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Perspectives

Les dossiers énergétiques marquants de la dernière année et leur incidence pour 2023 et au-delà

Nos avocat·es se tiennent au fait des politiques, dossiers, affaires et faits nouveaux qui touchent le secteur de l’énergie. Le présent article fait la synthèse des dix dossiers de la dernière année qui influeront sur les tendances, les décisions d’affaires et la croissance du secteur canadien de l’énergie en 2023 et au-delà.

Points à retenir

Des changements structurels continuent de s’opérer au sein du secteur canadien de l’énergie. Les principaux thèmes que BLG a relevés touchent les politiques publiques liées à la transition énergétique, des conflits de compétence et des bouleversements géopolitiques, avec en toile de fond des prix des produits de base généralement favorables et une reprise de la demande de pétrole. Nous notons également la dichotomie qui oppose les investissements massifs dans la transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles et le rôle essentiel que jouent ces mêmes combustibles dans la relance économique et l’indépendance énergétique. Voici donc les dossiers de l’heure au Canada en matière d’énergie et les tendances qui se dessinent pour 2023.

Transactions, faits nouveaux et projets

Transactions, faits nouveaux et projets

En 2022, plusieurs opérations de fusion et acquisition d’envergure ont mis en évidence le rôle du capital-investissement dans le secteur de l’énergie, l’importance du gaz naturel canadien dans la transition énergétique et la concentration du marché en cours dans le segment de la production, dans un contexte de vigueur des prix des produits de base. Ces transactions ont aussi marqué la poursuite d’une tendance, celle où les acquisitions d’actifs de production (ou les rachats d’actions assortis d’une augmentation des dividendes) l’emportent sur les investissements dans la prospection.

Pembina et KKR

Le 1er mars 2022, Pembina Pipeline Corporation (« Pembina ») a annoncé la conclusion d’un accord avec KKR & Co. Inc. (« KKR »), société d’investissement mondiale de premier plan, en vue de combiner les actifs de traitement du gaz naturel dans l’Ouest canadien des deux entités et de former la coentreprise nommée plus tard Pembina Gas Infrastructure (« PGI »). PGI est détenue à 60 % par Pembina, qui agit à titre d’exploitant et de gestionnaire, et à 40 % par KKR. La transaction de 11,4 G$ a été officiellement conclue le 15 août 2022.

Cette transaction visait à créer une entité de traitement du gaz concurrentielle, capable de proposer des réductions de coûts et un service supérieur à des clients actifs dans l’ensemble des formations de Montney et de Duvernay, du centre-nord de l’Alberta au nord-est de la Colombie-Britannique. Elle montre que les investisseurs s’attendent à ce que le gaz naturel canadien continue de jouer un rôle dans la transition énergétique mondiale.

Le 12 décembre 2022, après la clôture de la transaction, PGI a annoncé avoir conclu un accord avec Stonepeak Partners LP (« Stonepeak ») pour lui vendre sa participation sans exploitation de 50 % dans le projet de transport de condensats et de liquides de gaz naturel Key Access Pipeline System (« KAPS »), pour 662,5 M$. Cette opération a elle aussi mis en lumière le rôle grandissant que jouent les sociétés de capital-investissement dans le secteur canadien de l’énergie. « Nous sommes d’avis que les hydrocarbures nord-américains, en particulier le gaz naturel, resteront une composante importante du bouquet énergétique mondial dans un avenir prévisible, notamment dans la marche vers la décarbonation de l’Asie de l’Est, a affirmé Anthony Borreca, directeur général chez Stonespeak. La croissance de la production de gaz naturel dans l’Ouest canadien jouera un rôle essentiel dans ces efforts.1 » Cette transaction devrait se conclure au premier trimestre de 2023.

Strathcona Resources et Serafina Energy

Le 29 août 2022, Strathcona Resources Ltd. (« Strathcona »), détenue par la société de capital-investissement Waterous Energy Fund, a annoncé l’acquisition de Serafina Energy Ltd. (« Serafina »), producteur de pétrole lourd de la Saskatchewan financé par du capital-investissement, pour 2,3 G$. La production de Serafina, qui avoisine 40 000 barils d’équivalent-pétrole par jour (bep/j), s’ajoutera à celle de 100 000 à 115 000 bep/j de Strathcona2.

