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Perspectives

La Loi sur les Indiens : Comprendre la capacité juridique des Premières Nations au Canada

Une décision récente de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la Cour) nous aide à mieux comprendre la capacité juridique d’une Première Nation – reconnue comme bande selon la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5 (la Loi sur les Indiens) – de même que l’exemption de taxation prévue à l’article 87 de cette loi.

Qu’est-ce qu’une « bande » au Canada?

La capacité juridique des bandes fait couler de l’encre dans les tribunaux et les cabinets d’avocats depuis plusieurs décennies.

Selon la définition du terme, une « bande » serait un peu plus que le regroupement de ses membres. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens la définit comme un groupe d’Indiens, selon le cas :

  • à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;
  • à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent;
  • que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi.

Le concept de bande est une création de la Loi sur les Indiens qui vise notamment à établir une sorte d’entité avec laquelle la Couronne peut interagir et qui peut diriger une communauté autochtone. Cette genèse, la marginalisation historique des communautés autochtones et l’incapacité du gouvernement fédéral à trouver un consensus pour la modernisation de la loi qui persiste depuis un demi-siècle expliquent la difficulté que les tribunaux ont à catégoriser les bandes.

À la fin du vingtième siècle, des tribunaux ont comparé les bandes à des « associations non constituées en personnes morales »1, plutôt qu’à des « personnes physiques » ayant la pleine capacité d’ester en justice, ou par ailleurs d’exercer des activités, en leur nom2. Par conséquent, au début des années 2000, la pratique acceptée pour faire valoir les droits des autochtones (définis par les tribunaux comme étant des « droits collectifs ») était que le chef (et parfois le conseil) d’une Première Nation agisse en qualité de représentant de ses membres3.

Dans le monde du droit des affaires des années 1990, il était courant que des titres soient détenus en fiducie par le chef ou le conseil pour la bande, plutôt que par la société de développement économique de celle-ci. La pratique a encore cours à plusieurs endroits. De la même façon, la plupart des registres fonciers provinciaux n’enregistrent pas de droit foncier directement au nom d’une bande, sans qu’on sache trop pourquoi.

Ce flou quant à la capacité juridique d’une bande et les pratiques qui en découlent amènent leur lot de difficultés. La détention de titres en fiducie par des leaders politiques au nom d’une bande rend la création et la gestion de structures de développement économique plus risquées et plus coûteuses. La plupart des bandes qui veulent obtenir des propriétés foncières « en fief simple » hors de leur réserve doivent le faire par l’entremise de personnes morales, souvent avec des fiducies ou des sociétés en commandite, afin de conserver les avantages fiscaux accordés aux bandes. En cas d’élection contestée ou de décès inattendu, il peut être difficile d’obtenir une résolution des actionnaires. Cela amène aussi la question suivante : si une bande ne peut pas être actionnaire, comment peut-elle être bénéficiaire? En Colombie-Britannique, les définitions de « bénéficiaire » (beneficiary) dans la Trustee Act et d’actionnaire (shareholder) dans la Business Corporations Act parlent toutes deux de « personnes » (persons), sans préciser la définition générale donnée dans la Interpretation Act. Il ne faut pas non plus négliger l’incidence des nouvelles obligations d’information imposées aux fiducies dans de récentes modifications apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), pour les cas où les leaders détiennent des actifs en fiducie pour leur bande.

La décision New Westminster

Dans l’affaire British Columbia v. New Westminster Indian Band No. 566, 2022 BCCA 368 (New Westminster), la Cour a conclu que la bande était une « personne » devant payer des taxes sur les primes d’assurance aux termes de la Insurance Premium Tax Act, S.B.C. 1957, c. 58 (IPTA), mais que la nature de l’opération se rattachait assez étroitement aux terres de la réserve pour que l’exemption s’applique.

