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Perspectives

Les dix décisions au cœur de l’actualité du droit de l’insolvabilité en 2022

En 2022, l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation a déclaré que les procédures d’insolvabilité d’entreprise avaient bondi de 26,3 % au premier semestre par rapport à la même période en 2021. Les données fournies par le Bureau du surintendant des faillites montrent également que les procédures d’insolvabilité au mois d’octobre 2022 étaient en hausse de 18,8 % par rapport au mois d’octobre 2021. La hausse des taux d’intérêt et des prix de l’énergie va sans doute exercer une forte pression sur les entreprises en 2023 et, éventuellement, les professionnels de l’insolvabilité pourraient être beaucoup sollicités.

Dans cet article, notre groupe Insolvabilité et restructuration résume les principales décisions rendues en 2022 et présente un survol des questions qui pourraient faire l’actualité en 2023.

Aperçu

DÉCISION

POINTS À RETENIR

1057863 BC Ltd (Re), 2022 BCSC 759

Dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »), le juge superviseur peut ordonner aux parties de participer à une médiation, si cela contribue à la réalisation des objectifs de la LACC et si, compte tenu des intérêts des parties prenantes, les avantages l’emportent sur les coûts.

Aldo Group Inc (Re), 2022 QCCS 2181 (2022 QCCA 938)

Il n’existe pas de méthode unique pour évaluer les actifs d’une société en cours de restructuration. Choisir la méthode d’évaluation qui convient le mieux est un exercice fondé sur les faits qui dépend des circonstances en l’espèce.

Antchipalovskaia v Guestlogix Inc, 2022 ONCA 454

Les décharges prévues dans un plan établi conformément à la LACC comprennent celles qui libèrent la société des réclamations que les employés auraient pu faire valoir contre elle, mais rien ne saurait effacer, pour la seule raison qu’un nouvel employeur indépendant a repris l’entreprise, les avantages qu’offre à cette dernière une employée de longue date quand vient le temps de déterminer la durée du préavis raisonnable auquel elle a droit.

BlackRock Metals Inc (Re), 2022 QCCS 2828

Cette décision de la Cour supérieure du Québec est la première décision publiée où un tribunal applique expressément les principes énoncés dans le jugement Harte Gold Corp (décrits ci-après) pour l’approbation d’une proposition d’ordonnance de dévolution inversée (« ODI »).

Distinct Infrastructure Group [CV-19-615270-00CL, date d’approbation : 21 juillet 2022]

Les parties contractantes devraient savoir que dans toutes circonstances où leur convention pourrait être divulguée (comme dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité), rien ne garantit qu’un tribunal acceptera de rendre une ordonnance de mise sous scellé au simple motif qu’elles ont convenu par écrit de ne pas en divulguer les modalités. Si les parties souhaitent la mise sous scellé de leur convention, elles doivent être en mesure de prouver qu’elles ont des préoccupations légitimes concernant la divulgation de son contenu qui l’emportent sur l’intérêt public à la publicité des débats judiciaires.

Ernst & Young Inc v Aquino, 2022 ONCA 202

Lorsqu’une fraude est commise par des initiés contre l’entreprise débitrice, l’intention frauduleuse des initiés peut être imputée à l’entreprise débitrice aux fins de l’article 96 de la LFI (la doctrine de l’attribution d’actes à une société).

Freshlocal Solutions Inc (Re), 2022 BCSC 1616

Avant d’approuver ou non une entente paravent, le juge superviseur doit évaluer si les avantages de l’entente l’emportent sur les coûts, en mettant en balance les faits en l’espèce, y compris l’état d’avancement du processus de vente en général.

Golden Oaks Enterprises Inc v Scott, 2022 ONCA 509

Un peu comme dans le jugement Aquino, la doctrine de l’attribution d’actes à une société doit être appliquée avec une certaine flexibilité dans les procédures d’insolvabilité afin de protéger les créanciers et d’empêcher que les bénéficiaires d’une fraude échappent à toute responsabilité.

Harte Gold Corp (Re), 2022 ONSC 653

Les ODI ne doivent pas devenir la procédure par défaut. La Cour doit plutôt être convaincue que la structure d’ODI est nécessaire et avantageuse sur le plan pécuniaire et qu’elle ne cause de préjudice à aucune des parties prenantes, par rapport aux autres solutions réalisables, et qu’elle offre une contrepartie convenable compte tenu de la valeur des actifs que l’ODI vise à préserver.

Koroluk v KPMG Inc, 2022 SKCA 57

Les réclamations contre des tiers, comme les administrateurs et les auditeurs, ne peuvent être entendues dans le cadre d’une procédure de mise en liquidation régie par une loi sur les sociétés par actions.

Manitok Energy Inc (Re), 2022 ABCA 117

La Cour d’appel de l’Alberta jette un nouvel éclairage sur les principes du jugement Redwater. Plus particulièrement, les obligations d’abandon et de remise en état bénéficieront toujours de la super priorité de rang que leur confère le jugement Redwater même si des ordonnances réglementaires sont rendues après les opérations de vente.

Mundo Media (Re), 2022 ONCA 607

Fidèle aux objectifs du processus judiciaire uniformisé, qui vise à favoriser l’efficacité et le meilleur rendement possible pour les créanciers, la Cour a jugé que ce processus pouvait s’appliquer non seulement aux réclamations des tiers contre le débiteur, mais aussi aux réclamations déposées au nom du débiteur contre des tiers. Reste à savoir dans quelle mesure la réclamation est liée à la procédure d’insolvabilité. Voir également la décision Petrowest.

Peace River Hydro Partners c Petrowest Corp, 2022 CSC 41

La Cour suprême du Canada apporte des précisions très attendues sur la compatibilité des clauses d’arbitrage et des procédures de mise sous séquestre, et sur les circonstances où la doctrine de la séparabilité s’applique dans les procédures de faillite.

Au bout du compte, l’application des exceptions limitées prévues par la loi à une convention d’arbitrage par ailleurs valide reste une question du ressort des tribunaux, et sur ce point, le séquestre devrait solliciter les conseils et les directives du tribunal dont il relève.

