La diversité au sein des conseils d’administration demeure une considération importante au Canada malgré le changement de cap aux États-Unis. Les émetteurs inscrits en bourse dans les deux pays doivent faire attention à leurs obligations d’information.
Points à retenir
- Aux États-Unis, des conseillers en vote par procuration, des investisseurs institutionnels et d’autres parties prenantes ont aboli ou modifié leurs politiques sur la diversité au sein du conseil d’administration et de la haute direction à l’intention des sociétés ouvertes.
- Pour l’heure, les lignes directrices canadiennes sur le vote par procuration publiées par les conseillers en procuration et investisseurs institutionnels tiennent toujours compte de la diversité du conseil pour la période de sollicitation de procurations de 2025.
- De nouvelles exigences sur la présentation de l’information relative à la diversité sont proposées au Canada, notamment pour les institutions financières fédérales (IFF).
- Les émetteurs inscrits à la cote de bourses au Canada et aux États-Unis doivent bien comprendre leurs obligations légales pour déterminer la meilleure façon de présenter leur information pour répondre aux exigences des actionnaires dans un paysage normatif en pleine mutation.
Politique au sud de la frontière
Le président Trump ne cache pas le dédain de son administration à l’égard des politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI). Ses récents décrets à ce sujet (voir par exemple celui-ci, celui-ci et celui-ci) font état de sa position et reflètent le point de vue de certains investisseurs et autres intervenants quant aux pratiques d’EDI dans les entreprises. Vu ces décrets et l’hostilité croissante envers l’EDI, nombre de conseillers en vote par procuration et d’investisseurs institutionnels de premier plan ont décidé de retirer la diversité au sein du conseil de la liste des considérations dans leurs lignes directrices sur le vote.
- Institutional Shareholder Services (ISS) a annoncé le 11 février dernier [traduction] « le retrait indéfini de certains facteurs en lien avec la diversité pour les recommandations sur les votes se rapportant à l’élection d’administrateurs de sociétés américaines ». Pour les assemblées des actionnaires des sociétés par actions des États-Unis (ce qui comprend des émetteurs constitués au Canada qui sont inscrits à la cote d’une bourse américaine et considérés comme des « émetteurs nationaux » par la SEC), le genre, la race et l’origine ethnique n’auront plus d’incidence sur les recommandations d’ISS. Comme nous l’expliquons plus en détail ci-après, ce changement vise seulement la politique d’ISS pour les votes aux États-Unis.
- Blackrock a mis à jour ses lignes directrices sur le vote par procuration aux États-Unis pour 2025 en retirant ses cibles de diversité (conseil composé de deux femmes et de 30 % de membres issus de la diversité pour les sociétés du S&P 500). De plus, les sociétés n’ont plus à expliquer leur approche en matière de diversité au sein du conseil. Blackrock peut tout de même prendre des mesures si le conseil d’une société du S&P 500 ne respecte pas les normes du marché. Vu la pratique générale actuelle, la cible de diversité de 30 % pourrait donc tout de même être appliquée.
- Vanguard a aussi mis à jour sa politique sur le vote par procuration aux États-Unis pour 2025 en reculant sur ses positions en matière de diversité au sein du conseil. Vanguard ne recommandera plus de vote défavorable à l’endroit des présidents de comités de mise en candidature qui n’ont pas pris de mesures adéquates pour obtenir un conseil « adéquatement représentatif ». Les références à des traits se rapportant à la diversité (genre, race et origine ethnique) ont aussi disparu, même si la « diversité cognitive » figure toujours dans la politique. Vanguard précise qu’elle pourrait recommander le rejet de candidatures si la composition du conseil et les pratiques d’information s’écartent des normes du marché.
Il n’y a pas que chez les investisseurs qu’on remarque un recul des politiques d’EDI sur les marchés financiers américains. En décembre 2024, la Cour d’appel des États-Unis pour le cinquième circuit a invalidé les règles du marché Nasdaq sur la diversité au sein des conseils au motif que, en les approuvant, la Securities and Exchange Commission (SEC) avait outrepassé ses pouvoirs législatifs. Ces règles obligeaient les sociétés cotées au Nasdaq à dévoiler le nombre de personnes siégeant à leur conseil d’administration ainsi que leur genre, race, origine ethnique et appartenance ou non à la communauté LGBTQ+. Ces sociétés devaient aussi avoir au moins deux administrateurs issus de la diversité ou expliquer pourquoi elles n’en avaient pas. La SEC pourrait porter cette décision en appel, mais vu les visées de la nouvelle administration américaine et le président qui vient d’être nommé à la SEC, il y a peu de chances que cela se produise.
Accentuation des obligations sur l’information en matière de diversité en vue au Canada
Si les tendances américaines en matière de gouvernance se transposent souvent au Canada, pour les questions d’EDI, le Canada semble déterminé à conserver sa propre approche, surtout vu l’élan actuel pour la société distinctive canadienne.
