Dans le cadre d’un conflit de travail opposant Rolls-Royce Canada à son syndicat, une récente décision arbitrale établit des balises en matière de protection de la vie privée mais aussi quant à la liberté d’association et d’expression, à la suite du recours non divulgué à un dispositif de géolocalisation de type AirTag.
Contexte
Dans le but d’obtenir l’adresse de l’un des gestionnaires à la table de négociation afin d’organiser du piquetage devant sa résidence, le président du syndicat local de Rolls-Royce Canada, Frédéric Labelle, a installé un dispositif de géolocalisation AirTag d’Apple sous la voiture du gestionnaire afin de déterminer sa géolocalisation à plusieurs reprises et d’en faire le suivi. L’identité du président du syndicat local a été découverte grâce à une procédure en injonction de type Norwich, ayant permis de révéler l’identifiant Apple lié au AirTag retrouvé sous le véhicule du gestionnaire.
Rolls-Royce Canada a mis fin à l’emploi du président du syndicat local pour faute grave, à la suite de quoi le syndicat a déposé un grief contestant le congédiement.
Détails de la décision arbitrale
Le président du syndicat a toujours nié avoir eu quelque lien que ce soit avec l’AirTag retrouvé sous le véhicule du gestionnaire et encore moins être celui qui l’y avait installé, et ce, jusqu’à quelques semaines précédant l’arbitrage. Vu ce revirement de situation, soit l’aveu tardif du plaignant, la seule question en litige devant l’arbitre devenait alors: est-ce que d’avoir acheté, activé et installé un AirTag (et consulté ses notifications) pour suivre la géolocalisation d’un représentant de l’employeur à plusieurs reprises, afin d’organiser du piquetage devant sa résidence, méritait le congédiement du président du syndicat?
Ce dossier d’arbitrage opposait donc la liberté d’expression et la liberté d’association du syndicat (ainsi que les règles de l’immunité relative du représentant syndical) au droit à la vie privée du gestionnaire, à plus forte raison en période de conflit de travail.
Dans ce dossier, l’arbitre a tranché en faveur de l’employeur, jugeant que ni les pressions ressenties par le plaignant quant à l'avancement des négociations collectives en tant que président du syndicat, ni l'état des relations de travail dans l'entreprise ou l'âpreté du conflit de travail, ne peuvent excuser une telle atteinte à la vie privée.
Le fait que le salarié n’ait reconnu que très tardivement avoir commis le geste et que ce dernier était prémédité ont rendu d’autant plus inacceptable ce geste aux yeux de l’arbitre, qui a choisi de maintenir le congédiement.
Points à retenir
La décision Rolls-Royce Canada Ltée et Labelle est l’une des premières se prononçant sur l’utilisation d’un dispositif de type AirTag dans un contexte de relations de travail, alors que la géolocalisation représente maintenant une technologie beaucoup plus accessible et répandue qu’auparavant.
Cette décision arbitrale démontre de façon exemplaire que la liberté d’association et la liberté d’expression ne sont pas sans limites et que même l’escalade d’un conflit de travail ne donne pas carte blanche à un syndicat, ni à ses membres, dans les moyens choisis pour accentuer la pression sur l’employeur.
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L'autrice remercie Samuel Roy, étudiant en droit, pour sa contribution à cette publication.