PricewaterhouseCoopers Inc v Perpetual Energy Inc, 2022 ABCA 111

Considérant le jugement Redwater, les obligations d’abandon et de remise en état doivent être prises en compte pour l’évaluation de la solvabilité fondée sur le bilan. Plus particulièrement, ces obligations sont inhérentes à la baisse de valeur des actifs du débiteur et y contribuent.

Sirius Concrete Inc (Re), 2022 ONCA 524

L’equity peut intervenir dans les circonstances où, sans elle, les créanciers du failli se retrouveraient injustement enrichis en raison de l’inconduite du failli.

Ward Western Holdings Corp v Brosseuk, 2022 BCCA 32

Dans les circonstances appropriées, le tribunal peut nommer un séquestre même lorsque la dette sous-jacente est litigieuse. Les circonstances le permettent notamment lorsque le droit du créancier de recouvrer sa créance et de réaliser sa sûreté est compromis et que la nomination du séquestre favorise la justice et la commodité.

 

Sur les radars 

À la suite de ces décisions, nous continuons à surveiller l’actualité du droit de l’insolvabilité en 2023, notamment :

  • L’évolution constante des ordonnances de dévolution inversée et du traitement judiciaire des nouvelles opérations exigeant une ordonnance de dévolution inversée.
  • L’importance croissante accordée aux facteurs ESG, notamment dans le contexte de l’approbation d’un plan ou d’une transaction.
  • L’adhésion croissante au mode de règlement extrajudiciaire des différends, notamment dans le contexte des procédures d’insolvabilité.
  • L’examen approfondi des ordonnances de mise sous scellé dans les procédures d’insolvabilité.
  • La possibilité que la Cour suprême du Canada rétablisse la doctrine de l’attribution d’actes à une société.

Nous suivons de près également les projets de loi modifiant certaines dispositions législatives, et plus particulièrement :

  • La modification éventuelle du taux d’intérêt criminel. En mars 2022, le projet de loi S-239, Loi modifiant le Code criminel a été adopté en deuxième lecture par le Sénat.  Le projet de loi propose de modifier le taux d’intérêt criminel prévu à l’art 347 du Code criminel pour le faire passer de 60 % au taux de financement à un jour de la Banque du Canada majoré de 20 %. De même, en août 2022, le gouvernement du Canada a publié un document de consultation sollicitant les commentaires des parties prenantes et du public au sujet du taux d’intérêt criminel. La modification du taux d’intérêt criminel aura une incidence sur les acteurs du milieu de l’insolvabilité à plusieurs égards, mais plus particulièrement dans le domaine du financement temporaire, où les sociétés de financement octroient des prêts de plus courte durée assujettis à des frais et à des taux d’intérêt établis en fonction des difficultés financières de l’emprunteur.
  • Possible modification du rang de priorité des rentes de retraite dans les procédures d’insolvabilité. En novembre 2022, le projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, a été adopté en troisième lecture par la Chambre des communes. Le projet de loi vise à assurer le paiement en priorité des réclamations relatives au passif non capitalisé ou au déficit de solvabilité des régimes de retraite lorsqu’un employeur cesse de cotiser aux régimes d’assurance collectifs dans le cadre de procédures prises sous le régime de la LFI ou de la LACC. Les modifications toucheront essentiellement les grandes entreprises dotées de régimes de retraite à prestations définies, et les créanciers voudront sans doute en évaluer les incidences sur leur profil de risque.

Résumé des décisions

1057863 BC Ltd (Re), 2022 BCSC 759

Contexte

Dans cette affaire, la requérante (« Northern Pulp ») était propriétaire d’une usine de pâte à papier en Nouvelle-Écosse. La société louait et exploitait une station de traitement des effluents (« STE »), l’un de ses actifs opérationnels essentiels, qui était la propriété de la province de la Nouvelle-Écosse. En 2015, la Nouvelle-Écosse a adopté une loi qui, entre autres, interdisait à Northern Pulp d’exploiter la STE à compter du 1er janvier 2022.  Northern Pulp a fait valoir que ce délai ne respectait pas les modalités du bail que la province de Nouvelle-Écosse avait conclu avec les propriétaires de l’usine de pâte à papier, qui leur concédait un droit d’utilisation de la STE jusqu’en décembre 2030. La société n’a pas réussi à trouver une autre STE et a donc dû mettre fin à ses activités en janvier 2020; en juin 2020, elle déposait une procédure sous le régime de la LACC en Colombie-Britannique.

Tout au long de la procédure, Northern Pulp a tenté d’entamer des pourparlers avec la Nouvelle-Écosse en vue de régler ses réclamations contre la province en lien avec l’adoption de la loi provinciale. Northern Pulp a fini par demander une ordonnance de médiation : (i) approuvant un processus de médiation obligatoire; (ii) nommant un médiateur tiers impartial; (iii) supprimant ou suspendant les dates limites de dépôt ou les obligations de prendre des mesures relativement à certaines réclamations.

Décision

Dans sa décision accueillant la demande d’ordonnance, la Cour suprême de la Colombie-Britannique confirme qu’elle a la compétence voulue pour rendre une telle ordonnance, lorsqu’il y a lieu, conformément à l’article 11 de la LACC. Elle juge que Northern Pulp a agi de bonne foi et avec une diligence raisonnable dans ses tentatives de régler ses réclamations avec la Nouvelle-Écosse. L’ordonnance de médiation avait l’appui des principales parties prenantes, y compris les principaux créanciers garantis et le créancier ayant consenti un prêt temporaire. La province a contesté l’ordonnance, affirmant qu’il serait injuste de l’obliger à participer à une médiation et que celle-ci ne serait ni productive ni utile. La Cour fait remarquer qu’il existe de la jurisprudence à l’appui des systèmes de médiation forcée au Canada et qu’après avoir mis en balance les avantages éventuels et les coûts probables, il est justifié d’accorder l’ordonnance. La Cour confirme aussi que la présence des parties était obligatoire, mais que ni elle ni le médiateur ne peuvent les obliger à conclure une entente. Par conséquent, la simple participation de la Nouvelle-Écosse au processus de médiation ne lui causerait aucun préjudice, pas plus que l’échec des pourparlers en vue d’un règlement. Cependant, si les parties parvenaient à un règlement, Northern Pulp réussirait à monétiser un actif important, ce qui était un élément clé de son plan de restructuration. Par conséquent, la Cour conclut que l’ordonnance contribuerait à la réalisation des objectifs généraux et de réparation de la LACC et elle accepte donc de rendre l’ordonnance.

