Deux décisions récentes de la Commission des oppositions des marques de commerce viennent préciser comment les titulaires de marques de commerce peuvent faire valoir la mauvaise foi du demandeur (alinéa 38(2)a.1)) ou son absence d’intention d’employer la marque de bonne foi (alinéa 38(2)e)) lors d’une procédure d’opposition en vertu de la Loi sur les marques de commerce.
Dans les affaires FrieslandCampina Nederland B.V. c Cong Ty Co Phan Sua Vietnam, 2025 COMC 134, et Tepee Sun LLC c Lidl Stiftung & Co. KG, 2025 COMC 137, la Commission s’est penchée sur ces deux motifs et a donné raison aux opposantes. Bien que les deux alinéas aient rarement été invoqués avec succès, ces décisions sont sans équivoque : tout est une question de preuve. Dossier étoffé à l’appui, les motifs comportementaux peuvent jouer un rôle crucial dans la stratégie d’opposition, en obligeant le requérant à présenter une défense solide.
Historique législatif et jurisprudentiel
Les alinéas 38(2)a.1) et 38(2)e) sont entrés en vigueur le 17 juin 2019, à l’occasion d’une refonte majeure de la Loi sur les marques de commerce. L’alinéa 38(2)a.1) permet à l’opposant d’alléguer que la demande a été produite de mauvaise foi, tandis que l’alinéa 38(2)e) lui permet d’alléguer que le requérant n’employait pas ni ne projetait d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services spécifiés dans la demande.
Comme ces dispositions de la Loi sur les marques de commerce sont assez récentes, les deux motifs ont rarement été invoqués avec succès. Il faut dire que la preuve est ardue : l’opposant doit établir des faits pertinents dont il peut difficilement avoir connaissance ou trouver des traces parce que ces faits concernent le requérant, y compris l’intention et les motivations de celui-ci.
Bien que la « mauvaise foi » ne soit pas définie dans la Loi sur les marques de commerce, les rares décisions traitant de ce motif soulignent l’élasticité du concept, qui varie selon le contexte et la trame factuelle de l’affaire. Il existe par ailleurs très peu de jurisprudence sur le fardeau de preuve relatif aux allégations d’absence d’intention, de sorte que la suffisance de la preuve est difficile à évaluer. Résultat, ces deux motifs souvent plaidés étaient difficiles à faire valoir. D’où l’utilité pratique des décisions ci-dessous, qui apportent un éclairage précieux.
FrieslandCampina Nederland B.V. c Cong Ty Co Phan Sua Vietnam : Les agissements malhonnêtes lors du processus de demande constituaient de la mauvaise foi.
Dans l’affaire FrieslandCampina, l’opposante s’opposait à l’enregistrement de la marque de commerce « Vinamilk Ông Thọ », sous forme de dessin, par Cong Ty Co Phan Sua Vietnam (Vinamilk). L’opposante invoquait plusieurs motifs, notamment le risque de confusion avec diverses marques de commerce lui appartenant associées à sa marque LONGEVITY ainsi que la mauvaise foi de la requérante.
Les allégations de mauvaise foi comportaient deux volets. Premièrement, l’opposante alléguait que Vinamilk cherchait à tirer profit ou à bénéficier de manière indue de l’achalandage et de la réputation liés aux marques de l’opposante. Deuxièmement, elle alléguait que Vinamilk avait délibérément induit le Registraire en erreur en indiquant que la traduction de « ÔNG THỌ » était « M. Tho » plutôt que « longévité » afin d’éviter ou de surmonter d’éventuelles oppositions à l’enregistrement de la marque fondées sur la marque LONGEVITY de l’opposante. Plus précisément, elle soutenait que Vinamilk avait fourni des traductions incompatibles et trompeuses dans différentes demandes d’enregistrement de marque de commerce.
- Dans une demande antérieure, Vinamilk avait déclaré expressément que « ÔNG THỌ » signifiait « LONGÉVITÉ ».
- Dans une demande distincte comportant le terme « THO », Vinamilk avait encore déclaré que ce terme signifiait « LONGÉVITÉ ».
- Dans la demande à l’étude pour la marque « ÔNG THỌ », Vinamilk avait fourni une traduction incompatible avec ses déclarations antérieures.
Vinamilk n’a pas produit d’observations écrites, et rien dans sa preuve n’expliquait ce changement de traduction.
Comme Vinamilk n’a produit aucune déclaration et aucun élément de preuve à l’effet contraire, la Commission a retenu la preuve de l’opposante et a conclu que ce changement de traduction était survenu après le refus par le Registraire d’une précédente demande d’enregistrement de la marque « ÔNG THỌ et Dessin » en raison du risque de confusion avec les marques « LONGEVITY » de l’opposante. Le moment et la nature du changement laissaient croire à une tentative délibérée d’échapper à une opposition probable, ce qui soulevait de sérieux doutes quant aux motivations de Vinamilk.
