une main qui tient une guitare

Perspectives

Les modifications proposées à la Loi sur la concurrence prennent effet

Le 23 juin dernier, d’importants changements ont été apportés à la Loi sur la concurrence par suite de la prise d’effet de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022 (les « modifications »). Selon le Bureau de la concurrence, ces modifications constituent une étape préliminaire vers « la modernisation du régime de concurrence canadien », et « corrigent certaines failles dans la loi, s’attaquent aux pratiques commerciales nuisibles aux travailleurs et aux consommateurs, augmentent les sanctions et l’accès à la justice, et adaptent la loi à la réalité numérique d’aujourd’hui. »

Voici certaines des principales modifications apportées à la Loi sur la concurrence :

  • criminalisation des accords de fixation des salaires et de non-débauchage;
  • augmentation des amendes maximales et des sanctions punissant les complots criminels, l’abus de position dominante et les pratiques commerciales trompeuses;
  • reconnaissance que l’affichage de prix partiels constitue une pratique commerciale préjudiciable susceptible d’examen et de sanctions en vertu des dispositions pénales et civiles de la Loi sur la concurrence;
  • accès privé au Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») pour les affaires d’abus de position dominante;
  • élargissement de la définition d’« agissement anticoncurrentiel »;
  • allongement de la liste de facteurs permettant de déterminer l’incidence sur la concurrence, notamment les effets hors prix comme la qualité, le choix ou la vie privée des consommateurs;
  • agrandissement des pouvoirs de collecte d’éléments de preuve.

Accords de non-débauchage et de fixation des salaires

Les modifications mettent en place une nouvelle disposition relative aux complots criminels, qui érigera en infraction le fait pour les employeurs de « convenir de fixer, de maintenir, de réduire ou de contrôler les salaires ou d’autres conditions d’emploi (...) et de s’abstenir d’embaucher ou d’essayer d’embaucher des employés de l’autre »1, soit des accords de fixation des salaires et des accords de non-débauchage, respectivement. Le fait de contrevenir à cette disposition pourra entraîner une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatorze ans ou une amende qui doit être fixée à la discrétion du tribunal, ou les deux. Les parties privées touchées par ce type d’infraction pourront dorénavant tenter d’être indemnisées, notamment par l’intermédiaire d’une action collective, alors qu’auparavant, elles n’auraient pu avoir recours à une action privée et n’auraient pu espérer obtenir justice que grâce aux dispositions civiles de la Loi sur la concurrence. Les stratégies de défense reposant habituellement sur les dispositions de la Loi sur la concurrence en matière criminelle – notamment la défense fondée sur les restrictions accessoires ou sur la théorie des activités réglementées – pourront continuer de s’appliquer dans les cas d’affaires liées à des accords de fixation des salaires et de non-débauchage.

Cette nouvelle disposition n’entrera en vigueur que le 23 juin 2023 afin de laisser aux entreprises le temps de s’adapter.

Le droit de la concurrence canadien se trouvera ainsi largement harmonisé aux mécanismes mis en place par les organismes américains chargés de l’application des lois antitrust, ce qui ne manquera pas de motiver les entreprises qui font affaire des deux côtés de la frontière à uniformiser leurs pratiques liées à la conformité. Celles qui n’exercent leurs activités qu’au Canada devront tout de même faire concorder à la nouvelle réglementation leurs politiques et procédures de conformité – plus particulièrement celles qui portent sur les ressources humaines – pour éviter de s’exposer à poursuites criminelles.