Cette transaction s’inscrit dans une tendance où des acheteurs bien capitalisés, souvent en capital-investissement, acquièrent des actifs en amont pour profiter de la vigueur des prix du pétrole (le baril se négociait à près de 100 $ autour de la date de conclusion de la transaction).

Whitecap Resources et XTO Energy Canada

Le 28 juin 2022, Whitecap Resources Inc. (« Whitecap ») a annoncé avoir conclu un accord en vue d’acquérir XTO Energy Canada (« XTO ») pour 1,9 G$ en espèces. La transaction, financée au moyen de facilités de crédit existantes et d’un nouveau prêt de 705 M$ d’une durée de quatre ans, s’est conclue le 31 août 2022.

Les actifs de XTO acquis, situés dans les formations de Duvernay et de Montney, dans le nord-ouest de l’Albert, affichent une production d’environ 32 000 bep/j. Whitecap a résumé l’orientation stratégique sous-tendant cette acquisition en expliquant qu’elle ajoutait à ses sites de forage de premier ordre dans la formation de Montney, en augmentant certaines de ses participations directes dans la grande région de Kakwa, et qu’elle marquait le début de ses activités dans la formation riche en liquides de Duvernay à Kaybob.

Tamarack et Clearwater

Le 12 septembre 2022, Tamarack Valley Energy Ltd. (« Tamarack ») a annoncé avoir conclu un accord en vue d’acquérir Deltastream Energy Corporation (« Deltastream »), producteur de pétrole à capital fermé actif dans la formation de Clearwater, pour un total de 1,425 G$. L’opération prévoyait un paiement de 825 M$ en espèces, 300 M$ de paiements différés et 300 M$ en actions de Tamarack.

Deltastream produit 19 500 bep/j, et cette transaction renforcera la position dominante de Tamarack dans la formation riche en pétrole lourd de Clearwater, dans le centre-nord de l’Alberta. Tamarack s’attend à ce que sa production totale issue de cette formation se situe entre 68 000 et 72 000 bep/j en 2023.

Réduction des émissions

En 2022, le gouvernement fédéral a continué d’instaurer des politiques et des mesures réglementaires en vue d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). En mars, il a publié le Plan de réduction des émissions pour 2030 (le « Plan »), qui rappelle les politiques de réduction des émissions déjà en place et présente celles qui s’y ajoutent. Les grandes lignes du Plan sont résumées ici.

Dans la partie qui suit, il sera question de deux grands éléments du Plan qui ont été intégrés à la législation en 2022 : le Régime de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre du Canada et le Règlement sur les combustibles propres.

Le Régime de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre du Canada

Dans la foulée de la décision de 2021 de la Cour suprême du Canada qui a confirmé la constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, L.C. 2018, ch. 12, (la « LTPGES »), le gouvernement fédéral a entrepris de renforcer le régime de tarification du carbone du Canada et a mis en place, en juin, le Régime de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre du Canada. Ce régime, dont le fonctionnement est établi dans le Règlement sur le régime canadien de crédits compensatoires concernant les gaz à effet de serre (DORS/2022-111), est composé d’un système de création et de suivi des crédits, qui sert à l’inscription des crédits compensatoires fédéraux vérifiés, et de protocoles servant à établir les activités admissibles à la création de crédits fédéraux et à quantifier les réductions de la pollution qu’elles génèrent.

Jusqu’ici, dans le cadre du Régime, le gouvernement fédéral a publié le protocole intitulé Récupération et destruction du méthane des sites d’enfouissement. Cinq autres sont en préparation, dont celui sur le captage et la séquestration du dioxyde de carbone direct de l’air, qui revêt un intérêt particulier pour les sociétés pétrolières et gazières évaluant la viabilité de projets de captage et de stockage du carbone.

