Un programme de vote automatique pour les actionnaires individuels proposé par Exxon Mobil Corporation retient l’attention des participants au marché depuis que la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la SEC) a publié une lettre de non-intervention à son sujet. Plus particulièrement, des sociétés canadiennes se demandent probablement si l’instauration d’un programme semblable au Canada pourrait leur être profitable.
Contexte
Comme on peut le lire dans le communiqué d’Exxon et sa lettre à la SEC datés du 15 septembre 2025, le programme proposé viserait à encourager les actionnaires individuels à exercer leurs droits de vote. Exxon y note que « [traduction] les voix des investisseurs particuliers, bien souvent, ne sont pas entendues [...] parce qu’on ne leur donne pas accès à divers services qui permettent aux grands investisseurs institutionnels de voter rapidement et en toute simplicité. »
Dans la forme proposée, le programme de vote automatique permettrait à tous les actionnaires individuels de donner des « instructions de vote permanentes » afin que leurs droits de vote soient automatiquement exercés conformément aux recommandations du conseil d’administration aux assemblées des actionnaires, sauf en ce qui concerne les élections avec opposition et certaines opérations. Les actionnaires qui auraient adhéré au programme seraient autorisés à s’en retirer en tout temps ou à remplacer des instructions antérieures.
Le vote automatique pourrait-il faire son chemin jusqu’au Canada?
Même si la décision au Canada dépendrait des lois de chaque territoire de compétence, une société canadienne pourrait difficilement instaurer un programme de vote automatique comportant la sollicitation de procurations sans obtenir de dispense réglementaire. Les lois canadiennes sur les sociétés et sur les valeurs mobilières établissent la manière dont les sociétés ouvertes peuvent solliciter des procurations, de même que diverses exigences entourant celles-ci. Ces sociétés sont des « sociétés ayant fait appel au public » selon la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), des « sociétés faisant appel au public » selon la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (LSAO) et des « émetteurs assujettis » aux termes des lois canadiennes sur les valeurs mobilières.
Par exemple, certaines lois sur les sociétés limitent la période de validité des procurations. Ainsi, selon la LCSA et la Business Corporations Act de l’Alberta, une procuration n’est valide qu’à l’assemblée pour laquelle elle a été donnée (ou de tout ajournement de celle-ci), tandis qu’en vertu de la LSAO, une procuration cesse d’être valide un an après sa signature. La Business Corporations Act de la Colombie-Britannique est silencieuse sur cette question. Les périodes de validité des procurations comptent parmi les différences notables entre les lois canadiennes et celles du New Jersey (le territoire de constitution d’Exxon) et du Delaware (le territoire le plus influent aux États-Unis en matière de droit des sociétés). Comme l’explique Exxon dans sa lettre à la SEC, les lois du New Jersey et du Delaware permettent chacune qu’une procuration reste valide indéfiniment, pourvu qu’elle le prévoie expressément.
Même si les lois américaines sur les valeurs mobilières peuvent chercher à limiter l’applicabilité d’une procuration à l’assemblée qui suit la date de sa signature, Exxon soutient que le programme de vote proposé n’irait pas à l’encontre de cette exigence étant donné les rappels annuels envoyés aux actionnaires et les possibilités de retrait et de remplacement qu’il prévoit. Dans sa lettre de non-intervention, la SEC indique à son tour qu’elle ne recommanderait pas de mesures d’application contre le programme de vote décrit. Malheureusement, les lois canadiennes sur les sociétés et sur les valeurs mobilières ne prévoient pas ces types de « lettres de non-intervention ».
De plus, au Canada, la sollicitation de procurations est généralement obligatoire pour chaque assemblée des actionnaires, sous réserve de certaines exceptions. Les lois ne prévoient pas qu’on puisse donner une procuration pour des assemblées qui n’ont pas encore été convoquées. Les sociétés qui envisageront l’instauration d’un programme de vote automatique pour leurs actionnaires (individuels ou autres) devront se demander si le fait d’offrir la participation à un tel programme pourrait être considéré comme une sollicitation, et si le fait de pouvoir donner des instructions de vote permanentes pourrait être considéré comme l’équivalent de donner une procuration.
Fait important, l’acte de sollicitation déclencherait les obligations de préparer une circulaire de sollicitation de procurations et de l’envoyer pas la poste aux actionnaires. Les facteurs à prendre en compte pour déterminer si la possibilité offerte aux actionnaires de participer au programme constituerait en substance une sollicitation de procuration comprennent l’existence d’un mécanisme de retrait, la nature des rappels annuels aux actionnaires et la procédure suivie pour déterminer à quelles actions les instructions s’appliquent pour une assemblée donnée.
Dans leur évaluation d’un programme de vote automatique, les émetteurs devraient d’abord et avant tout chercher à déterminer si un tel programme satisferait aux exigences canadiennes en matière de gouvernance d’entreprise et aux attentes des parties prenantes. Ils devraient également tenir compte de la composition de leur actionnariat, puisque beaucoup d’entre eux comptent parmi leurs actionnaires un nombre considérable d’investisseurs institutionnels qui n’adhéreraient sans doute pas à un programme de vote automatique.
Le système canadien de vote par procuration est un régime réglementaire exhaustif assorti de procédures détaillées conçues pour permettre à tous les porteurs de titres, y compris les actionnaires individuels, de voter facilement aux assemblées des actionnaires. Cette infrastructure pourrait-elle accueillir un programme de vote automatique sans dispenses ou sans la modification d’exigences législatives ou réglementaires? L’avenir nous le dira peut-être.