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Perspectives

Transparence des entreprises au Québec : nouvelles obligations en vigueur le 31 mars 2023

Le 31 mars 2023 entreront en vigueur d’importantes nouvelles obligations de divulgation au Registraire des entreprises du Québec (le « REQ»). Ces nouvelles obligations sont prévues à la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (la « Loi sur la transparence »), introduite par le projet de loi 78 sanctionné le 8 juin 2021 par l’Assemblée nationale du Québec, laquelle modifie la Loi sur la publicité légale des entreprises du Québec (la « LPLE »).

Il est également prévu qu’entrera en vigueur le projet de loi 7, Loi concernant la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 22 mars 2022 et modifiant d’autres dispositions législatives, présenté à l’Assemblée nationale du Québec le 1er février 2023 (le « projet de loi 7 »), et dont l’objectif est d’apporter des modifications à la Loi sur la transparence.

La Loi sur la transparence fait partie des mesures prises par le gouvernement du Québec dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la corruption et le blanchiment d’argent. Le gouvernement espère rendre plus transparent le contrôle des entreprises en exigeant des assujettis la divulgation de renseignements additionnels au REQ, dont l’information relative aux bénéficiaires ultimes.

Bien que plusieurs gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral aient instauré diverses mesures visant à améliorer la transparence des entreprises, la province du Québec est la première à adopter des mesures qui auront pour effet de rendre les renseignements sur les entreprises et leurs bénéficiaires ultimes accessibles au public.

Entreprises assujetties

La LPLE exige que certaines personnes et certains groupements de personnes soient immatriculés auprès du REQ, dont les sociétés par actions, les sociétés de personnes (incluant les sociétés en commandite ou en nom collectif), les fiducies qui exploitent une entreprise à caractère commercial, les coopératives, les entreprises individuelles et les autres groupements exerçant des activités au Québec, et ce, quel que soit leur lieu de constitution. 

L'obligation d’inscrire et de déclarer les bénéficiaires ultimes et de fournir les autres renseignements requis par la Loi sur la transparence s’appliqueront donc à tous ceux qui sont soumis à l’obligation de s’immatriculer en vertu de la LPLE, ainsi qu’aux personnes et groupements de personnes qui sont immatriculés volontairement (collectivement, les « assujettis »), à l’exception toutefois de certaines catégories d’entreprises dispensées. 

Parmi les catégories d’entreprises spécifiquement dispensées de déclarer leurs bénéficiaires ultimes figurent les personnes morales de droit privé à but non lucratif, les personnes morales de droit public, les émetteurs assujettis au sens de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, certaines institutions financières, les sociétés de fiducie régies par une loi provinciale ou fédérale, ou par une loi d’une autre province ou d’un territoire du Canada, les banques ou certaines banques étrangères, les associations au sens du Code civil du Québec. Le projet de Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur la publicité légale des entreprises (publié le 18 janvier 2023 et dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 31 mars 2023) ajoute à cette liste d’entreprises dispensées les syndicats de copropriété constitués en vertu du Code civil du Québec, et d’autres exceptions pourraient s’ajouter par règlement.

Notion de bénéficiaire ultime

Un bénéficiaire ultime est une personne physique qui détient un droit lui permettant de profiter d’une partie des revenus ou des actifs d’une entreprise ou un droit lui permettant de diriger ou d’influencer les activités d’une telle entreprise. Une entreprise peut avoir plusieurs bénéficiaires ultimes qui devront tous être déclarés au REQ.

Selon la Loi sur la transparence, est considéré comme un bénéficiaire ultime d’un assujetti toute personne physique qui satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

  • elle est détentrice, même indirectement, ou bénéficiaire, d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti :
    • qui lui confère la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote de l’assujetti;
    • qui correspond à 25 % ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités de l’assujetti.
  • elle a une influence directe ou indirecte telle que, qui si elle est exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti;
  • elle est le commandité, ou si un commandité de l’assujetti n’est pas une personne physique, elle satisfait à l’une ou l’autre des conditions ci-dessus ou est partie à une entente de vote mentionnée ci-dessous;
  • elle en est le fiduciaire (à noter cependant que toute personne morale agissant à titre de fiduciaire est considérée comme une personne physique);
  • dans certaines circonstances, elle est bénéficiaire d’une fiducie.

De plus, lorsque des personnes physiques détenant des actions, des parts ou des unités de l’assujetti (même indirectement) ont convenu d’exercer conjointement les droits de vote afférents à celles-ci et que cette entente a pour effet de leur conférer ensemble la faculté d’exercer 25 % ou plus de ces droits, chacune d’elles est considérée être un bénéficiaire ultime de l’assujetti.

