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Adoption du projet de loi 89 : Vers une considération accrue des besoins de la population lors de grève ou de lock-out

Le 29 mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté, à la majorité, le projet de loi 89, intitulé Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out (la « Loi 89 » ou la «Loi »), qui vise à encadrer les conflits de travail afin d’en atténuer les impacts sur la population.

Pour ce faire, cette loi introduit de nouvelles dispositions visant les employeurs et les syndicats du Québec dont les relations de travail sont régies par le Code du travail.

Les nouveaux mécanismes de résolution des conflits de travail

La Loi 89 comporte deux volets. D’une part, elle vise à assurer le maintien de certains services assurant le bien-être de la population, définis comme étant les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale au Québec, en particulier auprès de segments de la population en situation de vulnérabilité. D’autre part, elle accorde au ministre du Travail un pouvoir discrétionnaire d’intervention en cas de conflit de travail, lui permettant d’imposer un arbitrage afin de déterminer les conditions de travail des salariés visés par l’unité de négociation en grève ou en lock-out.

Ces deux volets se résument comme suit à travers divers rôles, pouvoirs et droits :

Le rôle du Tribunal administratif du travail dans le maintien de services assurant le bien-être de la population

  • La Loi 89 confère au gouvernement le pouvoir de désigner, par décret, un syndicat et un employeur à l’égard desquels le Tribunal administratif du travail (le « Tribunal ») peut déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out. Ce décret demeure en vigueur jusqu’au dépôt d’une convention collective ou d’une sentence arbitrale en tenant lieu.
  • À compter du moment où le droit à la grève ou au lock-out est acquis, le Tribunal peut, à la demande du syndicat ou de l’employeur désigné par ce décret et après avoir donné aux parties l’occasion de présenter leurs observations, ordonner le maintien des services assurant le bien-être de la population en cas de conflit de travail. Les « services assurant le bien-être de la population » sont définis comme étant « les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celles des personnes en situation de vulnérabilité ».
  • Une décision ordonnant le maintien des services assurant le bien-être de la population en cas de grève ou de lock-out s’applique uniquement pour la phase des négociations en cours.
  • Dans les 7 jours ouvrables francs suivant la notification de cette décision, le syndicat et l’employeur doivent négocier les services assurant le bien-être de la population à maintenir en cas de grève ou de lock-out. Sur réception de l’entente intervenue entre les parties, le Tribunal évalue la suffisance de ces services. Or, à défaut d’entente entre les parties ou s’il juge que les services prévus par l’entente sont insuffisants, il détermine les services à maintenir ou la façon de les maintenir.
  • La grève ou le lock-out en cours se poursuit malgré une décision du Tribunal ordonnant le maintien de services assurant le bien-être de la population, sauf s’il juge que des circonstances exceptionnelles justifient de suspendre l’exercice du droit de grève ou de lock-out jusqu’à ce qu’il rende une décision concernant la suffisance des services assurant le bien-être de la population à maintenir en cas de conflit de travail.
  • La Loi précise que le syndicat ou l’employeur qui contrevient à une entente ou une décision du Tribunal visant les services assurant le bien-être de la population à maintenir en cas de grève ou de lock-out, est passible d’une amende de 1 000 $ à 10 000 $ pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel cette entente ou décision n’est pas respectée.

Le pouvoir d’intervention du ministre du Travail

  • Le ministre du Travail peut, s’il estime qu’une grève ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population, déférer le différend à un arbitre afin que ce dernier détermine les conditions de travail des salariés visés par l’unité de négociation en grève ou en lock-out. Il ne peut déférer le différend à l’arbitrage que lorsque l’intervention d’un conciliateur ou d’un médiateur s’est avérée infructueuse.
  • La grève ou le lock-out prend fin dès que le différend est déféré à un arbitre.

Le droit au lock-out en matière de services publics

  • La Loi 89 prévoit qu’un lock-out peut maintenant être déclaré dans un service public pourvu que le droit au lock-out ait été acquis et que l’employeur donne un avis écrit d’au moins sept (7) jours ouvrables francs au ministre et au syndicat indiquant le moment où il entend recourir au lock-out. On entend notamment par « service public » une municipalité, une entreprise de transport terrestre, une entreprise de production, de transport, de distribution ou de vente de gaz ou d’électricité, une entreprise de services ambulanciers, etc.
  • Malgré cette modification apportée par la Loi, le lock‑out demeure interdit dans un service public visé par une décision du Tribunal ordonnant le maintien des services essentiels en cas de grève, lorsque ce dernier estime qu’une grève risque de mettre en danger la santé ou la sécurité publique.

