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La Cour suprême du Canada imposera-t-elle une obligation d’atténuer le préjudice aux locateurs commerciaux?

Dans une affaire aux conséquences majeures pour le secteur de la location commerciale, la Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’appel dans l’affaire Aphria Inc. c. La Compagnie d’Assurance du Canada sur la Vie, et al. (Canada Vie). La question au cœur du litige concerne tous les baux commerciaux du pays : lorsqu’un locataire répudie son bail, mais que le locateur refuse d’accepter cette répudiation, ce dernier est-il tenu d’atténuer le préjudice subi?

Principaux points à retenir

  • En règle générale, les locateurs commerciaux n’ont aucune obligation d’atténuer le préjudice subi s’ils choisissent de maintenir le bail que le locataire a répudié.
  • Selon l’état actuel du droit, les locataires commerciaux demeurent généralement responsables du loyer lorsqu’ils répudient leur bail, mais que le locateur refuse d’accepter cette répudiation.
  • Le droit des contrats impose une obligation d’atténuer le préjudice dans la plupart des relations contractuelles, ce qui empêche les parties de recouvrer les pertes évitables qu’elles subissent en raison de leur propre inaction.
  • La Cour suprême du Canada se penchera sur la question de savoir si une obligation d’atténuer le préjudice devrait être imposée aux locateurs commerciaux lorsqu’un locataire répudie son bail.
  • Si la Cour suprême du Canada établit une telle obligation, les locateurs devront, malgré le maintien en vigueur du bail, s’efforcer d’atténuer leurs pertes, notamment en prenant les mesures qui s’imposent pour relouer les lieux. 

Statu quo : aucune obligation d’atténuation du préjudice pour les locateurs qui maintiennent le bail en vigueur

En vertu d’un principe juridique établi par l’arrêt de la Cour suprême du Canada Highway Properties Ltd. c. Kelly, Douglas and Co. Ltd. (1971) (Highway Properties), un locateur commercial qui refuse d’accepter la répudiation du bail peut le maintenir en vigueur et poursuivre le locataire pour les loyers échus et exigibles sans être tenu de relouer les locaux ou d’atténuer ses pertes. Plus particulièrement, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’un propriétaire peut « ne rien faire pour changer les rapports propriétaire-locataire, mais supposant que le bail reste en vigueur simplement demander l’exécution des dispositions et poursuivre en recouvrement du loyer ou de dommages-intérêts ».

La règle énoncée dans l’arrêt Highway Properties repose sur l’argument selon lequel les parties à un bail ont conclu un accord, et le locateur doit pouvoir s’appuyer sur les conditions du bail jusqu’à terme, notamment sur le paiement intégral du loyer par le locataire lorsqu’il devient exigible pour la durée restante du bail. Cette règle procure aux locateurs une certaine prévisibilité dans l’exercice de leurs droits à long terme.

Dans l’arrêt Canada Vie, le locataire a fait valoir que les commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans Highway Properties, à savoir qu’un propriétaire peut « ne rien faire » et « demander l’exécution des dispositions et poursuivre en recouvrement du loyer », n’étaient pas contraignants et qu’il y avait lieu de reconnaître que les locateurs commerciaux ont une obligation d’atténuer le préjudice en droit. Un intervenant devant la Cour, soutenant la position du locataire, a plaidé que la contractualisation des baux commerciaux signifiait que les locateurs n’étaient pas libérés de l’obligation contractuelle systématique (ubiquitous) d’atténuation du préjudice. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté cet argument, rappelant que les cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont suivi l’arrêt Highway Properties, qui établit le principe selon lequel un locateur qui maintient le bail en vigueur n’a pas d’obligation d’atténuation. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu en ajoutant qu’il [TRADUCTION] « n’appartient pas à cette cour de changer cette règle de droit, mais à la Cour suprême ou au législateur ».

La Cour suprême du Canada a depuis accordé au locataire dans l’affaire Canada Vie l’autorisation d’interjeter appel de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario.

L’obligation d’atténuer le préjudice en droit des contrats

En acceptant d’entendre l’appel, la Cour suprême du Canada démontre sa volonté de réexaminer le cadre établi dans l’arrêt Highway Properties et de l’harmoniser avec les principes généraux du droit des contrats, qui imposent aux parties une obligation d’atténuer leur préjudice en cas de manquement à une obligation contractuelle.

L’obligation d’atténuer le préjudice n’a été abordée que brièvement dans l’arrêt Highway Properties. Concernant la possibilité pour le locateur de relouer les lieux, la Cour suprême du Canada a précisé ceci : « En vertu du droit jurisprudentiel actuel […] le propriétaire n’est pas tenu de réduire le montant des dommages-intérêts, mais, en fait, la question de la réduction est en cause quand il y a relouage pour le compte du locataire. » Même si elle a reconnu que le propriétaire n’a pas d’obligation d’atténuation du préjudice subi dans le contexte de la location commerciale lorsque le bail demeure en vigueur, la Cour suprême du Canada a également fait observer qu’« [i]l n’est plus raisonnable de prétendre qu’un bail commercial, comme celui qui est en cause, n’est qu’un transfert de droit sur un fonds et n’est pas aussi un contrat ». Compte tenu de cette observation, le moment est peut-être venu pour les tribunaux de traiter les baux commerciaux comme n’importe quel contrat et d’imposer une obligation d’atténuation du préjudice aux locateurs commerciaux.

Quels sont les enjeux?

Si la Cour impose une obligation d’atténuation du préjudice subi aux locateurs qui maintiennent un bail en vigueur après une répudiation, ce serait un important changement de cap qui pourrait :

  • obliger les locateurs à entreprendre activement le relouage des lieux, même s’ils entendent faire respecter les obligations du locataire au titre du bail;
  • avoir une incidence sur le calcul des dommages-intérêts;
  • changer le levier de négociation dans les litiges relatifs à des baux commerciaux;
  • faire peser une incertitude sur les baux commerciaux établis de longue date.

En outre, les locateurs pourraient avoir plus de difficultés à faire respecter rigoureusement les dispositions du bail après sa répudiation, tandis que les locataires auraient de nouveaux arguments à faire valoir dans les litiges locatifs après une répudiation, et cela pourrait influencer la manière dont les sorties de bail sont envisagées.

Recommandations pour les locateurs et les locataires

Bien que le droit demeure inchangé pour l’instant, l’issue de l’appel pourrait avoir de lourdes conséquences. Les locateurs pourraient souhaiter revoir leurs stratégies d’exécution des baux et d’atténuation du préjudice. Les locataires confrontés à des difficultés financières doivent savoir que, selon le droit actuel, la répudiation d’un bail ne les dispense pas nécessairement de leurs obligations, mais cela pourrait bientôt changer.

Nous suivons cet appel de près et vous tiendrons informés lorsque la cause sera entendue. Si vous êtes un locateur ou un locataire partie à un litige relatif à un bail — ou que vous négociez un bail commercial —, communiquez avec nous pour discuter des répercussions possibles de cette affaire sur vos droits.

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