La bande avait obtenu du financement pour intenter des actions liées à la dépossession illégale de terres leur étant réservées, financement qui était garanti par une assurance litiges. La bande devait payer des primes pour cette assurance. Aux termes de l’IPTA, les « personnes » doivent payer des taxes sur les primes, et la province était d’avis que la bande était une « personne » tenue à cette obligation. La bande a payé les 42 941,41 $ qui lui ont été demandés à cette fin, puis a fait appel de la décision du ministre.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la bande n’était pas une personne pour l’application de l’IPTA. Elle a pour ce faire souligné que les bandes ne paient pas de taxes dans d’autres contextes et qu’elles ne sont pas considérées comme des personnes dans la Loi sur les Indiens. Elle a ordonné le remboursement des sommes payées aux termes de l’IPTA.

En appel, la Cour a conclu que la bande était une « personne » pour l’application de l’IPTA, mais que l’opération était exemptée de taxation en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, qui vise « les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ». Au fil des années, les tribunaux ont considéré que cette exemption s’appliquait à la vente de produits ou services qui devraient être réputée avoir eu lieu sur la réserve en fonction de différents « facteurs de rattachement » qui relient le bien visé à la réserve (voir Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877).

En l’espèce, la Cour a conclu qu’il y avait suffisamment de facteurs de rattachement liant les biens de la bande – soit les primes d’assurance – à la réserve, puisqu’ils servaient à aider la bande à récupérer des terres de réserve dont elle avait été (à son avis) illégitimement dépossédée. Au paragraphe 84, la Cour conclut ce qui suit :

[traduction] … Au final, élargir la phrase « biens meubles situés sur une réserve » pour y inclure des « biens meubles ayant un lien étroit avec la réserve » nous semble être une mesure modeste et appropriée.

Cette interprétation est certes modeste, mais elle est très importante pour la jurisprudence sur l’article 87 et elle risque de susciter l’intérêt d’autres parties et tribunaux.

Quant à la question de savoir si une bande est une « personne » au sens de l’ITPA, la Cour a examiné la jurisprudence récente et conclu ce qui suit (aux paragraphes 55-56) :

[traduction] Il ne fait aucun doute que les bandes sont assujetties à diverses responsabilités et restrictions qui ne sont pas imposées à d’autres personnes, et qu’elles ont des privilèges que d’autres personnes n’ont pas. […] Cela dit, je ne vois pas en quoi ces restrictions pourraient exclure la bande du statut de « personne » aux termes d’une loi d’application générale. Les sociétés sont elles aussi uniques, ou presque, à plusieurs égards, mais il est admis qu’elles sont généralement considérées comme des « personnes ». Autrement dit, à mon sens, une bande peut être à la fois une entité unique et une « personne ».

[…] la nature particulière d’une bande en tant que « groupe d’Indiens » devant conclure des affaires et avoir des relations avec d’autres Indiens, d’autres bandes et des personnes ne faisant pas partie de communautés autochtones semble militer en faveur du statut de personne morale. En l’espèce, par exemple, la bande a conclu des contrats d’assurance avec un assureur situé à Londres ainsi que des conventions de prêt avec la banque. La marche entre cette preuve de capacité et le statut de personne morale dans le contexte de l’IPTA n’est pas très haute, comme il s’agit d’une loi d’application générale qui ne doit donc pas, conformément à l’arrêt Nowegijick, être interprétée comme s’il s’agissait d’un traité ou de la Loi sur les Indiens.

Solutions législatives

Au cours du dernier quart de siècle, diverses initiatives législatives ont été prises pour aider des bandes à se voir reconnaître la même capacité juridique qu’une personne physique.

