une main qui tient une guitare

Perspectives

Exigences et pratiques optimales entourant la prestation pancanadienne de soins virtuels

Par Louise Sweatman, BScN, RN, MSc, LLB, Director of Health Law Policy and Legal Counsel for the Canadian Medical Association, et Christine Laviolette, BHSc, JD, avocate principale, BLG.1

La pandémie de COVID-19 a entraîné l’essor des soins virtuels au Canada. Bien que ces soins – naguère assurés par téléphone – ne datent pas d’hier, ils ont évolué pour maintenant se prodiguer par vidéoconférence et messagerie sécurisée. Ainsi, les Canadiens peuvent consulter rapidement et facilement des professionnels de la santé en quelques clics. Toutefois, les choses ne sont pas nécessairement plus faciles pour ces prestataires de services, qui doivent respecter les exigences en matière de permis des provinces et territoires où habitent les patients à qui ils prodiguent des soins virtuels. En effet, si la création d’un permis pancanadien a déjà été envisagée2, il n’existe toujours pas de guichet unique permettant à un groupe de fournisseurs de soins de santé d’exercer leur profession partout au pays3. Les médecins et autres professionnels de la santé réglementés doivent par conséquent se plier, d’une part, aux exigences en matière de permis de leur propre ordre professionnel (les « exigences internes ») et, d’autre part, à celles qu’imposent les ordres homologues des provinces et territoires où ils prodiguent des soins à distance (les « exigences externes »).

Le tableau ci-dessous résume les exigences en matière de permis que doivent respecter les médecins qui prodiguent des soins virtuels dans d’autres provinces et territoires. Il est suivi de conseils et de pratiques optimales pour les professionnels de la santé réglementés qui souhaitent exercer ces activités.

Tableau4 : Exigences en matière de permis imposées aux médecins canadiens pour la prestation de soins virtuels

 

EXIGENCES INTERNES

Conditions à la prestation de soins virtuels extraprovinciaux ou extraterritoriaux fixées par la province ou le territoire où le médecin est autorisé à exercer la médecine

EXIGENCES EXTERNES

Conditions à la prestation de soins virtuels extraprovinciaux ou extraterritoriaux fixées par la province ou le territoire où le médecin prodigue les soins5

Alberta

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Il peut prodiguer de tels soins :

a. s’il s’en tient à un maximum de cinq consultations par année;

b. si ces consultations visent l’évaluation urgente ou le traitement urgent d’un patient.

Le College of Physicians and Surgeons of Alberta et le Nunavut ont convenu de permettre aux médecins titulaires d’un permis d’exercice en Alberta de prodiguer des soins virtuels au Nunavut sans y détenir de permis.

Colombie-Britannique

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

s. o.6

Manitoba

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Le médecin doit être titulaire d’un permis de membre pleinement actif.

Le Collège des médecins et chirurgiens du Manitoba et le Nunavut ont convenu de permettre aux médecins titulaires d’un permis au Manitoba de prodiguer des soins virtuels à des patients au Nunavut sans y détenir un permis.

Nouveau-Brunswick

s. o.

Le médecin doit s’inscrire à la liste des prestataires de services de télémédecine afin de prodiguer des services de télémédecine occasionnels ou limités.

Terre-Neuve-et-Labrador

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

s. o.

Nouvelle-Écosse

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Le médecin doit respecter les exigences de la province ou du territoire où il est autorisé à exercer, ainsi que celles de la province ou du territoire de ses patients.

Nunavut

s. o.

 

Le médecin doit être titulaire d’un permis en règle au Nunavut, sauf s’il exerce sa profession en Alberta, au Manitoba, en Ontario ou aux Territoires du Nord-Ouest.

Le Nunavut a conclu des protocoles d’entente avec les collèges des médecins et des chirurgiens de l’Alberta, du Manitoba et de l’Ontario et avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest pour autoriser les médecins de ces provinces et territoires à fournir des services de télémédecine aux résidents du Nunavut sans avoir à y détenir de permis.

