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Les cautionnements d’exécution sont valides malgré la suspension ordonnée en vertu de la LACC

Le 17 avril 2025, Earth Boring Co. Limited (EBCL) s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la LACC). Parmi les dispositions de l’ordonnance initiale de la Cour : une suspension temporaire empêchant les réclamations au titre de certains cautionnements d’exécution. Des voix dans le secteur de la construction remettent maintenant en question la valeur de ces cautionnements en contexte d’insolvabilité. L’issue de l’affaire EBCL démontre toutefois que les objectifs du processus de la LACC peuvent être atteints sans brimer les droits des donneurs d’ouvrage qui veulent assurer l’exécution de leurs contrats cautionnés.

Contexte

  • Le cautionnement de contrat est un instrument surtout utilisé dans le monde de la construction. Il protège le bénéficiaire (le donneur d’ouvrage ou l’entrepreneur général) contre les pertes financières en cas de non-respect par le débiteur principal (l’entrepreneur ou le sous-traitant, selon le cas) des modalités et conditions du contrat concerné. Autrement dit, le bénéficiaire se voit protégé contre l’incapacité de l’entrepreneur de finir les travaux.
  • C’est le propre du cautionnement d’exécution, qui, sous réserve de ses modalités et conditions, permet au bénéficiaire de présenter des réclamations auprès de la caution.
  • Généralement, en plus du cautionnement d’exécution, le bénéficiaire exigera aussi un cautionnement de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux, lequel (toujours sous réserve de ses modalités et conditions) garantit le paiement des sous-traitants et des fournisseurs de l’entrepreneur si ce dernier ne paie pas.
  • Ces cautionnements sont des outils indispensables dans le secteur construction pour s’assurer que les projets seront menés à bien.

Earth Boring Co. Limited

Dans l’ordonnance initiale demandée par EBCL et accordée dans le cadre de la procédure sous le régime de la LACC, et dans les deuxième et troisième versions modifiées de cette ordonnance, la Cour a prononcé la suspension des réclamations au titre de certains cautionnements d’exécution émis en faveur d’EBCL :

[traduction] LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE ce qui suit : pendant la période de suspension, aucune personne titulaire d’un cautionnement d’exécution (selon la définition donnée dans le premier affidavit de M. Woodbridge), y compris toute personne désignée comme donneur d’ouvrage ou bénéficiaire dans le cautionnement concerné, ne pourra réaliser ce cautionnement ou demander sa réalisation (une « réclamation au titre du cautionnement d’exécution »), sauf si les demanderesses et le contrôleur y consentent par écrit, ou si la Cour l’autorise, et toutes les réclamations au titre du cautionnement d’exécution en cours qui sont présentées contre les demanderesses ou relativement aux demanderesses ou qui touchent aux activités ou aux biens sont par les présentes suspendues jusqu’à nouvelle ordonnance de la Cour.

Cette suspension, demandée par EBCL et son contrôleur nommé par le tribunal (pas la caution), a mené certaines personnes non impliquées dans le dossier à faire des commentaires mal informés et inexacts quant aux avantages et à l’applicabilité des cautionnements d’exécution dans le contexte de procédures sous le régime de la LACC.

Les cautionnements d’exécution visés par la suspension sont demeurés (et demeurent à ce jour) bien en vigueur, tout comme les protections qui y sont prévues. L’objet de la LACC a été respecté et la suspension limitée a eu l’effet escompté : EBCL a pu poursuivre ses activités malgré l’insolvabilité, ce qui a ultimement profité aux bénéficiaires visés par les cautionnements, soit les donneurs d’ouvrage et les entrepreneurs. EBCL a pu exécuter les contrats cautionnés (avec le financement de son prêteur au titre de la LACC et de sa caution, Aviva, Compagnie d’Assurance du Canada [Aviva], qui ont payé ses sous-traitants). Les donneurs d’ouvrage et les entrepreneurs ont profité du travail d’EBCL sans interruption et, comme elle est sur le point de résoudre ses problèmes d’insolvabilité, EBCL pourra continuer à exécuter les contrats cautionnés sans interruption.

Les faits n’appuient aucunement les déclarations selon lesquelles la suspension a eu des conséquences dramatiques. La Cour a prononcé la suspension, car la mesure était appropriée dans les circonstances, et le résultat lui a donné raison : les bénéficiaires ont vu leurs contrats exécutés sans avoir à se prévaloir du cautionnement.

Les faits

Dans cette affaire, Aviva, la caution, a émis des cautionnements pour huit projets de construction actifs sous la responsabilité d’EBCL. Comme on le sait, EBCL a demandé et obtenu la protection contre ses créanciers en vertu de la LACC. Les suspensions comme celle qui a été ordonnée en l’espèce sont monnaie courante dans les procédures sous le régime de la LACC et sont conçues pour donner l’occasion au débiteur de se réorganiser. Ce dernier doit, en échange, continuer d’exécuter ses obligations contractuelles.