Le Règlement sur les combustibles propres

Le Règlement sur les combustibles propres (DORS/2022-140), entré en vigueur le 21 juin 2022, oblige les fournisseurs de combustibles fossiles liquides à réduire l’intensité en carbone des combustibles qu’ils vendent ou livrent au Canada. L’année 2016 sert de point de référence pour le calcul de la réduction de l’intensité en carbone, et le Règlement fixe au 1er juillet 2023 la date à partir de laquelle les fournisseurs devront satisfaire aux limites d’intensité fixées.

Le Règlement sur les combustibles propres a aussi établi un système d’échange d’unités qui donne aux fournisseurs la possibilité de satisfaire aux exigences de réduction de l’intensité en carbone en créant des unités de conformité dans trois catégories d’activité principales :

  • Catégorie de conformité 1 : entreprendre des projets qui réduisent l’intensité en carbone d’un combustible fossile liquide sur la durée de son cycle de vie;
  • Catégorie de conformité 2 : fournir des combustibles à faible intensité en carbone, comme l’éthanol, en les produisant ou en les important au Canada;
  • Catégorie de conformité 3 : fournir des combustibles ou de l’énergie pour des véhicules à technologie de pointe, lorsque le projet vise à modifier ou à moderniser un appareil de combustion pour qu’il soit alimenté par une source d’énergie de remplacement (p. ex., véhicules électriques).

Les crédits fiscaux pour l’énergie propre

 

Dans l’Énoncé économique de l’automne de 2022, publié le 3 novembre 2022, le gouvernement fédéral annonçait des mesures visant à favoriser l’adoption de technologies propres. Le 1er décembre 2022, le ministère des Finances a lancé des consultations sur les crédits d’impôt proposés dans l’Énoncé :

  • Crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre – Ce crédit d’impôt remboursable reposera sur l’intensité carbonique de l’hydrogène au cours de son cycle de vie. Les consultations porteront sur l’établissement d’un système adapté au contexte canadien et sur le niveau de soutien requis pour les diverses filières de production au Canada. L’Énoncé économique de l’automne n’a pas donné d’indications sur les niveaux d’intensité carbonique applicables, mais un crédit d’impôt d’au moins 40 % serait offert aux projets dont le niveau d’intensité carbonique répond à l’ensemble des critères d’admissibilité et est inférieur au seuil le plus exigeant. 
  • Crédit d’impôt à l’investissement pour les technologies propres – Ce crédit remboursable de 30 % s’applique aux investissements dans les systèmes de production d’électricité, les systèmes fixes de stockage de l’électricité, le matériel de chauffage à faibles émissions de carbone, les véhicules industriels zéro émission et le matériel connexe de recharge et de ravitaillement.

Les deux crédits d’impôt proposés pourront s’appliquer aux investissements admissibles réalisés en date du dépôt du budget de 2023 et seront éliminés progressivement après 2030.

Par ailleurs, chacun des crédits d’impôt sera réduit de 10 points de pourcentage si une entreprise ne respecte pas certaines conditions de travail, ce qui favorisera la création de bons emplois. Ces conditions feront partie des sujets abordés dans les consultations du ministère des Finances, notamment le paiement des salaires selon les conditions en vigueur sur les marchés du travail locaux et les possibilités de formation d’apprentis.

L’énergie au cœur de l’actualité géopolitique en 2022

L’énergie a monopolisé l’attention du monde entier en 2022, en partie à cause du choc provoqué par l’invasion de l’Ukraine. Après des décennies de sous-investissement dans les infrastructures énergétiques, bien des pays ont été pris au dépourvu quand la grande accessibilité de l’énergie s’est subitement transformée en pénurie; ils se sont aussi inquiétés pour leur indépendance énergétique. Parallèlement, l’inflation s’est invitée en Amérique du Nord, ce à quoi les banques centrales ont répondu en relevant plusieurs fois leurs taux directeurs. Des hausses de prix ont alors percolé dans toute la chaîne d’approvisionnement énergétique, pénalisant principalement son dernier maillon : le consommateur.