Augmentation des amendes et des sanctions punissant les complots criminels, l’abus de position dominante et les pratiques commerciales trompeuses

En vertu des modifications, les personnes morales et physiques qui se livrent à des activités anticoncurrentielles sont passibles de sanctions beaucoup plus importantes. Par exemple, la limite de 25 M$ des amendes sera éliminée2 à compter du 23 juin 2023, ce qui se répercutera sur les cas de complots criminels aussi bien que sur les affaires concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage. Les limites imposées aux sanctions administratives pécuniaires civiles, applicables aux pratiques commerciales trompeuses et à l’abus de position dominante, ont aussi considérablement augmenté. À l’heure actuelle, la sanction maximale pouvant être imposée à une personne morale est plafonnée à 10 M$ pour une première offense et à 15 M$ pour toute infraction subséquente. En ce qui concerne les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses et à l’abus de position dominante, la nouvelle sanction maximale imposée à une personne morale en raison de telles pratiques correspondra au plus élevé des montants suivants :

  1. 10 M$ pour une première offense (15 M$ pour toute violation subséquente);
  2. trois fois la valeur du bénéfice obtenu par l’activité anticoncurrentielle ou, si le Tribunal ne peut raisonnablement établir le montant correspondant, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.

Les personnes morales pourraient ainsi se voir imposer au Canada des sanctions établies en fonction de leurs recettes mondiales (comprenant celles de leurs sociétés affiliées ailleurs dans le monde), donc théoriquement très élevées par rapport à leurs recettes au pays.

Quant aux personnes physiques ayant des pratiques trompeuses en matière de publicité, la nouvelle sanction maximale qui leur sera imposée sera également plus élevée. Pour le moment, cette sanction est plafonnée à 750 000 $ pour une première infraction et à 1 M$ pour toute infraction subséquente; la nouvelle sanction maximale équivaudra au plus élevé des deux montants suivants :

  1. 750 000 $ pour une première infraction et 1 M$ pour toute infraction subséquente;
  2. trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur, si ce montant peut être déterminé raisonnablement.

Cette levée des plafonds rapproche les mesures canadiennes de leurs équivalents dans le système juridique d’administrations similaires, en plus de refléter l’opinion du Bureau de la concurrence, qui affirme que des sanctions bien structurées « peuvent inciter fortement les entreprises à se conformer à la Loi ». Toutefois, le fait de calculer la sanction d’une entreprise en se fondant sur ses recettes globales peut faire en sorte qu’elle soit pénalisée plus lourdement au Canada qu’elle ne le serait dans la majorité des autres administrations.

Élargissement du cadre d’application de la Loi relativement à l’abus de position dominante

Les modifications apportées introduisent des changements notables aux dispositions relatives à l’abus de position dominante. Premièrement, la Loi sur la conwcurrence définit maintenant le comportement anticoncurrentiel comme un « agissement destiné à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence » (italique ajouté). Si la première partie de cette définition codifie la jurisprudence actuelle, la seconde partie, elle, permet au Tribunal de la concurrence ainsi qu’à d’autres tribunaux de statuer quant à des comportements visant à nuire à la concurrence, et non uniquement à un concurrent. Deuxièmement, la liste non exhaustive des agissements anticoncurrentiels figurant au paragraphe 78 de la Loi sur la concurrence comprend un nouvel exemple : « une réponse sélective ou discriminatoire de la part d’un acteur dominant afin qu’il soit plus difficile pour un concurrent d’entrer sur un marché ou de croître, ou afin d’éliminer un concurrent d’un marché ».

Troisièmement, les listes de facteurs que le Tribunal peut prendre en compte afin d’évaluer l’incidence d’activités anticoncurrentielles ont été allongées afin d’inclure des cas de figure propres au domaine du commerce numérique, mais elles s’appliquent plus largement également. On y retrouve notamment :

  • les entraves à l’accès au marché, y compris les effets de réseau;
  • tout effet de la pratique sur la concurrence hors prix ou par les prix, notamment la qualité, le choix ou la vie privée des consommateurs;
  • la nature et la portée des changements et des innovations dans tout marché pertinent.

Ces listes bonifiées ancrent pour leur part les effets hors prix comme la qualité et le choix dans les dispositions relatives à l’abus de position dominante. Des facteurs similaires d’évaluation de l’incidence sur la concurrence ont été ajoutés aux dispositions relatives aux fusionnements de l’article 93 et aux dispositions civiles sur la collaboration entre concurrents de l’article 90.1 (2) de la Loi sur la concurrence.