Plusieurs sociétés canadiennes cotées en bourse doivent respecter des règles et répondre à des attentes d’investisseurs quant à la présentation d’information sur leur approche en matière de diversité.
- Droit des valeurs mobilières : Les émetteurs non émergents assujettis doivent présenter chaque année des renseignements sur leurs pratiques relativement à la présence de femmes au sein des conseils et hautes directions, conformément à l’Annexe 58-101A1 – Information concernant la gouvernance. Des données récemment publiées par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières montrent que ces exigences ont eu des effets : les femmes occupent 29 % des sièges aux conseils d’administration des sociétés canadiennes cotées en bourse (comparativement à 11 % il y a dix ans).
- Droit des sociétés : Les sociétés ayant fait appel au public constituées sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) (généralement des sociétés ouvertes) doivent aussi annuellement présenter de l’information sur les « groupes désignés », c’est-à-dire les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles.
- Les lois sur les valeurs mobilières tout comme la LCSA exigent que les sociétés « se conforment ou s’expliquent » en présentant de l’information sur (i) le nombre et le pourcentage des membres du conseil d’administration et de la haute direction qui sont issus de la diversité, (ii) l’adoption ou non d’une politique écrite sur la diversité, (iii) le fait que la représentation de la diversité soit prise en compte ou non dans la recherche de candidats aux postes d’administrateur ou de haut dirigeant et leur nomination, et (iv) l’adoption ou non de cibles ou d’autres mesures de renouvellement du conseil ou de la haute direction.
- ISS : À de rares exceptions, pour les sociétés de l’indice composé S&P/TSX, ISS recommande aux actionnaires de s’abstenir de voter en faveur du président du comité de mise en candidature (ou d’un autre comité ayant cette responsabilité ou, s’il n’y a pas de tel comité, le président du conseil d’administration) lorsque les femmes représentent moins de 30 % du conseil d’administration (ou lorsqu’aucune femme n’y siège, dans le cas des émetteurs non compris dans l’indice composé). Pour les sociétés de l’indice composé S&P/TSX, ISS recommande aussi un vote contre ou une abstention à l’égard du président du comité de mise en candidature (ou d’un autre comité ayant cette responsabilité ou, s’il n’y a pas de tel comité, le président du conseil d’administration) lorsqu’il n’y a pas de diversité raciale ou ethnique apparente au sein du conseil (c’est-à-dire, selon la définition d’ISS, qu’il n’y a pas de membres des peuples autochtones ou des minorités visibles).
- Glass Lewis : Pour les émetteurs inscrits à la TSX, Glass Lewis recommande généralement de voter contre le président du comité de mise en candidature si la diversité de genre au sein du conseil se situe sous les 30 %, ou contre le comité dans son ensemble si aucun membre du conseil n’est issu de la diversité de genre. Pour les petits émetteurs cotés en bourse, Glass Lewis s’attend à ce qu’au moins un membre du conseil soit issu de la diversité de genre.
- Globe & Mail (Board Games) : En 2025, un total de 13 points (soit 13 %) de la note d’une société seront consacrés au critère de la diversité. Les 13 points seront alloués si : les femmes représentent plus de 33 % des membres du conseil d’administration, la société indique expressément que plus d’un des membres du conseil est issu d’un groupe de diversité (et précise quel est ce groupe), la société explique le processus qu’elle utilise pour considérer la candidature de personnes qui se disent membre d’un groupe de diversité et la société a des cibles internes pour la représentation des femmes et d’autres groupes de diversité au sein du conseil.
- CCGG : La Coalition canadienne pour une bonne gouvernance (CCGG) n’a pas modifié sa politique sur la diversité de genre publiée en 2018, laquelle recommande toujours aux conseils d’adopter une politique sur la diversité de genre qui comprend une cible d’au moins 30 %. Dans sa publication Bâtir des conseils d’administration hautement performants (2025), la CCGG réitère qu’elle s’attend à ce que le conseil dans son ensemble soit diversifié et inclusif et qu’elle appuie la fixation de cibles significatives par la société. Elle fait remarquer que « [l]es investisseurs sont de plus en plus sceptiques à l’égard des conseils d’administration qui justifient un manque de diversité en s’appuyant uniquement sur des processus de nomination basés sur le mérite ».
En partant de ces exigences et attentes, plusieurs propositions visant à accentuer les obligations d’information concernant la diversité sont sur la table au Canada :
- Modernisation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi : Les exigences de la LCSA sur l’information relative à la diversité dépendent de la définition du terme « groupes désignés » figurant dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). En 2021, le gouvernement du Canada a mis sur pied le Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi qui, comme son nom l’indique, avait le mandat de procéder à un examen exhaustif de la LEE. Dans son rapport final, Réaliser et soutenir l’équité en matière d’emploi : un cadre transformatif, le groupe de travail recommande notamment de remplacer le terme « groupe désigné » par le terme « groupe visé par l’équité en matière d’emploi », qui aurait une définition élargie. À la suite des recommandations, le gouvernement du Canada a réalisé une consultation sur les engagements initiaux relativement à la modernisation de la LEE. À ce jour, aucune modification n’a été apportée à la LEE et aucune modification correspondante n’a été proposée pour la LCSA. Cela dit, un changement dans les définitions de la LEE sera vraisemblablement suivi d’un changement correspondant dans la LCSA, et cela pourrait élargir les obligations d’information prévues dans cette dernière.