Volatilité des prix

En 2022, le monde a dû composer avec une instabilité extrême des prix du pétrole et du gaz naturel, due notamment à la guerre en Ukraine. Si le prix du brut West Texas Intermediate a clôturé l’année essentiellement là où il l’avait commencée, autour de 80 $ le baril, il a flambé à 120 $ au cours de la période, avant de se replier. De la même manière, le prix du gaz naturel au terminal Henry a commencé l’année autour de 4 $ le millier de pieds cubes et l’a terminée à 3,75 $, mais non sans grimper à 9 $ en août. 

Trois facteurs principaux semblent avoir alimenté la volatilité :

  • l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, conjuguée à la menace de la Russie de réduire radicalement ses exportations de gaz naturel en Europe occidentale;
  • la demande de consommation refoulée pendant la pandémie en Amérique du Nord;
  • la politique zéro-COVID en Chine, qui a entraîné des ruptures de chaînes d’approvisionnement dans un contexte de forte demande.

L’Ukraine et l’énergie

La guerre en Ukraine a provoqué sur la scène énergétique mondiale des bouleversements qui auraient été inconcevables il y a un an. L’Allemagne a dû relancer ses centrales au charbon, comme elle avait mis ses centrales nucléaires à l’arrêt après la catastrophe de Fukushima en 2011. Sans le vouloir, elle s’était ainsi rendue dépendante du gaz russe, ce qui rappelle l’importance d’un panier énergétique diversifié. L’administration Biden, quant à elle, a assoupli les restrictions concernant l’importation de pétrole vénézuélien, tendant la main au régime Maduro, idée que rejetaient purement et simplement les administrations précédentes.

De manière plus générale, cette guerre a obligé les États-Unis et l’Europe à discuter d’importations de GNL, étant donné la relative facilité avec laquelle l’Europe occidentale pourrait importer du gaz depuis des installations de la côte du golfe du Mexique. La contribution du Canada à ce chapitre, comme d’habitude, consistera surtout à livrer du gaz brut à des installations de liquéfaction américaines. Le Canada est encore à quelques années de pouvoir exporter du GNL à grande échelle.

L’inflation et l’énergie

La Banque du Canada a livré une lutte acharnée contre l’inflation en 2022, en faisant progressivement passer son taux directeur de 0,5 % en mars à 4,25 % en décembre. L’inflation accroît les coûts d’exploitation des producteurs de pétrole et de gaz, mais ronge peu leurs produits nets d’exploitation, étant donné la vigueur des prix des produits de base.

Le levier des taux d’intérêt n’est pas nécessairement efficace pour combattre l’inflation lorsque les prix sont poussés à la hausse par l’insuffisance de l’offre ou les prix élevés des produits de base. Au Canada, par exemple, où le secteur du transport utilise presque exclusivement du carburant diesel, l’augmentation de la facture de carburant est transférée aux consommateurs, dont l’épargne est déjà minée par la hausse des taux du crédit à la consommation.

Les taux d’intérêt ayant grimpé, et comme les banques classiques et certains investisseurs bien en vue ne se bousculent pas pour faire des affaires avec les producteurs pétroliers et gaziers de manière générale, les investissements en prospection ont été assez modestes en 2022. Quand les prix sont élevés, l’investissement dans le pétrole et le gaz augmente généralement, car les entreprises peuvent financer le forage par des émissions de titres de créance ou de participation, et pas seulement par leurs flux de trésorerie.

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La plupart des observateurs semblent penser que 2023 sera une année plus calme que 2022, qui pourrait s’accompagner d’un retour à une relative stabilité des prix des produits de base et à une baisse des taux d’intérêt. Cela dit, s’il y a un enseignement à tirer de 2022, c’est que les événements menaçant le panier énergétique peuvent ébranler l’économie de la planète tout entière. Il serait sans doute bien avisé de relancer les investissements dans les infrastructures énergétiques à présent que les choses se replacent. Cela se fera-t-il? L’avenir nous le dira.

