Le président Trump a annoncé, par l’entremise de publications sur les réseaux sociaux un dimanche après-midi, son intention de déclarer les mesures incitatives de ses partenaires commerciaux liées à leur industrie cinématographique une « menace pour la sécurité nationale » des États-Unis.
Il a affirmé avoir autorisé le département du Commerce et le Bureau du représentant américain au Commerce à instituer des droits de douane de 100 % sur tous les films entrant aux États-Unis mais produits à l’étranger. La Maison-Blanche a depuis déclaré qu’aucune décision n’avait été prise sur le sujet, mais que l’administration explorait toutes les options pour mettre en œuvre la directive de M. Trump visant à protéger la sécurité nationale et économique des États-Unis tout en rendant sa grandeur à Hollywood.
L’ancien premier ministre de l’Alberta Jason Kenney a répondu à cette annonce en saluant les efforts déployés pour soutenir l’industrie canadienne du cinéma et prié le premier ministre Carney de la défendre contre cette nouvelle menace. Des critiques ont toutefois souligné que d’importantes ressources sont inutilement injectées par divers ordres de gouvernement dans l’industrie du cinéma et que les décideurs devraient saisir cette occasion pour cesser d’accorder de telles subventions.
Ce billet ne se veut pas un éloge ni une condamnation. Il ne se veut pas non plus un autre commentaire sur les défis institutionnels et économiques majeurs posés par les politiques commerciales qui se développent actuellement ou sur les augmentations massives des coûts pour les consommateurs américains en raison des décisions d’un dirigeant politique et de ses conseillers (plutôt douteux) sur la base de la « sécurité nationale » (les mots allemands verrückt et wahnsinn me viennent à l’esprit, mais je m’éloigne).
Je souhaite plutôt décortiquer la question dans l’espoir d’informer – et non d’envenimer une situation déjà difficile; il s’agira d’un débat enflammé à l’interne, et à l’externe, d’un exercice de diplomatie commerciale. Je terminerai avec un avertissement à mon ancien étudiant et collègue, le représentant américain au Commerce Jamieson Greer.
Président Trump : test de Rorschach pour les mordus de politique
Dès l’annonce du président Trump sur les réseaux sociaux, les commentateurs se sont rués sur la nouvelle, déplorant le déclin et la dénaturation du soutien apporté à l’industrie du cinéma canadienne.
La même chose s’est produite en novembre, en janvier, et en février lors des annonces sur la sécurité frontalière, les dépenses militaires, la gestion de l’approvisionnement et la réglementation des banques, entre autres. Les déclarations de M. Trump servent de test de Rorschach pour déterminer ce qui provoque les commentateurs canadiens. Il semble toujours que tout ira mieux après le démantèlement de tel ou tel programme. Le chef d’État a une capacité unique à miner la crédibilité de quiconque s’oppose à lui : les tarifs pour « contrer » le fentanyl se sont transformés en plaintes contre la gestion de l’approvisionnement, et aussitôt que les chroniqueurs se sont prononcés contre les incidences négatives du programme et ont avancé que si on se penchait sur la question après celle de la sécurité frontalière, les tarifs disparaîtraient, il s’est insurgé contre les banques étrangères, et ainsi de suite.
Peu importe les avantages ou les inconvénients d’une politique canadienne, cette dernière n’a rien à voir avec les mesures américaines; la changer n’aura aucune incidence sur les incertitudes liées à l’imposition triomphale par un seul homme de centaines de milliards de dollars de taxes à ses contribuables. Nous avons conclu des ententes et des accords commerciaux au sujet de toutes les doléances soulevées par les États-Unis. Les mesures annoncées sont illégales en vertu du droit commercial international. Le prétexte de la sécurité nationale est non fondé.
Tout problème avec une politique canadienne doit être débattu au Canada aux termes des lois canadiennes plutôt que sur les réseaux sociaux par les autorités américaines.
Soutien à l’industrie cinématographique canadienne et mécontentement
D’un point de vue commercial, le soutien accordé à l’industrie du cinéma canadienne est controversé depuis des dizaines d’années. À peine trois ans après la création de l’OMC, l’Union européenne a remis en question les règles de distribution de films du Canada (mais l’affaire n’est jamais passée au stade du litige).
En 2001, la Screen Actors Guild américaine a lancé une pétition contre les produits audiovisuels canadiens pour freiner le flux de productions filmées au Canada plutôt qu’aux États-Unis. Il s’agit d’ailleurs d’un des dossiers sur lesquels j’ai travaillé lorsque je suis arrivé à Ottawa comme directeur adjoint et chef de la nouvelle unité axée sur l’accès au marché et aux recours commerciaux de la Direction générale du droit commercial international du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (son nom à l’époque). Ma première visite officielle aux États-Unis après mon entrée en fonction était pour discuter de la pétition et de la réaction du gouvernement américain. Le dossier n’est pas allé plus loin. En 2007, le Film and Television Action Committee (qui n’existe plus aujourd’hui) a lancé une demande au titre de l’article 301 pour que des mesures soient prises contre les subventions octroyées aux films canadiens. Cela ne s’est pas concrétisé.