Aldo Group Inc (Re), 2022 QCCS 2181 (demande d’autorisation d’appel refusée, 2022 QCCA 938)

Contexte

Investissement Québec (« IQ ») était une créancière du Groupe Aldo; elle a déposé une preuve de réclamation de 42,2 millions de dollars, alléguant que la plus grande partie de sa créance (40 millions de dollars) était garantie par une hypothèque mobilière sans dépossession sur certains actifs (les « biens grevés d’IQ »), à savoir des logiciels et du matériel informatique.

Le Groupe Aldo inc. a déposé un plan d’arrangement prévoyant que les créanciers garantis recevraient des paiements déterminés en fonction de la valeur des actifs du Groupe Aldo grevés de leur sûreté, tandis que le reliquat de leur créance ne serait pas garanti. IQ et le Groupe Aldo ne parvenaient pas à s’entendre sur la valeur des biens grevés d’IQ.  Cette dernière soutenait qu’ils devaient être évalués selon leur valeur d’exploitation puisque, à la date de l’évaluation (date de la première ordonnance), le Groupe Aldo était en activité et comptait bien le rester. Le Groupe Aldo quant à lui affirmait que les actifs grevés n’avaient pas été correctement identifiés ou, à défaut, qu’ils devaient être évalués en fonction de leur valeur de liquidation volontaire, car il était insolvable à la date de l’évaluation. 

IQ et le Groupe Aldo ont déposé des rapports d’expert à l’appui de leurs positions respectives.

Décision

La Cour supérieure du Québec a examiné les rapports d’expert contradictoires et a conclu que les biens grevés d’IQ étaient identifiés en bonne et due forme, mais qu’ils devaient être évalués en fonction de leur valeur liquidative (3,3 millions de dollars). Une créance pour ce montant qui n’était pas touchée était bien inscrite au nom d’IQ dans le plan, ainsi qu’une créance non garantie pour le solde.

La Cour a jugé que l’évaluation proposée par IQ était fondée sur un principe comptable théorique et qu’elle ne représentait pas la valeur réelle qu’il était possible d’obtenir des biens grevés d’IQ à la date pertinente.  Plus particulièrement, au moment de l’ordonnance initiale, les débiteurs étaient insolvables et dépendaient du financement temporaire pour poursuivre leurs activités.  La Cour a également fait remarquer que si les biens grevés d’IQ étaient évalués comme cette dernière le proposait, le Groupe Aldo serait sans doute incapable de mettre en œuvre le plan et se retrouverait en voie de liquidation.  Par conséquent, la Cour a accepté l’analyse relative à l’évaluation présentée par le rapport d’expert de la débitrice.

La Cour d’appel a refusé la demande d’autorisation d’appel.

Antchipalovskaia v Guestlogix Inc, 2022 ONCA 454

Contexte

Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario devait se pencher sur les obligations de préavis d’un employeur successeur après des procédures prises aux termes de la LACC, lorsqu’il a congédié les employés de l’employeur précédent. L’employée a commencé à travailler pour l’entreprise en 2011. Après les procédures d’insolvabilité de son employeur en septembre 2016, elle a continué à travailler pour l’employeur successeur tout en exerçant les mêmes fonctions qu’auparavant. Elle a finalement été congédiée en juin 2019.

Le successeur a pris deux mesures pour indiquer clairement qu’il ne reconnaissait pas les années de service antérieures. Dans un premier temps, le 13 septembre 2016, il a envoyé une offre d’emploi à l’employée accompagnée d’une lettre précisant que sa date d’entrée en fonction serait [traduction] « le premier jour suivant la mise en application du plan d’arrangement et de la transaction sous le régime de la LACC ». Ensuite, l’employeur successeur a envoyé une deuxième lettre précisant que la date de nouvelle embauche servirait à la résolution de toutes les questions relatives à l’emploi. De plus, dans le cadre des procédures sous le régime de la LACC, la Cour supérieure avait émis une ordonnance comportant une décharge des créances des anciens employés ayant pris naissance au plus tard à la date de mise en application du plan.

Décision

La Cour d’appel reconnaît la validité de la décharge ordonnée par le tribunal de première instance et ne tient pas compte des années de service qui ont précédé les procédures sous le régime de la LACC. Cependant, elle choisit de suivre l’approche établie dans Addison v M Loeb Ltd en accordant un certain mérite à l’employée, étant donné que l’employeur successeur a profité des cinq années d’expérience accumulée par cette dernière lorsqu’elle exerçait exactement les mêmes fonctions auparavant, et qu’elle n’a eu besoin d’aucune autre formation.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

BlackRock Metals Inc (Re), 2022 QCCS 2828

Contexte

Les sociétés débitrices (« BlackRock ») œuvraient dans le secteur de la transformation des métaux et des matières premières. BlackRock a déposé une demande de protection sous le régime de la LACC avant d’entreprendre un processus de sollicitation de vente et d’investissement approuvé par le tribunal, qui comprenait une soumission-paravent présentée par l’un de ses créanciers garantis, et un appel d’offres en deux phases. À la date limite de la première phase, BlackRock avait reçu une soumission d’un fonds commun de créance (« FCC ») adossée par des personnes physiques détenant plus ou moins 50 % des actions en circulation de BlackRock.  Le FCC demandait une prolongation de la date limite de la phase 2, ce qui lui a été refusé.  Le FCC a contesté l’approbation de la soumission-paravent et la demande de prolongation de la date limite de l’appel d’offres afin qu’il puisse se procurer le financement dont il avait besoin pour sa soumission.

