une main qui tient une guitare

Perspectives

Endean c. Colombie-Britannique : la Cour suprême ouvre la voie aux procédures collectives nationales

Le 20 octobre 2016, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Endean c. Colombie-Britannique.1 Cette décision vient appuyer l'avancée des procédures collectives nationales qui font intervenir de multiples ressorts, mais des questions subsistent quant à la mesure dans laquelle ces procédures peuvent être efficacement gérées et instruites avant le règlement.

Contexte

La question centrale dans Endean était de déterminer si les juges peuvent entendre des requêtes dans une province autre que leur province de rattachement. La question s'est posée dans le contexte du règlement national, en 1999, de trois actions collectives concomitantes intentées au nom des personnes infectées à l'hépatite C par du sang provenant des réserves canadiennes. La convention de règlement avait attribué un rôle de supervision indépendante aux tribunaux de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec; toutefois, l'ordonnance d'un tribunal n'aurait d'effet que si les ordonnances des deux autres instances étaient, en substance, identiques à celle-ci. Tandis que la mise en œuvre du règlement avançait, trois requêtes distinctes étaient présentées chaque fois qu'une question devait être tranchée conformément à la convention de règlement.

En 2012, les conseillers juridiques agissant dans le cadre des recours collectifs ont présenté trois requêtes distinctes visant l'approbation d'un protocole qui repousserait la date limite prévue pour le dépôt des demandes d'indemnisation aux termes du règlement et ont proposé que les requêtes soient entendues par les trois juges superviseurs siégeant ensemble au même endroit. Les provinces se sont opposées à la proposition, et des requêtes pour directives ont été introduites pour qu'il soit établi si les juges superviseurs pouvaient siéger dans une province autre que leur province respective de rattachement pour entendre les requêtes aux termes de la convention de règlement.

Historique judiciaire

La Cour supérieure de l'Ontario de même que celles de la Colombie-Britannique et du Québec ont déterminé que les juges de ces tribunaux avaient compétence pour siéger hors de leur province de rattachement afin d'entendre des requêtes dans ces circonstances. Les procureurs généraux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique ont fait appel des décisions dans ces provinces. Bien que les motifs des tribunaux d'appel aient été différents, il a été établi dans les deux cas que, si les juges pouvaient siéger hors de leur province de rattachement, un lien vidéo devait être établi entre la salle d'audience située à l'extérieur de la province de rattachement et cette dernière. Les avocats des demandeurs ont interjeté appel devant la Cour suprême du Canada; les deux appels ont été entendus en même temps.

Compétence de siéger hors province

Le juge Cromwell (pour les juges majoritaires de la Cour, avec l'appui des juges minoritaires) a soutenu que l'article 12 des lois de l'Ontario et de la Colombie-Britannique sur les recours collectifs conférait de vastes pouvoirs discrétionnaires aux juges de ces provinces quant à la gestion des recours, notamment le pouvoir de siéger hors de leur province de rattachement afin que la cause soit tranchée avec équité et célérité. Les Lois doivent être interprétées libéralement, conformément à leur raison d'être, qui est de faciliter l'accès à la justice.2

L'interprétation large des lois sur les recours collectifs et des pouvoirs judiciaires qui en découlent ne sont pas sans limite; en effet, la portée du pouvoir discrétionnaire de la Cour est limitée par tout principe contraire établi par la common law, la législation ou la Constitution.3 Par conséquent, bien qu'un juge d'un tribunal provincial puisse siéger hors de sa province de rattachement dans le cadre d'un recours collectif pancanadien, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire se prête davantage à une audience sans témoignages oraux (même si la Cour a renoncé à se pencher expressément sur la question de savoir si un juge qui siège hors de sa province peut être en mesure d'exercer des pouvoirs de contrainte)4, et l'audience ne doit pas contrevenir aux lois de l'endroit où elle se tient.5