La Loi sur la gestion des terres des premières nations, L.C. 1999, c. 24 (LGTPN), récemment abrogée, donnait aux bandes des possibilités d’échapper à certains des éléments les plus paternalistes de la Loi sur les Indiens par rapport à l’utilisation et à la gestion des terres de réserve. Elle contenait aussi une disposition qui visait à évacuer tout doute quant à la capacité juridique d’une « première nation » ayant adopté un code foncier en vertu de la LGTPN (paragraphe 18(2))4 :

Elle a, à l’égard de ses terres, la capacité juridique nécessaire à l’exercice de ses attributions et peut notamment :

  1. acquérir et détenir des biens;
  2. conclure des contrats;
  3. contracter des emprunts;
  4. dépenser ou placer des fonds;
  5. ester en justice.

La plupart des ententes et des traités sur l’autonomie gouvernementale prévoient des dispositions – appuyées par la législation de mise en œuvre du fédéral – reconnaissant que la capacité juridique de la Première Nation signataire est celle d’une « personne physique ».

Des initiatives du genre ont aussi été prises par des provinces et des territoires. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a adopté une loi en 2022 qui ajoute à la Loi sur les sociétés en nom collectif et les raisons sociales, L.R.T.N.-O. 1988, c. P-1, une mention expresse de la capacité d’une bande à agir à titre de commanditaire d’une société en commandite5. En 2004, la Colombie-Britannique a ajouté la partie 24 à sa Land Title Act de façon à ce que certaines terres de réserve figurent au registre foncier de la province, mais seulement pour une bande que la législation fédérale reconnaît comme étant [traduction] « une entité juridique ayant la capacité d’une personne physique ».

Si ces solutions législatives ont la noble intention de préciser la capacité juridique des groupes autochtones tombant sous leur champ d’application, elles renforcent ironiquement la croyance populaire selon laquelle les bandes non visées (soit actuellement la majorité des bandes au Canada) n’ont pas cette capacité.

Évolution de la jurisprudence

Au cours des 25 dernières années, plusieurs tribunaux ont conclu que dans certains domaines précis, les bandes sont – ou devraient être – réputées avoir la capacité juridique.

Le tout a été habilement résumé par le juge Johnston dans l’affaire Willson v. British Columbia (Attorney General), 2007 BCSC 1324 (paragraphe 50) :

[traduction] Une bande a été considérée comme ayant la capacité juridique :

  • à titre d’employeur pour l’application du Code canadien du travail (voir A.F.P.C. c. Francis, 1982 CanLII 195 (CSC), [1982] 2 R.C.S 72);
  • à titre de personne juridique capable d’ester en justice pour déterminer la validité de la cession de terres de réserve (voir Bande indienne de Montana c. Canada, 1997 CanLII 6380 (CF), [1998] 2 C.F. 3 (1re inst.));
  • pour conclure des contrats et ester en justice relativement à des contrats (voir Clow Darling Ltd. v. Big Trout Indian Band (1989), 1989 CanLII 4321 (ON SC), 70 O.R. (2d) 56 (Ont. Dist. Ct.));
    pour signer un contrat de garantie (voir Telecom Leasing Canada (TLC) Ltd. v. Enoch Indian Band of Stony Plain Indian Reserve No. 135, 1992 CanLII 6177 (AB KB), [1993] 1 W.W.R. 373 (Alta. Q.B.));
  • pour ester en justice dans des actions entre bandes visant à déterminer à laquelle des deux revient le droit d’avoir la possession et la jouissance d’une réserve (voir Bande indienne Wewayakum c. Bande indienne Wewayakai, 1991 CanLII 13589 (CF), [1991] 3 C.F. 420 (1re inst.));
  • pour demander aux tribunaux de déclarer que certaines modifications apportées à la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5, sont inconstitutionnelles (voir Bande de Sawridge c. Canada, [2003] 3 C.L.N.R. 358 (C.F. 1re inst.));
  • comme partie à une action intentée par une société formée de 7 Premières Nations pour réclamer des droits de pêche ancestraux à la place de la société, à laquelle les Premières Nations ont été substituées (voir Anishinaabeg of Kabapikotawangag Resource Council Inc. v. Canada (Attorney General), 1998 CanLII 14758 (ON SC), [1998] 4 C.N.L.R. 1 (Ont. Ct.J.)).

