforcer le message selon lequel les poursuites devraient constituer un moyen de dernier recours16 ».

Cette approche fait écho à la réforme du Code civil du Québec qui a consacré dès son article 1 l’obligation de considérer les modes alternatifs de règlement des différends, et ce, avant même l’institution d’une procédure judiciaire. Au surplus, l’article 148 du Code de procédure civile du Québec prévoit lors de la rédaction du protocole de l’instance une discussion entre les parties sur la possibilité d’un règlement à l’amiable.

Recours plus large au numérique

Puisque les modes de communication ont radicalement changé, une partie importante de la Réforme porte également sur l’intégration des outils numériques.

Le Groupe rappelle à plusieurs reprises que les parties auront également l’obligation de veiller à ce que la technologie soit utilisée de la manière la plus efficiente et efficace possible. De plus, les défendeurs devront accepter la signification d’une instance lorsqu’elle est portée à leur attention, y compris par courriel.

Les changements proposés répondront à la lente adaptation technologique des tribunaux ontariens, récemment accélérée quelque peu par la pandémie, et rejoignent les avancées québécoises qui ont fait du numérique un levier d’accessibilité et de modernisation.

Ce que l’Ontario peut apprendre de l’expérience québécoise

Le Québec a appris que changer les règles ne change pas immédiatement les pratiques. Dix ans après l’adoption du nouveau Code de procédure civile, plusieurs reconnaissent que les anciens réflexes sont parfois difficiles à modifier, voire que certains persistent en dépit des efforts : lourdeur des procédures, multiplication des objections, résistances au virage axé sur la collaboration et à l’identification de solutions alternatives face aux différends.

Le succès de cette Réforme à venir en Ontario exigera qu’elle s’accompagne notamment des éléments suivants :

  • des formations obligatoires dans un contexte de perfectionnement continu pour les avocats et la magistrature;
  • un suivi rigoureux des effets de la Réforme ainsi que la mise en place d’ajustements lorsqu’ils sont requis;
  • des incitations claires à éviter le procès (coûts, sanctions, encouragements financiers);
  • des messages clairs des tribunaux sur les nouvelles attentes envers les parties;
  • un soutien aux parties qui se représentent seules afin de les guider dans les changements à venir.

Conclusion

La Réforme à venir des Règles de procédure civile en Ontario marque une avancée importante vers une justice plus accessible, plus rapide et mieux adaptée aux réalités d’aujourd’hui. Les objectifs visés sont ambitieux et nombreux, mais réalistes. L’expérience du Québec montre toutefois que le véritable changement ne réside pas seulement dans de nouvelles dispositions en matière de procédure civile, mais dans l’évolution des pratiques et des mentalités au sein de toute la communauté juridique.

Il faudra ainsi être patient, à la fois offrir et suivre de la formation et surtout avoir la volonté de transformer cette intention législative en culture judiciaire. Les avocats ontariens auront un rôle clé à jouer : celui de conseillers stratégiques, de partenaires dans la gestion de l’instance, et non plus de combattants procéduraux.

En s’inspirant des succès et des défis de la réforme québécoise, l’Ontario peut espérer construire un système judiciaire plus efficace, plus humain et surtout plus accessible. Un système mieux adapté aux besoins et aux réalités propres à chaque dossier, qui permettra également d’atteindre de meilleurs résultats pour tous.

En terminant, les commentaires de la ministre de la Justice relatifs au nouveau Code de procédure civile du Québec, qui datent de 2015, sont toujours autant d’actualité même dix ans plus tard. Il m’apparaît justifié de nous les remémorer pour garder en tête les objectifs cruciaux de nos réformes respectives, tant au Québec qu’en Ontario :

Outre la modernisation, l’enjeu le plus important de cette réforme est, comme le recommandait le Comité de révision de la procédure civile dans son rapport de 2001, d’arriver à insuffler un changement de culture chez tous les intervenants et utilisateurs du système judiciaire civil, de façon à ce que les citoyens puissent avoir accès à la justice dans des délais plus courts et surtout à un coût moindre .

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