La Cour a également conclu que le pouvoir discrétionnaire de siéger hors province n'est pas limité aux juges des provinces qui ont des dispositions législatives semblables à celles de la Loi sur les recours collectifs de l'Ontario ou de la Class Proceedings Act de la Colombie-Britannique. Le type d'audience proposé par les avocats des demandeurs pourrait être convoqué en vertu de la compétence inhérente de la Cour pour ce qui est de gérer son processus et ses procédures, sous réserve des restrictions précitées.6

Aucun lien vidéo requis

Le vaste pouvoir discrétionnaire d'un juge de siéger hors de sa province de rattachement (au besoin) n'est entravé par aucune exigence quant à l'établissement d'un lien avec la province de rattachement, fut-ce par lien vidéo ou autrement. La tenue d'une audience à l'extérieur d'une province ne contrevient pas au principe de la publicité des débats; les préceptes fondamentaux de cette règle n'influent pas sur la question de savoir si une audience est tenue à l'intérieur des frontières de la province de rattachement d'un juge.7

Cadre pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire

Les parties ont convenu du fait que, si les juges de l'Ontario et de la Colombie-Britannique avaient la compétence pour siéger hors de leur province de rattachement, il était pertinent pour eux de le faire compte tenu des circonstances de la cause. Cependant, la majorité des juges de la Cour a fait quelques suggestions quant aux facteurs devant être pris en compte au moment d'évaluer l'exercice du pouvoir discrétionnaire de siéger hors province, à savoir :

a) le juge doit avoir une compétence ratione materiæ et ratione personæ quant à l'affaire en question;

b) le juge doit se demander si la décision portera atteinte ou pourrait être considérée comme portant atteinte à la souveraineté de l'endroit envisagé pour la tenue de l'audience, si cette mesure aura des effets extraterritoriaux inacceptables dans cette province ou si elle empêchera la cour de mener l'audience en toute compétence;

c) le juge doit soupeser les avantages et les coûts de la tenue de l'audience projetée à l'extérieur de la province, notamment la nature de l'instance, la question de l'équité envers les parties, la capacité et la volonté des médias de la province de rattachement d'assumer le rôle de représentants du public de cette province, ainsi que les intérêts généraux de l'administration de la justice (c.-à-d. la durée, les coûts, l'intérêt public dans la province où se tient l'audience et l'accès à la justice);

d) le juge doit se demander quelles conditions imposer, le cas échéant, notamment en ce qui a trait aux coûts extraordinaires et à la question de savoir si un lien vidéo doit être établi avec sa province de rattachement. Quant à cette dernière question, les juges Wagner et Karakatsanis ont maintenu (dans des motifs concordants) que, si une demande d'établissement de lien vidéo est présentée, elle devrait généralement être accueillie.8

Conclusion

La décision Endean confirme le principe établi de longue date, selon lequel les lois sur les recours collectifs sont des lois réparatrices qu'il faut interpréter largement, conformément à l'objectif de faciliter l'accès à la justice. Elle soutient également la progression de recours collectifs nationaux efficients et la coordination de réclamations concomitantes. En revanche, l'incidence qu'aura la décision sur le tableau des recours collectifs au Canada reste à déterminer. Le cadre fourni par la Cour suprême convient davantage dans le contexte des règlements. La portée des recours collectifs nationaux continuera vraisemblablement de se préciser à mesure que des questions sur la façon de trancher de façon efficace les recours collectifs nationaux proposés se poseront dans le cadre de la conduite, des autorisations et des audiences sur l'approbation de règlements.


1 2016 SCC 42.

2Ibid. aux paragr. 25-39.

3Ibid. au paragr. 40.

4Ibid. au paragr. 78.

5Ibid. aux paragr. 45-58.

6Ibid. aux paragr. 59-62.

7Ibid. aux paragr. 63-70.

8Ibid. aux paragr. 72-76.

  • Par : Alessandra V. Nosko