L’innovation (et son financement) dans la marche vers la carboneutralité

Avant la COP 26 de Glasgow, en novembre 2021, et par la suite, le Canada s’est engagé maintes fois à réduire ses émissions de GES. Comme d’autres pays et territoires (à la COP 26, plus de 40 pays se sont engagés à accélérer l’innovation et le déploiement de technologies propres), le Canada compte beaucoup sur l’innovation et les technologies nouvelles pour atteindre ces objectifs. Le gouvernement canadien a lui-même noté que 50 % des réductions des émissions mondiales de GES d’ici 2050 devront provenir de technologies qui en sont encore à un stade de développement préliminaire. La détermination de ces technologies, leur financement et le soutien qu’elles nécessiteront ont été des thèmes de premier plan des politiques énergétiques, du secteur de l’investissement et du débat public au Canada en 2022.

À l’approche de la COP 26, le Canada a annoncé ses cibles nationales de réduction des émissions de GES en vertu de l’Accord de Paris (ce que l’Accord appelle la « contribution déterminée au niveau national » ou CDN). Il s’est notamment engagé à réduire ses émissions de 40 % à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 (soit de 406,5 à 443,4 Mt d’équivalent-CO2 environ) et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. En mars 2022, le gouvernement fédéral a publié son Plan de réduction des émissions pour 2030, qui définit plus précisément les cibles que le Canada devra atteindre pour respecter sa plus récente CDN. Ce plan énonce des politiques et des stratégies touchant de nombreux secteurs (bâtiments, transport, hydrocarbures, électricité, etc.) et propose de multiples mesures, dont la tarification du carbone et des normes encadrant les combustibles propres. Or, le Canada devra beaucoup compter sur des technologies nouvelles et des innovations pour atteindre ses objectifs. Les innovations et technologies suivantes ont retenu l’attention et fait l’objet d’importantes annonces de financement en 2022 :

Captage, utilisation et stockage du carbone (CUSC) – Le CUSC est au cœur de la plupart des plans pour l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050, dont ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et de l’Agence internationale de l’énergie. Il peut s’agir de capter le CO2 provenant d’applications industrielles ou de la production d’électricité pour l’utiliser dans des produits comme le béton et des carburants synthétiques faibles en carbone, ou encore de le stocker dans des formations géologiques profondes. Cette technologie est considérée comme un moyen de réduire les émissions, mais elle est aussi une pierre angulaire des stratégies axées sur l’hydrogène bleu qu’ont déjà déployées le Canada, l’Alberta, l’Ontario et la Colombie-Britannique.

Le CUSC a fait l’objet d’investissements importants en 2022, et des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine. En mars et en octobre, l’Alberta a sollicité, évalué et sélectionné pour examen 25 propositions en vue de doter la province de centres de séquestration du carbone.  Au cours de l’année, le gouvernement fédéral a sollicité des commentaires et fourni des précisions sur un crédit d’impôt à l’investissement (le crédit d’impôt pour le CUSC) qui s’appliquera aux investissements dans de l’équipement permettant de stocker en permanence le CO2 capté (ce crédit d’impôt devrait coûter environ 1,5 G$ par année et pourrait être élargi pour couvrir d’autres coûts et investissements). De nombreux autres investissements et incitatifs fiscaux ont aussi été annoncés en 2022, comme le financement d’études et de projets que proposent des entités comme Emissions Reduction Alberta et Alberta Innovates. Les gouvernements étaient aussi très au fait des incitatifs et crédits analogues offerts aux États-Unis en vertu de l’Inflation Reduction Act.

Extraction directe dans l’air (EDA) – L’EDA consiste à extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère au moyen de ventilateurs industriels en vue de son stockage souterrain ou d’autres utilisations. Pour être viable économiquement, cette technique doit être employée à proximité de sources d’énergie renouvelable. En 2022, le gouvernement fédéral a ajouté les projets d’EDA aux investissements admissibles au crédit d’impôt pour le CUSC. Des entités comme Emission Reduction Alberta et Alberta Innovates ont aussi proposé du financement. Des leaders canadiens de l’EDA, dont Carbon Engineering, ont par ailleurs bénéficié d’investissements d’Air Canada, de BMO et d’autres acteurs au cours de l’année.

