une main qui tient une guitare

Article

Normes du travail : la définition d’agence de placement de personnel confirmée par la Cour d’appel

Le 12 mai 2025, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision clé concernant l’encadrement des agences de placement de personnel. Au-delà du débat juridique, cet arrêt est directement pertinent pour de nombreux employeurs en matière de normes du travail : il confirme qu’une entreprise peut être considérée comme une « agence de placement » dès lors qu’elle fournit, même de façon secondaire ou ponctuelle, du personnel à d’autres organisations.

Pourquoi est-ce important? Parce qu’une telle qualification entraîne des obligations légales précises et expose tant l’entreprise qui fournit des services de placement que l’entreprise cliente à des amendes en cas de non-conformité.

Cet article résume les principaux enseignements de l’arrêt et met en lumière ce que les employeurs doivent savoir pour éviter les coûts parfois importants associés à des enjeux de non-conformité. Aux fins de cette analyse, nous nous attarderons plus particulièrement aux conclusions de la Cour d’appel concernant la portée de la définition prévue à l’article 1 du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement »).

Contexte

Le 12 juin 2018, l’Assemblée nationale du Québec a modifié la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») afin de mieux encadrer les activités de placement de personnel. Ces changements ont ouvert la porte à l’adoption du Règlement, entré en vigueur le 1er janvier 2020.

Ce Règlement introduit un régime de permis obligatoire, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») délivrant ces permis aux entreprises qui offrent des services de location de personnel. À l’article 1 du Règlement, on y définit l’« agence de placement de personnel » comme étant « une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre ».

Or, cette définition a rapidement soulevé des débats : vise-t-elle uniquement les agences spécialisées ou s’applique-t-elle aussi à des entreprises pour qui le prêt de main-d’œuvre n’est qu’une activité secondaire ?

La question a d’abord été tranchée par la Cour supérieure dans l’affaire Association provinciale des agences de sécurité c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3952, rendue le 26 octobre 2022. La Cour avait alors conclu que la définition d’« agence de placement de personnel » prévue à l’article 1 du Règlement excédait les pouvoirs du gouvernement (ultra vires), et l’avait déclarée nulle. Selon la Cour supérieure, le gouvernement ne pouvait pas élargir la portée de la loi au-delà de son objet véritable, qui se limitait aux agences spécialisées en placement de personnel; consultez notre article de l’époque pour en apprendre davantage au sujet de la décision.

Cette conclusion n’a toutefois pas été retenue en appel.

La décision de la Cour d’appel

En effet, le 12 mai 2025, la Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour supérieure et confirmé la validité de la définition prévue à l’article 1 du Règlement dans Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, 2025 QCCA 587.

La Cour considère que la définition d’« agence de placement de personnel » ne présente pas un degré d’imprécision suffisant pour en compromettre la validité. Bien que cette définition ne permette pas d’identifier de manière exhaustive tous les types d’employeurs ou d’activités susceptibles d’y être rattachées, la Cour souligne qu’elle est suffisamment précise pour permettre un débat interprétatif. Il appartiendra alors aux employeurs et à la CNESST d’en assurer l’application au cas par cas et d’en débattre.

La Cour d’appel confirme que cette définition vise toute personne qui exerce, sous une forme ou une autre, une activité de location de personnel afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre de sa clientèle, qu’il s’agisse de son activité principale, secondaire ou parallèle.

Une entreprise est donc considérée comme une agence de placement de personnel assujettie à l’obligation de détenir un permis dès lors qu’au moins l’une de ses activités consiste à offrir des services de location de personnel. À ce sujet, la Cour d’appel indique que cette activité doit être exercée avec une « certaine régularité ». Sans élaborer en profondeur sur ce point, elle mentionne toutefois qu’« une fois tous les deux ou trois ans » ne serait pas suffisant pour atteindre ce standard.

