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Perspectives

La Cour d’appel confirme la nullité de la clause d’arbitrage modèle d’Hydro-Québec dans certaines circonstances

Dans l’affaire Hydro-Québec c. Terrassement St-Louis inc.1, la Cour d’appel du Québec a récemment confirmé la décision de la Cour supérieure concluant que la clause d’arbitrage modèle d’Hydro-Québec, apparaissant à l’article 18.7 de ses conditions générales, était abusive dans certaines circonstances.

Dans cette affaire, Terrassement St-Louis inc. (« TSL») s’est vu octroyer un contrat de réhabilitation environnementale d’un site contaminé à la suite d’un appel d’offres lancé par Hydro-Québec (« HQ»). Le contrat contenait la clause d’arbitrage modèle d’Hydro-Québec à l’article 18.7 de ses conditions générales, se lisant comme suit2 :

18.7 ARBITRAGE

18.7.1 Clause d’arbitrage

Les parties conviennent que tout désaccord, différend ou toute réclamation relative au présent contrat ou découlant directement ou indirectement de son interprétation ou de son application sera tranché de façon définitive et exclusive par voie d’arbitrage, et à l’exclusion des tribunaux, selon les lois du Québec. À moins que les parties n’en décident autrement dans une convention d’arbitrage, l’arbitrage se déroulera sous l’égide de trois arbitres, sera confidentiel et sera conduit en français, à Montréal, conformément aux règles de droit et aux dispositions du Code de procédure civile du Québec en vigueur au moment de ce différend. La sentence arbitrale sera finale, exécutoire et sans appel et liera les parties.

Le jugement de première instance

À la suite des travaux, TSL introduit un recours d'une valeur de 253 128 $, devant la Cour supérieure3. HQ fait alors valoir comme moyen déclinatoire la clause d’arbitrage prévue au contrat et demande le renvoi de l’affaire à l’arbitrage. Sur la base de son examen superficiel de la preuve au dossier, la Cour supérieure conclut que la clause d’arbitrage qui lie les parties est abusive, dans le cadre d’un contrat d’adhésion (1437 C.c.Q.). La Cour conclut que la clause est abusive car les coûts qui seront potentiellement encourus lors d’un arbitrage devant trois arbitres sont disproportionnels au montant de la réclamation. La Cour rejette la demande de renvoi à l’arbitrage d’HQ et statue que la Cour supérieure avait la compétence nécessaire pour entendre l’affaire au fond4.

Le jugement de la Cour d’appel

HQ porte la décision de la Cour supérieure en appel, en affirmant que le contrat liant les parties n’est pas un contrat d’adhésion et que la Cour supérieure aurait dû renvoyer les parties à l’arbitrage.

La Cour rejette ces deux arguments. La Cour confirme d’abord que le contrat était bien un contrat d’adhésion car ses stipulations essentielles ont été « imposées à TSL sans qu’elle ait pu en négocier la teneur de quelque manière5».

La Cour se prononce ensuite sur la demande de renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 622 C.p.c. Par exception au principe de « compétence-compétence », en vertu duquel l’arbitre doit normalement se prononcer en premier sur sa propre compétence, la Cour se prononce directement sur la validité de la clause d’arbitrage. La Cour affirme donc que la question de la nullité de la clause d’arbitrage dans cette affaire était une question mixte de droit et de faits qui pouvait être tranchée par un examen superficiel de la preuve au dossier, conformément aux enseignements des arrêts Dell6 et Uber v. Heller7. La Cour conclut que la juge de la Cour supérieure avait donc raison de trancher cette question plutôt que de la renvoyer au tribunal arbitral.

La Cour se prononce ensuite sur les facteurs qui la mènent à confirmer le caractère abusif de la clause d’arbitrage d’HQ dans cette affaire :

  • Le fait que le montant de la réclamation de TSL serait « anéanti par les frais d’un arbitrage (…) devant trois arbitres »;
  • L’absence de « traitement différentiel d’une réclamation selon le montant de la somme en jeu » dans la clause d’arbitrage8;
  • Le recours systématique à la nomination de trois arbitres, avec les coûts afférents;
  • L’absence de recours à une procédure d’arbitrage accélérée ou simplifiée.

La Cour note que la clause d’arbitrage modèle d'HQ semble avoir « été rédigée pour des litiges de grande envergure9 ». Elle conclut, que :

« […] cette clause d’arbitrage avantage de manière déraisonnable Hydro et prive essentiellement Terrassement du droit de faire adjuger sa réclamation, compte tenu du fait qu’il s’agit d’une petite entreprise régionale, que les sommes en litige sont relativement limitées et qu’il apparaît évident que le montant de la réclamation sera anéanti par les frais d’un arbitrage à Montréal, devant trois arbitres, en plus des frais d’avocats.10»

La Cour souligne que, pour des réclamations de faible valeur pécuniaire, comme celle de TSL, « les sommes potentiellement recouvrées seraient englouties par les frais d’arbitrage11 », notamment en raison de la nomination de trois arbitres.

Points à retenir

  • Premièrement, la Cour d’appel confirme que les conditions générales d’HQ constituent un contrat d’adhésion.
  • Deuxièmement, cette décision balise l’examen superficiel de la preuve documentaire au dossier que la Cour supérieure doit réaliser dans le cadre d’une demande de renvoi à l’arbitrage. Cette décision confirme que des facteurs tels que la nature des parties, le montant de la réclamation et le texte de la clause d’arbitrage peuvent être considérés par la Cour sans dépasser le cadre d’un « examen superficiel ».
  • Troisièmement, tout en rappelant l’importance de l’arbitrage conventionnel et son « efficacité en matière de résolution de différends », la Cour fait obstacle à l’arbitrage dans ce dossier, en présence d’une clause d’arbitrage pourtant parfaite liant les deux parties au litige. La Cour priorise dans cette affaire l’accès à la justice, qui était compromis en raison du déséquilibre entre le montant de la réclamation (253 128 $) et les frais probables d’un arbitrage devant trois arbitres.

Les commentaires de la Cour sur la nécessité de moduler les stipulations d’une clause d’arbitrage dans des conditions générales s’appliquant à une multitude de contrats sont particulièrement intéressants. Notamment, les suggestions (i) de moduler le nombre d’arbitres en fonction de la valeur du montant en litige et (ii) de prévoir une procédure simplifiée ou accélérée pour les réclamations de faible valeur méritent réflexion12.

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