La suspension limitée accordée par la Cour à EBCL quant aux cautionnements d’exécution cadre donc parfaitement avec l’approche constante (et nécessaire) préconisée par la LACC. Les bénéficiaires ne pouvaient pas faire de réclamations au titre des cautionnements, mais EBCL devait exécuter ses obligations. En cas de défaut de sa part, les bénéficiaires auraient eu la possibilité de demander la levée de la suspension – l’ordonnance le prévoyait expressément.

Par ailleurs, plusieurs facteurs clés démontrent l’efficacité des cautionnements :

  • La suspension visait uniquement les cautionnements d’exécution, pas les cautionnements de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux. Les sous-traitants d’EBCL bénéficiaient donc toujours de leur protection. Ils pouvaient présenter une réclamation au titre du cautionnement s’appliquant à eux (et l’ont fait), et Aviva devait les payer conformément à ses obligations à titre de caution. Autrement dit, Aviva a financé la réalisation des projets cautionnés par l’intermédiaire des cautionnements de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux.
  • Aucun des bénéficiaires ne s’est opposé à la suspension. C’est sans surprise, car dans le cadre de la procédure sous le régime de la LACC, EBCL était tenue de continuer les travaux pour les projets cautionnés visés par la suspension. Du point de vue des bénéficiaires, rien n’allait changer. En cas de pépin, ils auraient pu demander la levée de la suspension pour faire une réclamation au titre d’un cautionnement d’exécution en particulier.
  • La suspension visait seulement les cautionnements d’exécution pour sept des huit projets de construction cautionnés par Aviva. EBCL a renoncé au dernier projet, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas l’intention d’exécuter le contrat cautionné. Par conséquent, la suspension ne s’y appliquait pas, et le bénéficiaire pouvait présenter une réclamation au titre du cautionnement d’exécution, ce qu’il a fait : Aviva a donc assumé la responsabilité du contrat et veillé à son exécution. Elle a ainsi respecté ses obligations au titre du cautionnement d’exécution lorsqu’EBCL a manqué à ses propres obligations au titre du contrat cautionné.
  • Il n’est pas rare que les ordonnances initiales des procédures sous le régime de la LACC prévoient une suspension générale des procédures et de l’exercice de droits et de recours. Ce faisant, le bénéficiaire qui souhaite exercer ses droits en cas de défaut et son droit de résiliation prévus au contrat cautionné doit d’abord faire lever la suspension, même si elle ne vise pas expressément les réclamations au titre du cautionnement d’exécution.

Si on résume : Malgré son insolvabilité, EBCL a poursuivi ses activités et exécuté tous ses contrats cautionnés, sauf un. Ce dernier a fait l’objet d’une réclamation au titre du cautionnement d’exécution, à la suite de quoi Aviva a veillé à sa réalisation.

La vente d’EBCL

Le 15 septembre 2025, EBCL a demandé et s’est vue accorder une ordonnance de dévolution inversée qui, essentiellement, approuve sa vente et lui permet de poursuivre ses activités et de réaliser ses projets restants, dont les projets cautionnés. À la demande de l’avocat d’un des bénéficiaires, une disposition précise confirmant la validité des cautionnements a été ajoutée à l’ordonnance :

[traduction] LA COUR ORDONNE que tous les cautionnements d’exécution et de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux émis par Aviva en lien avec les contrats des projets en cours, sauf en ce qui concerne les comptes clients exclus de Caledon, demeurent en vigueur malgré toute autre disposition de la présente ordonnance.

La Cour a donc expressément confirmé la validité des cautionnements au bénéfice des bénéficiaires, soit le résultat que toutes les parties voulaient. Aucun bénéficiaire n’a perdu de droits prévus par les cautionnements d’exécution.

À l’avenir

Pour les donneurs d’ouvrage et les entrepreneurs généraux, l’affaire EBCL démontre qu’une suspension des cautionnements d’exécution peut profiter aux bénéficiaires si elle est bien appliquée. Chaque situation doit être évaluée à la lumière de ses faits, et les tribunaux doivent soupeser des intérêts concurrents pour déterminer s’il convient d’ordonner une suspension dans une procédure sous le régime de la LACC.

S’il n’y a qu’une chose à retenir, c’est la suivante : la suspension des réclamations au titre de cautionnements d’exécution ordonnée par la cour dans une procédure sous le régime de la LACC n’annule pas les protections qu’ils procurent. Comme l’affaire EBCL le confirme, les cautionnements restent pleinement en vigueur et peuvent être invoqués si l’entrepreneur ne s’exécute pas.

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