Au paragraphe 57 de la décision Willson, le juge a conclu qu’une bande, selon la définition de la Loi sur les Indiens, [traduction] « a la personnalité juridique nécessaire pour ester en justice en son propre nom ». La Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a confirmé dans l’affaire Kwicksutaineuk/Ah-Kwa-Mish First Nation v. Canada (Attorney General), 2012 BCCA 193. Depuis, le domaine du litige dans cette province voit de plus en plus de bandes intenter des actions de plus en plus variées directement en leur nom, sans représentant.

D’autres décisions récentes ont élargi la notion de bande en tant que « personne », notamment :

  • dans l’affaire R. v. Big River First Nation, 2019 SKCA 117, où la cour a conclu qu’une Première Nation était un « corps public » visé par la définition de « personne » dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999);
  • dans l’affaire Cowessess First Nation No. 73 v. Phillips Legal Professional Corporation, 2018 SKQB 156, où la cour a conclu qu’une bande avait [traduction] « le statut nécessaire pour être une “personne à qui la note d’honoraires a été facturée” » au sens de la Legal Professions Act de la Saskatchewan.

Conclusion

En l’absence d’une solution législative universelle6, les tribunaux se sont montrés de plus en plus disposés à combler le vide entourant la qualité et la capacité juridique d’une bande, mais ils le font au cas par cas. La décision de la Cour dans l’affaire New Westminster nous donne un autre cas précis où une bande devrait être reconnue comme une personne ayant la capacité juridique, mais dans un libellé large qui – malgré la mise en garde de la Cour – sera certainement appliqué à d’autres contextes. Aussi, l’interprétation de la Cour du critère des « facteurs de rattachement » intéressera sans aucun doute les autres bandes et tribunaux qui doivent déterminer si une opération bénéficie de l’exemption de taxation prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

Le domaine du litige a grandement évolué au cours de la dernière décennie, et on reconnaît une large capacité juridique aux bandes. Du côté des services-conseils, la question n’est, à notre avis, pas encore aussi tranchée. Il y a certes de bons arguments juridiques et politiques en faveur d’une conduite des affaires plus simple et plus efficace des affaires pour les bandes, mais on est encore loin d’un consensus sur les pratiques et les procédures. Les Premières Nations, et les parties qui font affaire avec elles, doivent souvent adapter leur structure organisationnelle selon les lois applicables et la nature de l’opération.

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Pour en savoir plus sur la capacité juridique des Premières Nations au Canada ou sur d’autres sujets, communiquez avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.


1 Keewatin Tribal Council Inc. v. Thompson (City), 1989 CanLII 7267 (MB QB).

2 Voir par exemple : Mintuk v. Valley River Band No. 63A, [1977] 2 W.W.R. 309 (Man. C.A.); Otineka Development Corporation Limited v. R., (1994) 94 D.T.C. 1234, à la note de bas de page 1; Lac des Mille Lacs First Nation v. Canada, [2002] O.J. No 1977 (Ont Sup Ct).

3 Voir par exemple : Pasco v. Canadian National Railway Company, 1989 CanLII 249 (BCCA), p. 15.

4 La loi qui l’a remplacée, soit la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, entrée en vigueur en décembre 2022, semble limiter les situations dans lesquelles une Première Nation est réputée avoir la pleine capacité juridique pour les affaires liées à une « terre de première nation ».

5 Le nouveau paragraphe 57(2.1) est ainsi libellé : « Toute bande peut être commanditaire d’une société en commandite constituée en vertu du présent article, et constitue une personne en vertu de la présente loi à cette fin. »

6 Nous osons croire que si une modification peut être apportée à la Loi sur les Indiens avec l’aval de tous, c’est bien celle qui précisera la capacité juridique.

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