Une réforme inspirée des pouvoirs d’intervention du ministre de Travail fédéral

Il est intéressant de noter que la Loi 89 s’inspire des pouvoirs d’intervention conférés au ministre fédéral du Travail par le Code canadien du travail. Ce dernier a d’ailleurs exercé ces pouvoirs récemment en ordonnant un arbitrage dans le cadre d’un conflit majeur opposant le syndicat de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada aux compagnies ferroviaires Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), afin d’éviter une paralysie du transport ferroviaire. L’exercice de ces pouvoirs par le ministre fédéral du Travail a fait l’objet de contestations devant le Conseil canadien des relations industrielles et les tribunaux fédéraux, au motif qu’il porterait atteinte à la liberté d’association garantie à l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

Il est utile de rappeler qu’en 2015, dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, la Cour suprême du Canada a reconnu que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté d’association garantie par la Charte. Le plus haut tribunal du pays a précisé que toute restriction excessive à ce droit pourrait constituer une violation constitutionnelle.

Cela dit, plusieurs distinctions importantes subsistent entre le mécanisme fédéral et la Loi. En vertu du Code canadien du travail, le ministre du Travail fédéral peut, lorsque cela est opportun ou requis pour favoriser la paix industrielle, déférer des questions au Conseil canadien des relations industrielles ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires, par exemple de soumettre le différend à l’arbitrage.

Au Québec, la Loi ne prévoit pas un tel automatisme. Elle permet plutôt au Tribunal, après que le ministre du Travail ait désigné un syndicat et un employeur par décret, et sur demande de l’une des parties désignées, de déterminer s’il y a lieu de maintenir certains services en cas de grève ou de lock-out. Quant à l’arbitrage, il ne pourrait être ordonné par le ministre du Travail que s’il estime qu’une grève ou un lock-out cause ou est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable à la population, et seulement à la suite de l’échec de la médiation ou de la conciliation.

Certaines préoccupations demeurent

En instaurant un mécanisme de maintien des services assurant le bien-être de la population en cas de grève ou de lock-out, la Loi 89 fera probablement l’objet de vives contestations judiciaires, notamment en raison de son incidence potentielle sur la liberté d’association, un droit protégé par la Charte. En particulier — et comme on l’observe au fédéral —, les dispositions relatives à la suspension de l’exercice du droit de grève pourraient être contestées par les syndicats, notamment si les restrictions au droit de grève sont jugées excessives.

Par ailleurs, l’absence de définition de certaines notions utilisées dans la Loi, telles que la « sécurité sociale de la population », la « sécurité économique de la population », la « sécurité environnementale de la population », ainsi que les « personnes en situation de vulnérabilité », laisse place à l’interprétation et entraîne une incertitude importante quant aux services qui pourraient effectivement faire l’objet d’une ordonnance de maintien du Tribunal en cas de conflit de travail. Il en va de même quant aux notions de « circonstances exceptionnelles » et de « préjudice grave ou irréparable » permettant respectivement au Tribunal et au ministre du Travail de suspendre l’exercice du droit de grève ou de lock-out. La portée de ces termes devra nécessairement être précisée par les tribunaux.

À retenir

Sanctionnée le 30 mai 2025, la Loi 89 entrera en vigueur six mois plus tard, soit le 30 novembre 2025. Ses impacts sur la gestion des conflits de travail au Québec n’ont pas encore été mesurés, mais pourraient s’avérer importants. Un employeur prudent souhaitera donc suivre de près l’évolution de son interprétation et de sa mise en œuvre afin de mieux évaluer les effets potentiels sur ses activités et d’adapter, au besoin, ses stratégies en matière de relations de travail et de gestion des conflits de travail.

Le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG peut vous accompagner dans l’analyse des effets possibles de la Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out sur votre entreprise. N’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous à ce sujet.

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