Bien que la Commission ait rejeté, faute de preuve suffisante, une partie des allégations de mauvaise foi (plus précisément, l’idée que Vinamilk cherchait à bénéficier de l’achalandage de l’opposante), elle a conclu que les traductions incompatibles suffisaient à prouver la mauvaise foi de Vinamilk lors du dépôt de la demande. En l’absence d’explications contraires, la Commission a conclu que Vinamilk avait tenté délibérément d’induire le Registraire en erreur afin d’obtenir un avantage indu dans le cadre du processus d’enregistrement.
Tepee Sun LLC c Lidl Stiftung & Co. KG : Les procédures de radiation sommaire révèlent que la requérante n’avait pas l’intention d’employer de bonne foi sa marque de commerce aux fins de l’alinéa 38(2)e).
Dans l’affaire Tepee Sun, l’opposante plaidait l’alinéa 38(2)e), entre autres motifs, pour s’opposer à l’enregistrement de la marque ULTIMATE SPEED par Lidl Stiftung & Co. KG (Lidl). L’opposante soutenait que Lidl n’employait pas et ne projetait pas d’employer la marque au Canada en liaison avec les produits indiqués.
La preuve de l’opposante dressait un portrait clair et convaincant de la conduite de la requérante, qui laissait croire que celle-ci n’avait pas l’intention d’employer de bonne foi la marque visée. Cette preuve se fondait sur les éléments suivants.
- Radiations multiples : Plusieurs autres marques de commerce de Lidl avaient été radiées conformément à l’article 45 (radiation sommaire pour non-usage) dans les procédures devant le Registraire. Chaque fois, Lidl a choisi de produire des preuves [traduction] « lacunaires » qui n’ont pas convaincu le Registraire.
- Retards procéduraux et inaction : L’opposante faisait valoir que malgré les décisions rendues à l’encontre de Lidl conformément à l’article 45, Lidl avait néanmoins choisi de produire le même type de preuve [traduction] « uniquement pour retarder les procédures et ne faire aucune observation de fond dans celles-ci ». À de nombreuses reprises, Lidl avait retardé les procédures, ne s’était pas présentée aux audiences prévues et n’avait produit aucune preuve. En l’occurrence, Lidl n’avait jamais contre-interrogé le déposant de l’opposante après avoir obtenu une ordonnance de contre-interrogatoire.
- Intention stratégique de conserver l’enregistrement : La conduite de Lidl – production de preuves lacunaires, absence aux audiences et démarches procédurales laissées sans suite – laissait croire que l’entreprise cherchait à conserver la marque dans le registre sans avoir véritablement l’intention de l’employer.
Lidl a choisi de ne produire ni éléments de preuve ni observations écrites pour justifier sa conduite.
En raison de l’effet cumulatif de ces facteurs, la Commission a jugé que l’opposante s’était acquittée de son fardeau de preuve initial. Selon elle, le fait que Lidl n’ait fourni aucune preuve (alors que la demande remontait à plus de sept ans) soulevait un doute quant à l’emploi réel de la marque au Canada en liaison avec les produits indiqués. Cette absence de preuve, combinée aux multiples radiations pour non-usage de marques de commerce de Lidl et aux retards procéduraux, a amené la Commission à se ranger derrière la thèse de l’opposante : Lidl maintenait une présence dans le registre sans intention véritable d’employer la marque. La Commission souligne d’ailleurs que la « [r]equérante n’a fait aucun effort pour produire des preuves ou présenter des observations qui suggéreraient une autre explication ».
À retenir
Ensemble, les décisions FrieslandCampina et Tepee Sun sont d’une grande utilité pratique pour les opposants qui souhaitent invoquer des motifs comportementaux, notamment la mauvaise foi ou l’absence d’intention d’employer la marque de bonne foi.
- Ce qu’il faut en retenir, c’est que tout est une question de preuve. Comme les requérantes dans ces deux affaires n’avaient fourni aucun élément de preuve et aucune déclaration, la Commission n’avait pas le choix de retenir la preuve des opposantes. Malgré l’existence de cas où la Commission a rejeté les allégations de l’opposant malgré le silence du requérant, ces deux décisions récentes montrent qu’une preuve convaincante peut s’avérer déterminante.
- Ces décisions montrent également que l’intégrité du processus d’enregistrement et la conduite du requérant pendant celui-ci sont parfois tout aussi importantes que la marque en question. Les retards procéduraux à répétition, les déclarations incompatibles et la présentation stratégique de demandes malhonnêtes donnent de belles munitions aux opposants.
- Pour les requérants, le message est clair : agissez avec intégrité, tenez des dossiers clairs et exempts de contradictions et participez avec sérieux au processus d’opposition.
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Les autrices tiennent à remercier Shivani Kaup, étudiante en droit, pour sa contribution à la rédaction de cet article.