Hydrogène – En 2022, Ottawa et les provinces et territoires ont étoffé leurs plans stratégiques respectifs pour l’hydrogène en investissant des sommes considérables dans des projets de production. Parmi les investissements annoncés, notons l’injection de 475 M$ de fonds publics dans le complexe de production d’hydrogène de l’entreprise Air Products et dans des projets de mélange d’hydrogène, notamment ceux d’Enbridge en Ontario et d’ATCO en Alberta. En août 2022, le Canada et l’Allemagne ont signé une déclaration d’intention conjointe en vue d’établir une alliance pour l’hydrogène entre les deux pays. Le gouvernement fédéral a aussi proposé d’établir un crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre qui s’appliquerait à partir de 2023; de nombreux paramètres de ce crédit d’impôt restent cependant à préciser.

Petits réacteurs modulaires (PRM) – Les PRM représentent des coûts d’investissement inférieurs à ceux des grands réacteurs, mais il reste à démontrer qu’ils se prêtent à la mise à l’échelle. Pour faire suite au Plan d’action canadien des petits réacteurs modulaires annoncé en décembre 2020, qui présentait les prochaines étapes à franchir pour développer et déployer cette technologie, le gouvernement fédéral a annoncé en octobre 2022 que la Banque de l’infrastructure du Canada octroiera 970 M$ à Ontario Power Generation pour le développement d’un PRM de 300 MW à l’échelle du réseau. Dans le même ordre d’idées, l’Ontario, l’Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont annoncé en mars 2022 un plan stratégique conjoint pour le développement et l’utilisation de PRM.

Fusion nucléaire – La fusion nucléaire crée de l’énergie en combinant deux atomes (habituellement des isotopes d’hydrogène). Elle produit une énergie acheminable (qui ne dépend pas de variables environnementales comme le soleil ou le vent) et ne crée pas d’émissions de carbone ni de déchets à longue durée de vie. À ce jour, cependant, elle ne fait pas partie des technologies pouvant contribuer à l’atteinte de la carboneutralité, puisque l’énergie requise pour produire la réaction dépasse l’énergie produite. La National Ignition Facility de la Californie a toutefois annoncé en décembre 2022 avoir réussi pour la première fois à produire un gain net d’énergie avec la fusion nucléaire. Grâce à cette percée majeure, une étape clé est franchie vers le but ultime : utiliser la fusion pour produire une énergie propre. Il faudra encore répéter l’exploit et perfectionner le procédé, alimenter la chaîne d’approvisionnement, mettre au point des prototypes à l’échelle industrielle, établir un cadre réglementaire et trouver du financement. Néanmoins, dirigeants et décideurs avisés devront désormais compter la fusion parmi les avenues qui pourraient contribuer à l’atteinte de la carboneutralité à moyen et à long terme.

Jurisprudence et législation

La Cour d’appel de l’Alberta juge inconstitutionnelle la Loi sur l’évaluation d’impact

La Loi sur l’évaluation d’impact (LEI) a reçu la sanction royale en juin 2019. Peu de temps après, dans un renvoi constitutionnel, le gouvernement albertain a demandé à la Cour d’appel de la province de déterminer si la LEI et son règlement d’application, le Règlement sur les activités concrètes, étaient inconstitutionnels, en tout ou en partie.

Dans sa décision de mai 2022, Reference re Impact Assessment Act (2022 ABCA 165), la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que la LEI visait principalement à établir un régime d’évaluation d’impact permettant au pouvoir exécutif fédéral de désigner, d’étudier et de réglementer des projets en fonction de leurs effets, notamment de leurs émissions de GES. Sur la base de cette description, la Cour a déterminé que la LEI empiétait gravement sur la compétence provinciale et ne relevait d’aucun chef de compétence fédérale, ce qui comprend l’intérêt national en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

Cette affaire marque un nouveau tournant dans la saga constitutionnelle qui trace les limites des compétences fédérales et provinciales en ce qui a trait aux lois modernes sur l’environnement. Ottawa s’est pourvu en appel devant la Cour suprême du Canada, et les réponses que celle-ci apportera aux questions constitutionnelles auront de répercussions sur les promoteurs de projets, les participants des marchés des ressources et les projets d’exploitation des ressources naturelles provinciales.