Accès privé au Tribunal

Les parties privées pourront dorénavant présenter au Tribunal une demande relative à l’abus de position dominante. Auparavant, seul le commissaire pouvait à ce sujet présenter au Tribunal des demandes en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence, tandis que les parties n’avaient d’autre choix que de se tourner vers le Bureau de la concurrence. En vertu de l’article 103.1 de la Loi, les parties « directement et sensiblement touchées » par les comportements anticoncurrentiels d’une autre partie pourront dorénavant présenter elles-mêmes de telles demandes au Tribunal.

Accorder aux parties privées l’accès au Tribunal aidera le Bureau, qui dispose de ressources limitées et qui, par conséquent, a dû « donner la priorité à certaines affaires plutôt qu’à d’autres ». Le Tribunal fera probablement face à un nombre accru d’affaires portant sur l’abus de position dominante, ce qui pourrait clarifier certaines dispositions et réduire l’incertitude pour les entreprises. Le fait que les entreprises, bien souvent, connaissent mieux les rouages de leur secteur d’activité et peuvent généralement agir plus rapidement que le Bureau – qui doit prendre le temps de mener ses enquêtes et d’établir les faits – pourrait aussi avoir contribué à la décision de donner accès au Tribunal aux parties privées.

Toutefois, les modifications ne permettent pas aux parties privées de réclamer des dommages-intérêts relativement aux types de comportements dont il a été question plus haut, contrairement à ce que permettent les mécanismes d’autres pays comme les États-Unis. Le Tribunal pourra continuer d’imposer des sanctions administratives pécuniaires civiles dans le cas d’actions privées portant sur l’abus de position dominante (payées par le gouvernement) mais, puisque ces parties ne peuvent pas réclamer de dommages-intérêts, elles n’intenteront probablement de telles actions que si leur entreprise est durement touchée par la conduite alléguée.

Interdiction explicite de procéder à l’affichage de prix partiels

L’affichage de prix partiels s’entendu du fait, pour un publicitaire, de proposer un produit ou un service à un prix inatteignable parce que les consommateurs doivent également payer des frais supplémentaires non imposés par le gouvernement pour l’acheter. Il est arrivé que le commissaire prenne des mesures d’application de la loi contre cette façon de faire en recourant à la disposition générale sur les indications fausses ou trompeuses de l’article 74.01 de la Loi sur la concurrence. Toutefois cette approche a « nécessité des ressources importantes » pour prouver au tribunal, dans tous les cas, pourquoi l’affichage de prix partiels était trompeur. Les modifications viennent ajouter une nouvelle disposition concernant l’affichage de prix partiels à l’interdiction civile et pénale des indications fausses ou trompeuses3. Cette disposition ne s’appliquera cependant pas aux frais entièrement imposés par le gouvernement (comme la taxe de vente). Le fait d’ajouter cette pratique trompeuse aux dispositions de la loi en matière criminelle permettra à des demandeurs d’intenter une action collective.

Étendue des pouvoirs de collecte d’éléments de preuve du Bureau

Pour finir, les modifications renforcent les pouvoirs du Bureau en lui permettant d’obtenir une ordonnance judiciaire qui oblige une société affiliée, soit-elle au pays ou à l’étranger, à fournir des renseignements écrits. Ceci s’étend aussi aux personnes situées hors du Canada mais qui y font affaire ou y vendent des produits. Il s’agit d’un changement qui établit clairement ce que peut faire le Bureau en ce qui concerne la collecte d’éléments de preuve lorsqu’il enquête sur une société affiliée étrangère.

Pour en savoir plus au sujet des modifications à la Loi sur la concurrence, veuillez communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.


1 Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 45 (1.1) (Loi sur la concurrence).

2 Loi sur la concurrence, art. 45 (2).

3 Loi sur la concurrence, art. 52 et 74.01.

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