Décision

La Cour supérieure rejette la demande du FCC, soulignant qu’il n’avait pas réussi à financer sa soumission dans les 60 jours de la prolongation de délai de la phase 1, et qu’il n’était pas non plus disposé à financer la prolongation de délai demandée pour la phase 2.  Par conséquent, laisser le processus de sollicitation de vente et d’investissement suivre son cours était la décision la plus fidèle à l’esprit et à l’objet de la LACC.

La Cour supérieure accepte l’analyse de la décision Harte Gold concernant l’approbation d’une ODI, confirmant que l’article 11 de la LACC lui confère la compétence voulue pour autoriser une ODI. La Cour n’examine pas la question de savoir si elle tire sa compétence de l’article 36 de la LACC, puisque l’article 11 lui confère manifestement le pouvoir d’agir. Elle confirme également que les ODI doivent demeurer l’exception et qu’ils doivent être approuvés seulement dans certaines circonstances, puisqu’aucun vote des créanciers n’est requis.

Elle conclut que dans les circonstances, l’ODI demandée est appropriée. BlackRock était une société d’exploitation minière, un secteur strictement réglementé, et ses activités d’exploitation exigeaient – et étaient de fait constituées – de nombreux permis, licences et autorisations. L’ODI réduisait les risques, les frais et les retards qui auraient pu être associés au transfert de ces actifs à un tiers. La transaction prévoyait également la prise en charge de certains contrats et préservait les créances connexes antérieures à la procédure initiale. Elle ne laissait aucune partie prenante dans une situation moins avantageuse qu’une autre solution viable, d’autant plus qu’aucune autre transaction viable ne permettait de créer de la valeur pour les créanciers non garantis.

Distinct Infrastructure Group Inc, CV-19-615270-00CL, date d’approbation : 21 juillet 2022

Contexte

Suite à l’ouverture d’une procédure de mise sous séquestre en mars 2019, de nombreuses poursuites ont été déposées au nom de Distinct Infrastructure Group (« DIG ») et d’autres créanciers contre les anciens administrateurs et dirigeants de DIG. Après un processus de médiation long et complexe, les parties ont conclu des ententes de règlement (les « ententes de règlement ») visant à officialiser le règlement de sept poursuites sur neuf. Deux poursuites contre les autres parties défenderesses ayant refusé le règlement sont toujours en instance.

Dans sa motion déposée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario sollicitant l’approbation des ententes de règlement, le séquestre demandait la mise sous séquestre des ententes, car elles contenaient des conditions de règlement financières et des renseignements commercialement sensibles. Elles comportaient également des dispositions obligeant les parties à préserver le secret des conditions du règlement.

Décision

Dans sa décision accueillant la demande d’ordonnance de mise sous séquestre, la Cour conclut que les trois volets du critère défini dans l’arrêt Sherman Estate c Donovan, 2021 CSC 25 sont remplis. Elle souligne qu’il est [traduction] « clairement et incontestablement » dans l’intérêt public de favoriser le règlement des différends et d’éviter un litige. Il est également dans l’intérêt public de protéger les renseignements commercialement sensibles, compte tenu surtout des poursuites en instance contre les parties défenderesses ayant refusé le règlement qui n’ont pas eu droit aux conditions financières des règlements.

La Cour juge également que l’ordonnance de mise sous scellé demandée, qui devait s’appliquer à l’intégralité des ententes de règlement, est proportionnelle, étant donné la complexité de l’instance, le nombre de parties et la présence de renseignements commercialement sensibles dans tout le contenu des documents, qui empêche en pratique de caviarder seulement certaines dispositions. Elle reconnaît que les ententes de règlement sont le fruit de négociations ardues entre plusieurs créanciers qui défendaient différents intérêts commerciaux et se faisaient concurrence pour le produit du règlement. Elle fait aussi remarquer que l’ordonnance de mise sous scellé n’est pas absolue et qu’elle peut éventuellement la modifier ou la lever.

Enfin, la Cour juge que l’intérêt public qui consiste à favoriser les règlements, en particulier le règlement d’une affaire multipartite complexe regroupant plusieurs procédures mettant en cause des parties cherchant à protéger leurs renseignements commercialement sensibles et leurs renseignements confidentiels au moyen de clauses de confidentialité, l’emporte sur les incidences négatives que pourraient avoir une ordonnance de mise sous scellé et le principe de la publicité des débats en l’espèce.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

Ernst & Young Inc v Aquino, 2022 ONCA 202

Contexte

Cette affaire porte sur l’insolvabilité de deux sociétés de construction liées établies en Ontario. L’une des sociétés insolvables, Bondfield Construction Company, a déposé une procédure de restructuration sous le régime de la LACC. L’autre, Forma-Con Construction, a fait faillite. L’âme dirigeante des deux sociétés était John Aquino (« J. Aquino »). Durant les procédures d’insolvabilité concomitantes, le contrôleur et le syndic, respectivement, ont découvert que les sociétés avaient effectué des millions de dollars de paiements à des parties liées, sans contrepartie, dans le cadre d’un stratagème de facturation frauduleux. Le contrôleur et le syndic ont déposé une demande conformément à l’article 96 de la LIF afin de faire déclarer ces opérations inopposables.

La Cour devait déterminer si les débitrices « avai[ent] l’intention de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement », l’un des critères prévus à l’alinéa 96(1)b)(ii)(B) justifiant qu’une opération soit déclarée inopposable.Les intimés soutenaient que, puisque le stratagème frauduleux avait causé un préjudice aux débitrices, celles-ci n’avaient pas eu l’intention de frauder les créanciers. La seule intention frauduleuse était celle de l’âme dirigeante.

Décision

La Cour d’appel de l’Ontario maintient la décision de première instance et juge que (i) les paiements effectués dans le cadre du stratagème frauduleux constituent des opérations sous-évaluées, (ii) les intimés, y compris J. Aquino, sont solidairement responsables de la valeur dont les sociétés ont été privées.