L’Alberta Sovereignty within a United Canada Act

Fidèle à la promesse phare de sa campagne électorale de protéger l’Alberta contre l’ingérence fédérale, la première ministre de la province, Danielle Smith, a déposé peu après son élection l’Alberta Sovereignty Within a United Canada Act (la « loi sur la souveraineté »), qui a reçu la sanction royale le 15 décembre 2022.

La loi sur la souveraineté permet à l’Assemblée législative de l’Alberta d’approuver des résolutions autorisant le lieutenant-gouverneur en conseil à prendre certaines mesures au motif qu’une initiative fédérale nuit, ou nuira vraisemblablement, aux intérêts des Albertains parce qu’elle intervient dans un champ de compétence constitutionnelle de la province ou porte atteinte aux droits garantis par Charte canadienne des droits et libertés. Fait important, ces mesures comprennent la possibilité [traduction] « d’émettre des directives à une entité provinciale et à ses membres, dirigeants et mandataires, de même qu’à la Couronne et à ses ministres et mandataires, à l’égard de l’initiative fédérale ».

La loi sur la souveraineté pourrait avoir des effets considérables et de grande portée, mais il est impossible de le savoir avec certitude tant que des mesures ne sont pas prises en vertu de la loi ou que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur sa constitutionnalité.  Les mesures de mise en application toucheraient vraisemblablement le secteur de l’énergie, la première ministre ayant demandé aux ministres provinciaux de passer en revue les lois fédérales conçues pour « [traduction] réglementer et contrôler l’exploitation des ressources naturelles de l’Alberta et son développement économique » et « pénaliser les secteurs de l’énergie et de l’agriculture de la province ».

La Cour d’appel refuse d’autoriser une action collective de propriétaires fonciers dans une affaire de déversement de pétrole

Dans l’affaire Rieger v. Plains Midstream Canada ULC, 2022 ABCA 28, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté la demande d’autorisation d’action collective de propriétaires de terrains situés à proximité du lac Glennifer, pour une réclamation contre une entreprise responsable d’un déversement de pétrole qui avait contaminé le lac.

Les demandeurs demandaient à la Cour d’autoriser une action collective au motif que les membres du groupe avaient été lésés par 1) la perte de jouissance du lac et de ses installations; et 2) une baisse de la valeur des propriétés qui n’avaient pas été physiquement touchées par le déversement.

Suivant l’analyse établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 1688782 Ontario Inc. c. Aliments Maple Leaf Inc., 2020 CSC 35, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de droit général à une protection contre la perte purement financière causée par négligence ou de façon intentionnelle. Pour être indemnisés d’une perte purement financière, les demandeurs auraient dû prouver tous les éléments constitutifs de la négligence et établir que leur préjudice était le résultat d’une atteinte à un droit susceptible d’être reconnu juridiquement. Pour la Cour, les demandeurs n’ont [traduction] « pas invoqué d’atteinte à un droit susceptible d’être reconnu juridiquement. En perdant la jouissance du lac Gleniffer, ils ont perdu la jouissance d’un espace public, et le déversement de pétrole n’a pas causé de dommage matériel à leur propriété ».3 La Cour a aussi conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir un lien de proximité pour justifier l’obligation de diligence Plains Midstream. La demande d’autorisation d’action collective a donc été rejetée.

Dans l’affaire Rieger, le plus haut tribunal de l’Alberta est venu baliser le groupe de demandeurs potentiels pouvant réclamer des dommages-intérêts en cas de déversement pétrolier.  Les propriétaires de lots avoisinants n’ayant pas été directement touchés auront maintenant beaucoup de difficulté à en obtenir.

La Cour d’appel clarifie la nature des obligations de fin de vie

Dans le plus récent épisode de la saga PricewaterhouseCoopers Inc. v. Perpetual Energy Inc., 2022 ABCA 111 (Perpetual Energy), la Cour d’appel de l’Alberta a clarifié la nature des obligations d’abandon et de remise en état, aussi appelées « obligations de fin de vie ».