On a souvent affirmé au fil des ans qu’Hollywood était mort et demandé que des recours commerciaux internationaux soient adoptés pour lui venir en aide, mais en vain. Pourquoi? Eh bien, c’est compliqué.
Qu’entend-on par « film »?
On croit tous savoir ce qu’est un film (une œuvre cinématographique que l’on peut apprécier au cinéma, à la maison, ou n’importe où sur nos téléphones), mais du point de vue commercial, ce n’est pas aussi simple.
Je m’explique.
Avant, un film était un objet, une bobine autour de laquelle on enroulait des négatifs. Ensuite sont arrivées les images provenant des bobines. Les films ont plus tard été numérisés et enregistrés sur des supports physiques, notamment des LaserDisc, des DVD et des Blu-Ray.
Des règles internationales régissent les subventions pour la production de biens (mais pas pour la production de services – c’est une longue histoire). Il est facile de s’y retrouver lorsqu’il est question de meubles, par exemple, mais pour les films, c’est différent. Comme il existe une composante matérielle (les négatifs, la bobine), la subvention est-elle la même pour la production d’un film (un ensemble complexe de services) que pour la production d’un bien physique? Clairement pas. Lorsque des négatifs ou une bobine traversent la frontière, leur valeur n’équivaut pas à celle de la production du film auquel ils sont rattachés. Même chose pour les produits de divertissement à domicile. La valeur en douane d’un DVD ne correspond pas au prix de la production du film divisée par le nombre de DVD produits, mais bien au coût du disque lui-même.
Cela est un défi sur le plan des recours commerciaux. Les droits compensatoires s’appliquent aux subventions préjudiciables selon la valeur du bien qui traverse la frontière, donc la bobine ou les DVD, et non celle du service connexe, donc du film produit.
Ce calcul devient encore plus complexe lorsqu’on parle des médias numériques. Les plateformes de diffusion en continu étant clairement un service, comment peut-on déterminer le bien sur lequel les droits de douane doivent s’imposer? Chaque visionnement doit-il faire l’objet d’un tarif de 100 %? Quelle est la valeur attribuée à chaque visionnement? Si vous achetez ou louez un film, une valeur y est rattachée (disons la valeur en douane lorsque le bien est acheté, ou la valeur du service lorsque le film est loué), mais si un film est disponible sur une plateforme de diffusion en continu, comment évaluer la partie qui serait visée par un tarif?
Lorsque tout est lié
Maintenant que des tarifs sont appliqués sans grande distinction, est-il vraiment important de faire la différence entre un bien et un service? C’est là que les choses deviennent plus intéressantes. Il suffit d’imposer une surtaxe de 100 % sur les biens et services étrangers, ce qui entraîne un arrêt immédiat de son importation.
Voilà, problème résolu!
Sauf que… Pas vraiment. Les biens culturels et la propriété intellectuelle afférente comptent parmi les plus importantes exportations des États-Unis. Même le département d’État l’affirme :
L’Office of International Intellectual Property Enforcement (IPE) représente le génie des États-Unis. La propriété intellectuelle, symbole de notre imagination, est le moteur de notre économie.
L’IPE milite pour la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle partout dans le monde. Son équipe travaille étroitement avec des ambassadeurs et diplomates américains partout dans le monde pour assurer que les intérêts des titulaires de droits de propriété intellectuelle des États-Unis sont représentés à l’international et pour mettre en lumière le rôle déterminant que joue la protection de ces droits dans le soutien de l’innovation et de la croissance économique.
Voici maintenant mon avertissement.
Il n’est pas nécessaire de rendre sa grandeur à Hollywood; elle n’a jamais été perdue. La production cinématographique à Toronto n’est pas une menace à la sécurité nationale des États-Unis (il est déconcertant d’avoir à le préciser). Plus particulièrement, le cadre d’œil pour œil, dent pour dent des tarifs ne s’est appliqué qu’aux biens jusqu’à maintenant. Les pays qui les subissent ont fait preuve d’une grande retenue en ne s’attaquant pas aux exportations de PI et de services américaines. Les droits de douane proposés sur les films ouvrent non seulement la porte à l’imposition de tarifs sur les services et la PI, mais incitent aussi à une guerre commerciale totale contre les exportations américaines les plus précieuses et vulnérables. Il sera intéressant de voir combien de Scaramucci dureront ces nouvelles mesures, mais leurs répercussions internationales, elles, pourraient être majeures.