La Cour d’appel conclut que pour les fins de l’analyse prévue à l’article 96, l’intention frauduleuse de J. Aquino doit être attribuée aux sociétés débitrices. Ce faisant, la Cour passe en revue la doctrine de common law de l’attribution d’actes à une société et son application dans le contexte de la LIF.  La Cour déclare que cette doctrine doit s’appliquer en tenant compte du contexte, et que le tribunal doit se poser cette question : [traduction] « Qui doit assumer la responsabilité des actes frauduleux de l’âme dirigeante d’une société commis dans l’exercice de sa fonction – les fraudeurs ou les créanciers? ». La Cour en conclut que l’intention de J. Aquino doit être imputée aux sociétés débitrices afin de protéger les créanciers indépendants des initiés ayant commis la fraude.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

En janvier 2023, la Cour suprême du Canada a accueilli la demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel présentée par le dirigeant des débitrices.

Freshlocal Solutions Inc (Re), 2022 BCSC 1616

Contexte

Le groupe de sociétés Freshlocal (le « groupe Freshlocal ») exploite une entreprise d’épicerie en ligne.  En mai 2022, le groupe Freshlocal s’est placé sous la protection de la LACC et a obtenu un financement temporaire.  En juillet 2022, le groupe a présenté une demande d’approbation d’un processus de vente, notamment d’une soumission-paravent provenant du créancier lui ayant octroyé un prêt temporaire. Ce dernier a notamment plaidé, au soutien de sa soumission-paravent, que les frais associés à l’entente paravent visaient à compenser l’intérêt et les frais imputés dans l’accord de financement temporaire. 

Décision

La Cour suprême de la Colombie-Britannique juge qu’il n’y a pas lieu d’approuver l’entente paravent dans les circonstances.  La Cour souligne que l’entente n’était pas le fruit d’un processus concurrentiel et que le processus d’établissement des prix n’était pas transparent.  De plus, elle écarte les arguments selon lesquels les prix prévus dans l’entente paravent étaient liés au précédent accord de financement temporaire, précisant que cette information n’a pas été communiquée à la Cour au moment où le financement temporaire a été approuvé.  Elle fait aussi remarquer que l’entente n’a pas reçu l’aval des créanciers garantis, alors que ce sont eux qui en subiront les conséquences (favorables ou défavorables). 

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

Golden Oaks Enterprises Inc v Scott, 2022 ONCA 509

Contexte

Cette affaire concerne la faillite de Golden Oaks Enterprises Inc. (« Golden Oaks »), qui exploitait une combine à la Ponzi. Cette combine se déroulait comme suit : (i) Golden Oaks prétendait qu’elle sollicitait des placements sous forme de prêts afin d’acheter des maisons pour les familles démunies; (ii) en réalité, elle utilisait les fonds investis pour effectuer des versements d’intérêt à des taux faramineux aux précédents investisseurs. La combine à la Ponzi et la société se sont effondrées, et le syndic de faillite a intenté des poursuites contre, entre autres, plusieurs investisseurs qui ont pris part à la combine et bénéficié de la fraude en percevant des versements sur leurs « placements ».

En première instance, les bénéficiaires des versements frauduleux ont soutenu que les réclamations du syndic étaient frappées de prescription comme il est prévu dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions, au motif que la connaissance des faits par le dirigeant de Golden Oaks devait être attribuée à la société, ce qui entraînait la prescription des réclamations du syndic. Le juge de première instance a rejeté ces arguments et a rendu un jugement contre certains bénéficiaires, lesquels ont porté sa décision en appel.

Décision

La Cour d’appel de l’Ontario confirme la décision de première instance. Elle analyse l’application de la doctrine de l’attribution d’actes à une société dans un contexte de poursuites civiles et de procédures d’insolvabilité. S’appuyant sur une décision récente de la Cour dans l’affaire Aquino, elle juge que la doctrine doit être appliquée en tenant compte du contexte. Ainsi, la Cour conclut que si elle est appliquée en l’espèce, [traduction] « cela minerait l’un des préceptes fondamentaux du droit de l’insolvabilité, qui est de veiller à la répartition équitable des actifs parmi les créanciers ». Par conséquent, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et refuse d’attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait son dirigeant de la fraude; ainsi, les faits ayant donné naissance aux réclamations du syndic pouvaient être découverts après la nomination de ce dernier et les réclamations n’étaient pas prescrites.

Harte Gold Corp (Re), 2022 ONSC 653

Contexte

Harte Gold Corp. (« Harte Gold ») exploite une mine aurifère en Ontario. Elle détient plusieurs permis et licences nécessaires à la poursuite de ses activités. En raison d’une crise de liquidité, la société a réalisé un processus d’examen stratégique avant dépôt dans l’espoir de se procurer de nouveaux fonds propres grâce à une vente d’actif. Elle n’a cependant reçu aucune offre ferme.

En décembre 2021, Harte Gold a entamé des procédures sous le régime de la LACC après quoi, elle a entrepris un court processus de sollicitation de vente et d’investissement avec une soumission-paravent. La société a reçu deux propositions de crédit concurrentes de la part de ses créanciers garantis lors de ce deuxième processus. La proposition retenue portait sur une transaction structurée comme une ODI.

La Cour supérieure de l’Ontario devait déterminer s’il y avait lieu d’approuver l’ODI et la transaction proposée.

Décision

La Cour confirme que l’article 11 de la LACC confère un pouvoir étendu aux tribunaux, y compris le pouvoir d’accorder des ODI, pourvu qu’elles soient compatibles avec l’esprit et l’objet de la LACC. La Cour apporte toutefois une mise en garde : les ODI ne doivent pas être considérées comme la nouvelle norme et elles ne devraient pas être accordées au simple motif qu’elles sont plus pratiques ou plus avantageuses pour l’acheteur. Compte tenu de la nouvelle nature des ODI, l’approbation des opérations visées par une ODI demeure assujettie à un examen rigoureux. Le contrôleur et le tribunal doivent s’assurer que la restructuration proposée est juste et raisonnable pour toutes les parties, compte tenu des objectifs et des restrictions de la LACC, surtout quand personne ne s’oppose à l’opération.