Le syndic de faillite a déposé une demande alléguant que l’acquisition de certains biens pétroliers par Perpetual Energy Operating Corp. (PEOC), avant qu’elle soit renommée Sequoia Resources Corp. et qu’elle procède à une cession de faillite, était nulle selon l’article 96 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3. La décision reposait sur la conclusion selon laquelle PEOC était insolvable au moment de l’opération sous-évaluée de transfert des biens, ou l’est devenue en raison de cette opération.

La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait erré en concluant que les obligations d’abandon et de remise en état n’étaient pas [traduction] « des obligations échues ou à échoir » et que leur valeur aux fins de l’évaluation de la solvabilité fondée sur le bilan était de néant.  La Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd, 2019 CSC 5 (Redwater) que ces obligations ne peuvent pas être des « réclamations prouvables en matière de faillite », et que l’Alberta Energy Regulator n’est pas un « créancier » de ces obligations, ce qui ne signifie toutefois pas qu’elles n’existent pas, qu’elles constituent de simples hypothèses ou suppositions ou qu’elles ne valent rien.  Elles sont au contraire [traduction] « réelles et omniprésentes » et représentent « une part fondamentale de la valeur des biens visés par des permis ». Avant leur exécution complète, [traduction] « elles peuvent être tout sauf sans valeur ».  Comme l’évaluation des obligations de fin de vie réalisée par le syndic dépassait largement la valeur nette des biens, la Cour d’appel a accueilli l’appel et ordonné l’instruction de la question de l’article 96.

Vu cette décision, les parties qui vendent ou acquièrent des biens pétroliers doivent tenir pour acquis que la valeur actuelle des obligations d’abandon et de remise en état sera comptabilisée si un syndic de faillite cherche à faire reconnaître la nullité de l’opération au motif qu’elle était sous-évaluée.

Pour en savoir plus sur cette décision, lisez notre article intitulé Alberta Court of Appeal vindicates trustee in the latest Perpetual Energy decision.

La Cour suprême du Canada autorise le processus judiciaire demandé par un séquestre malgré une clause d’arbitrage

Dans l’arrêt récent Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp.4, la Cour suprême du Canada étudie l’interaction entre l’arbitrage et la mise sous séquestre, et donne des indications sur l’application de la doctrine de la séparabilité dans un contexte d’insolvabilité.

Dans cette affaire, Peace River Hydro Partners (Peace River) avait confié des travaux de construction en sous-traitance à Petrowest Corporation (Petrowest). Les contrats contenaient des clauses d’arbitrage obligatoire. Petrowest a fait l’objet d’une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Le séquestre a déposé une réclamation contre Peace River pour des sommes dont elle aurait été redevable envers Petrowest aux termes des contrats. Peace River a demandé une suspension de l’action au motif que, selon les contrats, la réclamation devait obligatoirement être réglée par voie d’arbitrage.

La Cour suprême a souligné que la partie qui cherche à faire appliquer une clause d’arbitrage, et donc à faire suspendre une procédure judiciaire, doit établir les conditions préliminaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire. Il s’agit généralement de démontrer qu’une convention d’arbitrage existe, qu’une procédure judiciaire a été intentée, que l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage, et que la partie demandant la suspension n’a pas encore agi dans l’instance.  Le tribunal peut refuser d’ordonner la suspension même lorsque ces conditions sont remplies s’il y a une exception statutaire.

La Cour a conclu que, malgré la présence des conditions préliminaires, les conventions d’arbitrage étaient inopérantes, puisqu’elles donnaient lieu à une multiplicité des procédures d’arbitrage qui aurait mis en péril le règlement ordonné et efficace de la procédure, ce qui aurait été contraire à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

L’arrêt Peace River nous rappelle que, malgré la présence de clauses d’arbitrage non équivoques dans des contrats commerciaux, les parties peuvent tout de même se retrouver devant les tribunaux, par exemple lorsque l’une d’elles ouvre une procédure d’insolvabilité et que l’on juge que l’arbitrage compromettrait son règlement ordonné et efficace.


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