Le contrat de location de personnel

La définition d’« agence de placement de personnel » repose sur la notion de « location de personnel », c’est-à-dire l’activité par laquelle une entreprise met à la disposition de ses clients, contre rétribution, les services de salariés qu’elle embauche, rémunère et supervise globalement, mais dont la prestation de travail, effectuée chez l’entreprise cliente, vise à combler un besoin de main-d’œuvre pour une période déterminée sous l’autorité directe de cette dernière, comme s’ils étaient ses propres employés.

La Cour d’appel illustre cette réalité par divers exemples concrets : le remplacement d’un employé absent (maladie, congé de maternité ou parental, vacances, congé sabbatique), une réponse à un surcroît temporaire de travail (par exemple, un manufacturier décide d’augmenter sa cadence de production pour un temps ou en vue de remplir une commande plus importante que d’habitude) ou encore du soutien en contexte de pénurie de main-d’œuvre. Dans chacun de ces cas, le cœur du contrat repose sur la mise à disposition, au profit de l’entreprise cliente, de la capacité de travail des salariés fournis par l’agence pour répondre à un besoin de main-d’œuvre.

Ces éléments permettent donc de distinguer le contrat de location de personnel du contrat d’entreprise ou de service, qui vise plutôt à réaliser un ouvrage ou à fournir un service au client, et non à combler ses besoins en main-d’œuvre.

Exemples concrets

Afin d’illustrer la distinction entre la location de personnel et le contrat d’entreprise ou de service, la Cour d’appel s’appuie sur des situations concrètes fréquemment rencontrées :

  • Entretien ménager : lorsqu’une entreprise confie l’entretien de ses locaux à une firme spécialisée qui réalise la prestation avec son propre personnel et en assure la supervision, il s’agit d’un contrat de service, car l’objet est le résultat attendu. En revanche, si cette entreprise demande à un tiers de lui fournir un employé pour remplacer temporairement un membre de son équipe interne, on parle de location de personnel, l’objet du contrat étant alors la capacité de travail du salarié prêté.
  • Génie-conseil : lorsqu’une firme de génie-conseil dépêche un ingénieur sur le site d’une cliente pour prodiguer des conseils ou assurer une supervision, il ne s’agit généralement pas d’une location de personnel, car la prestation de l’ingénieur demeure sous la direction et le contrôle de la firme de génie-conseil, même si une collaboration étroite avec la cliente et son personnel est nécessaire.

Ces exemples confirment que c’est la finalité du contrat et le pouvoir de direction exercé sur la prestation de travail qui déterminent si l’activité relève d’un contrat de service ou d’une location de personnel assujettie au Règlement.

Points à retenir pour les employeurs

À la lumière de cette décision, une entreprise peut être qualifiée d’agence de placement de personnel dès lors qu’elle offre, même de manière secondaire ou parallèle, voire occasionnelle, des services de location de personnel pour satisfaire un besoin de main-d’œuvre.

Cette qualification entraîne l’obligation d’obtenir un permis de la CNESST pour exercer de telles activités1. De leur côté, les entreprises clientes ne peuvent recourir qu’à des agences dûment autorisées (c.-à-d. titulaires d’un permis).

En cas de non-conformité, tant l’agence de placement de personnel que l’entreprise cliente s’exposent à des sanctions financières, soit une amende allant de 600 $ à 6 000 $, doublée en cas de récidive.

Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il n’y a obligation d’obtenir un permis que lorsque l’on est véritablement en présence d’un contrat de location de personnel, et non d’un contrat d’entreprise ou de service, ce dernier ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage ou la fourniture d’un résultat précis plutôt que la mise à disposition de main-d’œuvre.

Communiquez avec nous 

Si vous avez des questions sur cet article ou souhaitez discuter de toute autre préoccupation juridique en matière de droit du travail et de l’emploi, n’hésitez pas à communiquer avec l’un·e des avocat·es du groupe Droit du travail et de l'emploi de BLG.

Principaux contacts