Territoires du Nord-Ouest

s. o.

 

Le médecin doit être titulaire d’un permis sans restriction.

Les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ont convenu de permettre aux médecins titulaires d’un permis aux Territoires de prodiguer virtuellement des soins aux résidents du Nunavut sans avoir à y détenir de permis.

De plus, une dispense ministérielle a été adoptée pour lever, pendant la pandémie, l’exigence de détenir un permis en cas de recommandation d’un médecin autorisé à exercer aux Territoires.

Ontario

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Le médecin doit respecter les exigences de sa province ou de son territoire.

L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario et le Nunavut ont convenu de permettre aux médecins titulaires d’un permis en Ontario de prodiguer des soins virtuels à des patients au Nunavut sans y détenir de permis.

Île-du-Prince-Édouard

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

s. o.

Québec

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Le médecin doit être inscrit au tableau de l’Ordre ou avoir l’autorisation du Collège des médecins du Québec.

Saskatchewan

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

 

Le médecin doit obtenir un permis de télémédecine, sauf s’il a traité un patient saskatchewanais à la suite de la recommandation d’un médecin saskatchewanais et entend assurer le suivi médical du patient relativement au problème de santé en cause.

 

Yukon

Le médecin doit respecter les exigences du lieu de résidence du patient.

Le médecin doit respecter les exigences de sa province ou de son territoire.

On remarque qu’à l’exception des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut et du Nouveau-Brunswick, l’ensemble des provinces et territoires exigent de leurs médecins qui traitent des patients d’autres provinces et territoires qu’ils respectent les exigences du lieu de résidence du patient. Cela dit, ils régissent très différemment le traitement de leurs résidents par des médecins d’autres provinces ou territoires à qui ils n’ont pas accordé de permis.

En effet, certains :

  • n’imposent aucune exigence supplémentaire;
  • n’imposent aucune exigence supplémentaire dans la mesure où un plafond de consultations virtuelles est respecté (Alberta);
  • imposent l’inscription à une liste de prestataires de télémédecine (Nouveau-Brunswick);
  • imposent l’obtention d’un permis en règle (Manitoba);
  • imposent l’obtention d’un permis en règle dans toutes les provinces où le médecin traite des patients (Nouvelle-Écosse).

Conseils et pratiques optimales pour médecins prestataires de soins virtuels extraprovinciaux ou extraterritoriaux.

1. Assurez-vous que la télémédecine se prête à la situation

Assurez-vous d’abord que la télémédecine convient à la nature de la consultation et au problème de santé du patient7. Tenez compte des limites de la technologie eu égard aux besoins du patient (par exemple, l’image est-elle assez claire pour évaluer un problème cutané?).

Effectuez l’examen le plus complet possible compte tenu de vos moyens technologiques (utilisez par exemple la fonction vidéo pour évaluer la mobilité du patient).

Tenez compte des circonstances et posez des questions d’éclaircissement précises et explicites (par exemple, s’il s’agit d’une consultation téléphonique, demandez à qui vous parlez et qui est le patient).

Envisagez l’élaboration d’un plan de traitement pour que le patient reçoive les soins nécessaires en cas d’urgence. Pour ce faire, vous pourriez devoir confirmer l’emplacement du patient et la disponibilité d’une équipe de médecine familiale et d’autres ressources locales, obtenir les coordonnées des fournisseurs de soins de santé et intervenants d’urgence pertinents, et possiblement recommander des professionnels locaux disponibles.