Par ailleurs, depuis l’adoption de la Loi sur la transparence, le projet de Règlement sur la publicité légale des entreprises (publié le 21 décembre 2022, et dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 31 mars 2023) est venu ajouter qu’une personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une entité qui confère la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote de l’assujetti, ou qui correspond à 25 % ou plus de la juste valeur marchande de toutes les actions, parts ou unités de l’assujetti, est considérée comme un bénéficiaire ultime. Il en va de même de toute personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une entité partie à une entente de vote précédemment mentionnée.

Dans le cas d’une personne physique exploitant une entreprise individuelle, celle-ci est présumée en être la seule bénéficiaire ultime, à moins qu’elle ne déclare le contraire.

Quant à la notion de contrôle de fait mentionnée ci-dessus, le contrôle de fait survient lorsqu’une personne est en mesure d’influencer de manière importante les décisions d’une entreprise. Pour déterminer s’il existe une telle influence, les articles 21.25 et 21.25.1 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. Ainsi, pour déterminer si une personne a, relativement à une entreprise, une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait, l’ensemble des facteurs pertinents dans les circonstances doivent être considérés, ce qui implique une analyse juridique, documentaire et factuelle.

En ce sens, il est possible que les bénéficiaires ultimes d’un assujetti soient différents de ses actionnaires et détenteurs d’unités ultimes de l’entreprise, et les entreprises sont tenues de prendre les moyens nécessaires, c’est-à-dire tous les moyens qui s’imposent, pour retracer et pour s’assurer de l’identité de leurs bénéficiaires ultimes. Selon le REQ, prendre les moyens nécessaires élève les efforts à une norme supérieure à celle de prendre des moyens raisonnables; l’entreprise doit par conséquent procéder à une analyse juridique, documentaire et factuelle rigoureuse de sa situation. Notamment, ceci comprend l’analyse de son capital-actions et des conventions susceptibles d’influencer la façon dont les droits de vote sont exercés.

Dans certaines situations, la Loi sur la transparence prévoit qu’un bénéficiaire ultime peut être une entreprise assimilée à une personne physique. C’est le cas notamment des entités qui sont elles-mêmes dispensées de la divulgation de leurs bénéficiaires ultimes. Le bénéficiaire ultime est alors une entreprise. L’entreprise n’a pas dans ce cas à continuer la recherche pour trouver les personnes physiques contrôlant celle-ci. Elle doit déclarer le nom de l’entreprise à titre de bénéficiaire ultime, que cette entreprise soit ou non immatriculée au REQ. Par exemple, une société par actions dont plus de 25 % des actions avec droit de vote seraient détenues par un émetteur assujetti au sens de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec pourra indiquer l’émetteur assujetti comme bénéficiaire, sans avoir à remonter davantage la chaîne de détention de l’émetteur assujetti pour en identifier les personnes physiques qui sont ses bénéficiaires ultimes.

Bien que dans certains cas, les bénéficiaires ultimes pourront aisément être identifiés, en d’autres circonstances l’exercice pourrait s’avérer fort complexe, particulièrement dans le cas de structures de détention élaborées, ou lorsque diverses ententes possèdent une incidence sur le contrôle des entités. La détermination de la juste valeur marchande des actions, parts ou unités sera sans doute également un défi de taille pour certaines entreprises.

Déclaration des bénéficiaires ultimes

Les assujettis devront fournir à l’égard de chacun de leurs bénéficiaires ultimes les renseignements suivants : les nom et prénom, les autres noms utilisés au Québec et sous lesquels le bénéficiaire s’identifie (pseudonymes), l’adresse de domicile, la date de naissance, la date à laquelle il est devenu bénéficiaire ultime et celle à laquelle il a cessé de l’être, ainsi que le type de contrôle exercé ou le pourcentage d’actions, de parts ou d’unités qu’il détient ou dont il est bénéficiaire. À noter toutefois que selon le projet de loi 7, l’exigence de divulguer le type de contrôle exercé ou le pourcentage d’actions, de parts ou d’unités qu’il détient ou dont il est bénéficiaire serait remplacée par l’obligation de déclarer la condition en vertu de laquelle il est devenu bénéficiaire ultime, le pourcentage des droits de vote qu’il peut exercer selon le nombre d’actions, de parts ou d’unités qu’il détient ou contrôle, ou dont il est bénéficiaire, ou le pourcentage de la juste valeur marchande correspondant à la valeur du nombre d’actions, de parts ou d’unités qu’il détient ou contrôle, ou dont il est bénéficiaire.

Selon le Règlement sur la publicité légale des entreprises, la déclaration du pourcentage des droits de vote et de la juste valeur marchande précédemment mentionnée serait exprimée par tranches, soit de 25 % à 50 %, de plus de 50 % à 75 %, ou de plus de 75 %.