Les parties doivent apporter une réponse satisfaisante aux questions suivantes :

  1. Pourquoi l’ODI est-elle nécessaire en l’espèce?
  2. Une structure d’ODI produira-t-elle un résultat économique à tout le moins aussi avantageux que toute autre solution viable?
  3. La structure d’ODI laissera-t-elle l’une ou l’autre des parties prenantes dans une situation moins avantageuse qu’une autre solution viable?
  4. La contrepartie versée pour l’entreprise de la débitrice prend-elle en compte l’importance et la valeur des licences et des permis (ou d’autres actifs incorporels) préservés dans la structure d’ODI?

De plus, la Cour doit également tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 36(3) de la LACC, qui reprennent dans les grandes lignes les principes bien connus du jugement Soundair.

En se fondant sur les faits, la Cour conclut que l’opération était profitable pour toutes les parties prenantes et qu’elle permettait de régler rapidement et efficacement la procédure d’insolvabilité de Harte Gold; elle approuve donc l’ODI demandée par cette dernière. Entre autres choses, la Cour souligne que l’opération visée par l’ODI était préférable à l’opération classique, qui entraînerait des frais et des retards supplémentaires pour le transfert des licences, des permis et des inscriptions de Harte Gold. L’opération visée par l’ODI permettrait également de préserver plus de 250 emplois, sans compter l’emploi de bon nombre de tiers entrepreneurs, et de maintenir l’engagement pris par Harte Gold envers les peuples des Premières Nations de la région grâce à la préservation de leur entente sur les répercussions et les avantages. L’ODI était beaucoup plus avantageuse pour les parties prenantes que la liquidation de la société; elle était donc dans l’intérêt des parties prenantes.

Koroluk v KPMG Inc, 2022 SKCA 57

Contexte

PrimeWest Mortgage Investment Corporation (« PrimeWest ») était une société de financement hypothécaire résidentiel qui avait découvert, après avoir congédié son président et chef de la direction, que bon nombre de ses prêts étaient sous-garantis et que ses états financiers comportaient des erreurs importantes ayant donné lieu à une surévaluation de l’entreprise. Les actionnaires de PrimeWest ont alors intenté une action collective contre les dirigeants et auditeurs de la société (l’« action collective »). PrimeWest n’était pas partie à l’action collective, mais les dirigeants et auditeurs avaient des réclamations pour des contributions et des indemnités qu’ils auraient pu faire valoir contre elle.

Après l’échec d’une tentative de vente des actifs de la société, le conseil d’administration de PrimeWest a approuvé un plan pour la liquidation et la dissolution volontaire de cette dernière. Selon le plan mis au point par la société, le liquidateur établirait un processus de traitement des réclamations visant à répertorier et à régler les « réclamations » contre PrimeWest, y compris l’action collective. Le demandeur dans l’action collective a déposé une demande afin que l’action collective soit exclue des procédures de liquidation.

Décision

Infirmant la décision relative aux motions, la Cour d’appel de la Saskatchewan conclut que le juge surveillant les procédures de liquidation volontaire d’une société ne peut pas accorder de décharge à l’égard de réclamations qui ne visent pas la société. Comme l’action collective avait été intentée contre les dirigeants et auditeurs de PrimeWest, et non contre PrimeWest elle-même, le processus de traitement des réclamations prévu dans le plan de liquidation ne pouvait s’appliquer à l’action collective.

Manitok Energy Inc (Re), 2022 ABCA 117

Contexte

Manitok Energy Inc. (« Manitok »), une société pétrolière et gazière, a entamé une procédure de mise sous séquestre.  Elle a vendu certains actifs à un tiers aux termes d’une opération de vente approuvée par le tribunal. L’acheteur a également pris en charge les obligations futures d’abandon et de remise en état associées aux actifs en question.

Cependant, d’autres actifs pétroliers et gaziers de Manitok n’ont pas été vendus, car les obligations futures d’abandon et de remise en état représentaient des coûts supérieurs à la valeur des actifs. Les actifs invendus avaient une valeur « nette négative » et étaient donc invendables.

Après la vente, l’Alberta Energy Regulator (« AER ») a rendu des ordonnances d’abandon visant les actifs invendus de Manitok.

L’AER a également affirmé que les coûts associés à l’application de l’ordonnance étaient garantis par un privilège de premier rang sur le produit de l’opération, en se fondant sur les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Redwater (2019 CSC 5). Certains créanciers se réclamant du privilège de construction, qui bénéficiaient aussi d’une sûreté de premier rang sur le produit de la vente, n’eût été la sûreté de l’AER, ont contesté le droit de cette dernière à recevoir une partie du produit.
Le juge de première instance a tranché en faveur des titulaires de privilèges et a estimé que l’arrêt Redwater ne s’appliquait pas.  Ce faisant, le tribunal a conclu que, puisque l’AER n’avait pas rendu d’ordonnance au moment de l’opération, le produit de la vente n’était pas assujetti au privilège de cette dernière. 

Décision

La Cour infirme la décision de première instance, affirmant que les obligations d’abandon et de remise en état ne sont pas conditionnelles à la mesure d’application prise par l’AER; au contraire, le devoir public du séquestre d’utiliser le produit de l’opération pour satisfaire les obligations d’abandon et de remise en état résiduelles de Manitok subsiste sans égard à toute mesure d’application prise par AER. La Cour conclut également que, même si l’acheteur avait pris en charge les obligations d’abandon relatives aux actifs acquis, tous les actifs pétroliers et gaziers de Manitok formaient un tout et devaient être traités comme tels et par conséquent, l’AER avait un privilège de premier rang sur le produit de la vente.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

Re Mundo Media Ltd, 2022 ONCA 607

Contexte

Mundo Media Ltd. (« Mundo ») a entamé une procédure de mise sous séquestre en 2019. Le séquestre a déposé une motion en vue d’obtenir un jugement contre SPay, Inc. (« SPay ») pour plus de 4 millions de dollars américains en factures impayées relatives à des conventions précédant la mise sous séquestre. SPay a tenté de faire rejeter la motion du séquestre en s’appuyant sur les clauses d’arbitrage dans les conventions, qui exigeaient que les différends soient réglés par arbitrage à New York, conformément au droit de New York.