2. Protégez-vous

L’Association canadienne de protection médicale (ACPM) protège ses membres contre les problèmes médico-légaux pouvant découler de la prestation extraprovinciale ou extraterritoriale de soins virtuels.8 Il convient toutefois de noter que les membres ne sont généralement pas couverts pour ce qui est des soins prodigués à des patients se trouvant à l’extérieur du Canada. Pour évaluer la protection à accorder, l’ACPM juge que le lieu où se trouve le patient au moment de recevoir les soins virtuels est celui « où les soins sont fournis.9 » C’est pourquoi il est d’une importance capitale d’établir avant tout où se trouve le patient pour pouvoir compter sur la protection de l’ACPM en cas d’incident. Advenant une catastrophe, l’ACPM usera de sa discrétion si le membre n’était pas titulaire d’un permis. En revanche, « le membre sera généralement admissible à l’assistance. »10

3. Soyez conscients des normes et lignes directrices applicables en matière de soins virtuels

Soyez conscients des normes et lignes directrices applicables en matière de soins virtuels, notamment sur le plan de la protection de la vie privée et de la sécurité, du consentement, de la tenue de dossiers et de la prescription virtuelle.

Gardez également à l’esprit que de nombreuses lois peuvent s’appliquer à ce chapitre, et que vous devez toutes les respecter.

Vérifiez l’identité du patient et faites en sorte que l’entretien soit aussi confidentiel que possible.

4. Faites le suivi de vos consultations virtuelles extraprovinciales

Comme l’indique le précédent tableau, les médecins albertains doivent observer un plafond de consultations virtuelles extraprovinciales et extraterritoriales, sans quoi ils sont tenus d’obtenir un permis. Cette limite est de cinq consultations par année, à l’exception de celles ayant trait à l’évaluation ou le traitement urgents d’un patient. Étant donné ces restrictions, vous devriez vérifier et noter le lieu où se trouve votre patient, faire le suivi de vos consultations virtuelles avec des patients de chaque province et territoire et, le cas échéant, indiquer qu’il s’agit d’une urgence.

5. Informez-vous sur les ressources locales dans une optique de continuité des soins

Certes, la prolifération des soins virtuels règle certains problèmes de continuité des soins, mais elle en crée d’autres par ailleurs. Avec la mobilité accrue des Canadiens et le progrès technologique, les gens s’attendent à ce que leurs médecins de famille soient leurs médecins « à vie », c’est-à-dire qu’ils maintiennent leur relation professionnelle avec eux indéfiniment sans égard à la distance physique. À l’inverse, si les soins virtuels sont assurés sporadiquement par un médecin aléatoire n’ayant pas accès au dossier médical du patient, cette continuité est rompue. Lorsque vous travaillez avec un patient extraprovincial ou extraterritorial, faites en sorte d’avoir un portrait global de son équipe de médecine familiale et des ressources locales qui lui sont disponibles.

6. Tenez des dossiers détaillés et à jour sur toutes vos consultations virtuelles

Vous devriez documenter le dossier médical des patients que vous rencontrez virtuellement comme si vous les aviez vus en personne. S’il y a lieu, transmettez vos notes à l’équipe médicale familiale de votre patient, ou remettez-en une copie à celui-ci.


1 Les auteurs tiennent à souligner le travail de Courtney Po, étudiant BLG.

2 Lettre du 27 mai 2021 aux ministres de la Santé provinciaux et territoriaux, signée par 11 organismes nationaux de la santé.

3 L’Association médicale canadienne travaille sur un projet de permis pancanadien (p. ex. un permis d’exercer la médecine partout au Canada) n’exigeant pas de modification constitutionnelle.

4 Contenu à jour en date de cette publication.

5 Il est entendu que le médecin en question n’est pas autorisé à exercer dans cette province ou ce territoire.

6  À l’exclusion d’un commentaire sur la détention d’une assurance-responsabilité appropriée.

7 Association médicale canadienne, Collège des médecins de famille du Canada et Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (mars 2020), « Guide sur les soins virtuels »

8 ACPM (mars 2021), « La pratique de la télésanté – Admissibilité à l’assistance »

9 ACPM (mars 2021), « La pratique de la télésanté – Admissibilité à l’assistance »

10 ACPM (mars 2020), « Urgences de santé publique et catastrophes »

11 CPSA (2021), « Apply for Telemedicine Registration »

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