Obligations de divulgation visant les personnes physiques mentionnées au REQ

La Loi sur la transparence exige de plus que la date de naissance de toutes les personnes physiques dont les noms doivent apparaître au REQ (hormis les bénéficiaires pour lesquels l’information requise est mentionnée ci-dessus) soit divulguée à ce dernier (en plus de leurs noms et de l’adresse de leur domicile, qui étaient déjà requis).

Les entreprises devront donc fournir au REQ les dates de naissance et adresses de domicile de chacun de leurs administrateurs, dirigeants (président, secrétaire et principal dirigeant), associés, individus qui en sont actionnaires et autres personnes dont les noms doivent autrement être soumis au registraire.

Cependant, si la personne physique souhaite que l’adresse de son domicile ne soit pas publiée au REQ, il est possible de déclarer son adresse professionnelle, si elle en possède une, c’est-à-dire l’adresse de son principal lieu de travail ou d’affaires. Le REQ précise d’ailleurs qu’une personne physique ne peut avoir qu’une seule adresse professionnelle et que celle-ci doit être la même, peu importe l’entreprise dans laquelle cette personne physique se trouve. Les cases postales à titre d’adresse professionnelle ne sont pas acceptées.

Lorsque l’adresse professionnelle d’une personne physique devient invalide, l’entreprise devra mettre à jour l’information dans les 30 jours suivant la demande faite par le REQ. Si l’entreprise ne se conforme pas à l’obligation de mettre à jour cette adresse professionnelle, l’adresse du domicile sera alors publiée.

Nouvelles obligations visant les administrateurs

Les assujettis devront en outre fournir une copie d’une pièce d’identité, avec ou sans photo, pour les administrateurs en poste, de même que pour tout nouvel administrateur qui s’ajoutera, comme preuve de leur identité.

La copie de la pièce d’identité sera conservée par le REQ jusqu’à la date de l’immatriculation de l’entreprise ou du dépôt de la déclaration de mise à jour au dossier de l’entreprise. Elle sera par la suite détruite.

La pièce d’identité doit être valide (c.-à-d. non expirée), lisible et émise par une autorité gouvernementale, et faire partie des pièces acceptées par le REQ, qui divergent selon qu’il s’agisse d’un administrateur canadien ou étranger. Elle doit indiquer les nom, prénom et date de naissance de la personne physique.

Information publique

La plupart des informations qui seront nouvellement communiquées au REQ seront publiques, à l’exception de la date de naissance des individus, de la copie de la pièce d’identité et de l’adresse du domicile d’une personne physique mentionnée au REQ, si une adresse professionnelle valide a été déclarée tel que mentionné précédemment.

Par ailleurs, certaines informations relatives à une personne mineure qui serait le bénéficiaire ultime d’une entreprise ne figureront pas au REQ. Cependant, une mention sera tout de même inscrite au REQ, précisant qu’il existe un bénéficiaire ultime.

Une personne pourra par ailleurs demander au REQ de rendre non publiables ses informations personnelles lorsqu'elle a des motifs raisonnables de croire que la diffusion desdites informations représente une menace sérieuse à sa sécurité. Le REQ décidera en fonction des critères stricts exigés par la loi et de l'urgence d'agir face à la situation qui lui a été présentée. 

De plus, certaines entités et organisations gouvernementales pourront également avoir accès aux renseignements détenus par le REQ aux termes d’ententes conclues avec celui-ci.

À partir du 31 mars 2024, la recherche à l’aide du nom et du prénom d’une personne physique sera permise au REQ afin de connaître les personnes liées à une entreprise.

Échéanciers et prochaines étapes

Bien que les nouvelles obligations en vertu de la Loi sur la transparence entrent en vigueur le 31 mars 2023, la Loi sur la transparence prévoit que les nouveaux renseignements devront être transmis au REQ à partir du 31 mars 2023 et avant la fin de la période de production de la déclaration de mise à jour annuelle de l’entreprise qui suit le 31 mars 2023.

Les assujettis immatriculés au REQ qui sont présentement dans la période de production de leur déclaration annuelle et qui souhaiteraient bénéficier d’une plus longue période afin de rassembler l’information pertinente pourraient donc déposer leur prochaine déclaration annuelle avant le 31 mars 2023, et ainsi profiter d’une année de plus pour recueillir les nouveaux renseignements.

Il est probable que la collecte de l’information requise afin de se confirmer aux nouvelles obligations demandera un temps considérable et pourrait soulever plusieurs questions. Nous suggérons donc de ne pas tarder à procéder aux vérifications nécessaires.

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Veuillez noter que cette publication ne vise qu’à communiquer des renseignements généraux sur de nouvelles questions d’ordre juridique et ne constitue pas ni ne doit être considérée comme un avis juridique sur ces questions.

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