Le juge saisi de la motion a rejeté la motion de SPay et conclu que les clauses d’arbitrage étaient inopérantes en raison du « processus judiciaire centralisé » des procédures d’insolvabilité. Il a ajouté que ce modèle englobait non seulement les réclamations contre un débiteur, mais aussi celles que le débiteur présentait contre un tiers. Le juge a aussi conclu que SPay n’était pas « étrangère » à la procédure d’insolvabilité de Mundo, car elle demanderait la radiation de sommes dues à Mundo; elle était donc assujettie au processus judiciaire centralisé. SPay a déposé une demande d’autorisation d’appel de la décision du juge de la motion.

Décision

La Cour d’appel de l’Ontario refuse la demande d’autorisation d’appel de SPay en se fondant sur l’arrêt Century Services Inc c Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, et plus particulièrement sur l’argument voulant que le processus judiciaire uniformisé favorise l’efficacité des procédures d’insolvabilité et permette un recouvrement maximal au profit de tous les créanciers. Le processus judiciaire uniformisé s’applique lorsqu’un tiers n’est pas étranger à la procédure d’insolvabilité. SPay a soutenu qu’elle était étrangère à la procédure d’insolvabilité de Mundo pour deux raisons : d’abord, elle n’avait déposé aucune réclamation contre Mundo; ensuite, elle tentait d’obtenir une compensation comme moyen de défense seulement et elle ne présentait aucune réclamation contre Mundo.

Si la jurisprudence canadienne fait la distinction entre une défense de compensation et une réclamation, cette distinction n’est pas déterminante dans les procédures de faillite. D’ailleurs, comme le résultat de la compensation proposée par SPay se répercute sur le montant des créances de Mundo et la valeur de ses actifs, SPay n’était pas étrangère à la procédure de faillite. Autrement dit, peu importe si SPay faisait valoir une réclamation ou une défense de compensation, elle endossait au final un rôle de créancier et elle devait donc être traitée au même titre que les autres créanciers non garantis.

Cette décision a été rendue avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Peace River Hydro Partners c Petrowest Corp, 2022 CSC 41 (dont il est question ci-après). Après le jugement Petrowest, le tribunal devra examiner l’applicabilité des clauses d’arbitrage avec plus de retenue que dans l’affaire Mundo.

Peace River Hydro Partners c Petrowest Corp, 2022 CSC 41

Contexte

Peace River Hydro Partners (« Peace River »), une société de construction de la Colombie-Britannique, avait confié des travaux en sous-traitance à Petrowest Corporation (« Petrowest »), une société de construction de l’Alberta. Les contrats conclus entre Peace River et Petrowest comportaient des clauses d’arbitrage obligeant les parties à soumettre tout différend entre elles à l’arbitrage (les « conventions d’arbitrage »). Moins de deux ans après leur association, Petrowest s’est retrouvée en difficultés financières et a été mise sous séquestre. Le séquestre a ensuite déposé une réclamation contre Peace River en vue de recouvrer des sommes dont elle aurait été redevable envers Petrowest pour l’exécution de travaux. Peace River a demandé une suspension de l’action en vertu de l’Arbitration Act (Colombie-Britannique) au motif que les conventions d’arbitrage régissaient le mécanisme de résolution des différends.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que le séquestre était lié par les conditions des conventions d’arbitrage. Cependant, la Cour a rejeté la demande de suspension de l’action en se prévalant de sa compétence inhérente pour annuler les conventions d’arbitrage comme il est prévu à l’article 183 de la LIF. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a écarté le recours à la compétence inhérente du juge de première instance et a plutôt appliqué la doctrine de la séparabilité afin que le séquestre puisse renoncer aux conventions d’arbitrage tout en préservant les conventions afin qu’il puisse intenter une action en recouvrement. Comme le séquestre n’était pas partie aux conventions d’arbitrage, l’article 15 de l’Arbitration Act ne s’appliquait pas et le séquestre pouvait à bon droit déposer un recours devant les tribunaux.

Décision

La Cour suprême du Canada devait déterminer, dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal sous le régime de la LIF, dans quelles circonstances une convention d’arbitrage autrement valide devient inopérante par l’effet du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act. Pour décider s’il y a lieu de prononcer un arrêt de l’action en faveur de l’arbitrage, le tribunal doit examiner les régimes législatifs et les conventions d’arbitrage. La Cour suprême établit un cadre d’analyse en deux volets pour guider l’exercice relevant de l’article 15 de l’Arbitration Act et des différentes lois sur l’arbitrage au pays :

Premièrement, la partie qui requiert la suspension d’une instance en faveur de l’arbitrage doit prouver que les quatre conditions préliminaires sont remplies :

  • il existe une convention d’arbitrage;
  • une « partie » à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire;
  • l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage;
  • la partie qui demande une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage le fait avant d’agir dans l’instance.

Pour passer au deuxième volet, le demandeur doit uniquement établir, sur le fondement d’une « cause défendable », que les quatre conditions préliminaires sont remplies.

Sous le second volet, la partie qui cherche à se soustraire à l’arbitrage doit démontrer que l’une des exceptions prévues par la loi s’applique. On peut trouver une telle exception, par exemple, au paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act, qui donne à la Cour le pouvoir de rejeter une demande de suspension de l’action lorsque la convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». En plus des rares circonstances en droit des contrats qui permettent de frapper de nullité une convention d’arbitrage et des autres obstacles qui la rendent impossible à exécuter, la Cour suprême dresse une liste non exhaustive de facteurs permettant de déterminer si une convention d’arbitrage est inopérante :

  • L’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité.
  • Le préjudice relatif causé aux parties en raison du renvoi du différend à l’arbitrage.
  • L’urgence de régler le différend.
  • L’applicabilité d’une suspension d’instance en droit de la faillite ou de l’insolvabilité.
  • Tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.

Peace River a réussi à établir une cause défendable selon laquelle toutes les conditions préliminaires étaient remplies. Surtout, la Cour confirme que le séquestre peut devenir partie à une convention d’arbitrage par l’effet de la loi, et que la nomination d’un séquestre n’exclut pas automatiquement l’arbitrage.

De plus, la Cour juge que le séquestre a réussi a prouver que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes, puisque l’arbitrage aurait mis en péril le règlement ordonné et efficace de la procédure d’insolvabilité.