- Proposition des ACVM sur l’information relative à la diversité : Au début de l’année 2023, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont proposé des modifications à l’Annexe 58-101A1 – Information concernant la gouvernance et à l’Instruction générale 58-201 relative à la gouvernance en lien avec l’information sur la gouvernance que les émetteurs non émergents doivent fournir chaque année. Les modifications proposées font état de deux approches distinctes relativement à cette information, et en particulier à la diversité. Les deux approches demandent toutefois davantage de transparence sur la diversité dans les conseils d’administration et les hautes directions. Pour en savoir plus sur chacune de ces propositions, consultez notre article antérieur (en anglais seulement). Les ACVM ont indiqué qu’elles continuaient d’étudier les commentaires reçus lors de la consultation et de travailler à l’harmonisation des règles d’information à l’échelle nationale.
- Institutions financières fédérales : Le ministère des Finances du Canada a publié aux fins de consultation des règlements associés à la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, à la Loi sur les banques et à la Loi sur les sociétés d’assurances (collectivement, les lois régissant les institutions financières). S’ils sont adoptés, ces règlements obligeront certaines institutions financières fédérales (de façon générale, les banques et les sociétés d’assurance) à présenter chaque année à leurs actionnaires de l’information sur la composition de leurs équipes de haute direction. Les IFF devront indiquer la durée des mandats des membres du conseil d’administration et les modalités de renouvellement, leurs politiques écrites sur la diversité, la façon dont elles tiennent compte de la diversité dans la recherche et la sélection de hauts dirigeants, leurs cibles de représentation ainsi que le nombre et la proportion de personnes issues de groupes désignés au sein de leur conseil d’administration et de leur haute direction. Selon la définition donnée dans les règlements proposés, la haute direction se compose des président et vice-président du conseil d’administration, du président, du chef de la direction, du chef des finances, de tout vice-président responsable de l’une des principales unités d’exploitation ou divisions, ou de l’un des principaux secteurs d’activités, et de tout dirigeant qui relève directement du conseil d’administration, du chef de la direction ou du chef de l’exploitation. Comme dans la LCSA, les groupes désignés visés par les obligations d’information sont les femmes, les Autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis), les personnes handicapées et les personnes faisant partie des minorités visibles.
Recommandations pour les émetteurs canadiens
Les émetteurs cotés en bourse au Canada doivent continuer de respecter leurs obligations d’information concernant la diversité. Ils doivent aussi penser aux attentes des parties prenantes et des investisseurs. Il faut pour cela avoir un dialogue constant avec l’actionnariat et savoir si les principaux investisseurs sont susceptibles de suivre les recommandations formulées par les conseillers en vote par procuration sur les décisions liées à la diversité et à la gouvernance.
Le portrait pourrait être différent pour les émetteurs qui sont aussi inscrits à la cote d’une bourse des États-Unis ou ont des activités importantes au sud de la frontière vu les nouvelles politiques. Ceux qui veulent respecter les politiques sur le vote d’ISS et qui sont considérés comme des « émetteurs étrangers privés » aux États-Unis sont généralement assujettis aux politiques canadiennes d’ISS, qui tiennent toujours compte des questions de genre et de diversité raciale et ethnique. Les émetteurs inscrits en bourse dans les deux pays qui sont considérés comme des « émetteurs nationaux des États-Unis » et sont assujettis aux mêmes normes d’information et d’inscription que les sociétés constituées aux États-Unis (et doivent donc déposer le formulaire DEF14A sur le vote par procuration) sont généralement évalués à la lumière des lignes directrices américaines d’ISS. Vu les changements apportés aux lignes directrices américaines d’ISS, ces émetteurs doivent tenter de respecter les exigences canadiennes et les pratiques du marché américain.
Outre les lignes directrices sur le vote par procuration, les émetteurs doivent connaître les obligations auxquelles ils sont assujettis dans chacun des pays. Malgré l’incertitude qui plane aux États-Unis quant aux initiatives d’EDI et le relâchement sur la présentation d’information qui semble y être permis, les obligations d’information canadiennes sont encore en vigueur et les bonnes pratiques à leur égard sont toujours de mise. Les énoncés sur la diversité doivent être étayés et doivent refléter les pratiques réelles de la société, sans quoi cette dernière pourrait être accusée de déclaration fausse ou trompeuse.