Outre le cadre d’analyse, la Cour souligne que le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité sont tout à fait compatibles, puisqu’ils cherchent tous les deux à favoriser l’efficience et la célérité, la souplesse procédurale et la prise de décisions par des spécialistes du domaine. C’est pour cette raison que les tribunaux devraient habituellement obliger les parties à respecter leurs conventions d’arbitrage, même si l’une d’entre elles est devenue insolvable. Plus important encore, la Cour suprême estime que la Cour d’appel a mal appliqué la doctrine de la séparabilité, laquelle ne s’applique pas en l’absence d’une contestation de la validité du contrat principal ou de la convention d’arbitrage elle-même.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article.

PricewaterhouseCoopers Inc v Perpetual Energy Inc, 2022 ABCA 111

Contexte

Cette décision fait partie de la saga judiciaire relative à la faillite de Sequoia Resources Corp. (« Sequoia »), anciennement connue sous le nom de Perpetual Energy Operating Corp. (« PECO »), une société de prospection et de mise en valeur d’actifs pétroliers et gaziers en Alberta. Avant son changement de dénomination sociale, le groupe Perpetual Energy a réalisé une série d’opérations en vertu desquelles PECO transférait ses actifs de valeur ou s’en dessaisissait, et prenait en charge des centaines de millions de dollars d’obligations d’abandon et de remise en état relatives à des propriétés pétrolières et gazières non productives. Après ces opérations, Sequoia, désormais responsable des obligations d’abandon et de remise en état laissées de côté, a fait une cession en faillite. Le syndic de faillite a intenté une poursuite afin de faire annuler les opérations (ou du moins, certaines parties des opérations) au motif qu’elles constituaient des opérations sous-évaluées au sens de l’article 96 de la LIF.

Les parties défenderesses ont réussi à faire rejeter sommairement l’action du syndic en soutenant que le transfert des obligations d’abandon et de remise en état à PECO n’avait pas placé cette dernière en situation d’insolvabilité. Le juge de première instance a conclu que les obligations d’abandon et de remise en état n’étaient pas [traduction] « des obligations, échues et à échoir » aux fins de l’évaluation de la solvabilité fondée sur le bilan prévue par la LIF, a donné gain de cause aux parties défenderesses et a rejeté les réclamations fondées sur l’article 96. Le syndic a interjeté appel.

Décision

La Cour d’appel de l’Alberta infirme la décision de première instance et conclut que les obligations d’abandon et de remise en état doivent être intégrées à l’évaluation de la solvabilité fondée sur le bilan réalisée par le tribunal. Plus particulièrement, en se fondant sur l’arrêt Redwater de la Cour suprême du Canada et sur les décisions de jurisprudence qui ont suivi, la Cour affirme que les obligations d’abandon et de remise en état sont des obligations intrinsèques à l’obtention d’un permis d’exploitation d’actifs pétroliers et gaziers et qu’elles doivent donc être prises en compte dans l’évaluation de la solvabilité fondée sur le bilan dans les actifs du débiteur. Autrement dit, les obligations d’abandon et de remise en état doivent être comptabilisées puisqu’elles font baisser la valeur des actifs. Par conséquent, la Cour d’appel accueille l’appel.

em>Sirius Concrete Inc (Re), 2022 ONCA 524

Contexte

L’affaire portait sur la faillite d’un sous-traitant recruté pour contribuer à la construction d’un immeuble d’appartements. Son travail était en retard et de mauvaise qualité. Dans une conversation téléphonique avec les représentants de l’entrepreneur général, le sous-traitant a exigé le paiement d’une facture contestée pour « remettre le projet sur les rails ». Sur la foi de cette déclaration, l’entrepreneur a acquitté la facture. Toutefois, le jour même, le sous-traitant a rempli des formulaires dans l’optique de déclarer faillite, ce qu’il a fait quelques jours plus tard.

Pendant la procédure de faillite, l’entrepreneur général a demandé une ordonnance déclarant que, vu l’enrichissement injustifié, il avait droit à une fiducie constructoire à l’égard des fonds versés au failli pour acquitter la facture contestée. Le juge des requêtes a rejeté cette demande.

Décision

Dans une décision unanime, la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision de première instance. Elle a souligné que, dans les circonstances appropriées, une fiducie constructoire peut être imposée à l’égard de biens du failli, même si cela fait en sorte que le créancier obtient un rang prioritaire. Elle a renvoyé l’affaire au juge des requêtes pour qu’il tranche la question de la fiducie constructoire.

L’affaire Sirius nous rappelle que l’equity peut, quoique rarement, intervenir si, sans elle, les créanciers du failli s’enrichiraient injustement.

Pour une analyse plus complète de cette décision, consultez notre article (en anglais seulement).

Ward Western Holdings Corp v Brosseuk, 2022 BCCA 32

Contexte

Ward Western Holdings Corp. (« Ward ») était propriétaire d’une mine en Colombie-Britannique, et Westrike Resources Ltd. (« Westrike », et collectivement avec Ward, le « débiteur ») était titulaire des permis et des claims miniers associés à celle-ci.   Ward a conclu une convention d’achat d’actions avec Brosseuk et d’autres parties (collectivement, le « vendeur ») pour, entre autres, acquérir les actions de Westrike. Cette convention était en partie financée par le vendeur.  Divers différends ont éclaté entre les parties, qui s’accusaient mutuellement d’avoir manqué à la convention.  Elles ont présenté des demandes concurrentes. Le vendeur a notamment demandé qu’un séquestre soit nommé pour Westrike. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a nommé un séquestre et rejeté la demande d’injonction du débiteur, qui a interjeté appel.

Décision

La Cour d’appel a rejeté l’appel au motif que la nomination d’un séquestre est une décision discrétionnaire qui commande la déférence, et que le débiteur n’a pas démontré qu’une erreur de principe avait été commise dans la prise de cette décision. Elle confirme ainsi que, même lorsqu’une dette est contestée, un séquestre peut être nommé si le droit du créancier de recouvrer sa créance et de réaliser sa sûreté est potentiellement sérieusement compromis et si la nomination est juste et convenable dans les circonstances.

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