POINT DE VUE
Les chaînes d’approvisionnement à l’ère postpandémique
Le quotidien des Canadiens a changé du tout au tout depuis l’apparition du premier cas de COVID-19 au pays il y a maintenant plus d’un an. Les chaînes d’approvisionnement du Canada n’ont pas été épargnées. En effet, si certains maillons se sont montrés résilients, d’autres ont peiné à répondre à la hausse tant inédite qu’inattendue de la demande en produits essentiels.
Nous nous sommes entretenus avec certains des associés et avocats phares de BLG sur les points suivants:
Expédition et transport
Sarah Sweet, avocate principale, Assurance et responsabilité civile
On observe une diversification tant chez les expéditeurs que chez les transporteurs. Pour leur part, les expéditeurs voient des transporteurs qu’ils croyaient bien établis risquer l’insolvabilité et se montrer plus enclins à demander une modification des modalités de paiement, à demander des délais de paiement plus courts et à réclamer un paiement anticipé plutôt qu’un paiement à la livraison.
Dans ce contexte, les expéditeurs seraient avisés de retenir les services de plusieurs transporteurs afin d’atténuer le risque que l’un d’entre eux devienne insolvable et d’accroître leur pouvoir de négociation au moment d’arrêter les modalités de leurs contrats. Selon les volumes transportés, cette stratégie peut également réduire le risque associé à l’invocation – à bon ou à mauvais droit – du droit de rétention d’un transporteur sur une cargaison.
En effet, pour l’expéditeur dont l’unique transporteur détient continuellement un volume important de sa marchandise, une détérioration des rapports poserait un risque considérable. Certains expéditeurs pourraient aussi songer à se doter de leur propre flotte plutôt que de toujours recourir à des tiers. Toutefois, un tel investissement ne serait peut-être pas sage dans un contexte où les finances de nombreux expéditeurs restent incertaines.
Les transporteurs, quant à eux, sont en train de diversifier leurs modèles de service et la composition de leur fret. Avant la COVID, nombre d’entre eux se spécialisaient dans un service particulier, par exemple la livraison de fin de parcours, ou dans un marché précis comme la restauration et l’alimentation. La diversification de clientèle et de marché sera une bouée de sauvetage pour la plupart d’entre eux.
Robin Squires, responsable national, groupe sectoriel Transports
Absolument. Le risque d’insolvabilité chez les transporteurs est trop important pour mettre tous ses œufs dans le même panier. Qui plus est, la demande accrue pour certains types de cargaisons et les ralentissements dans certains ports entraîneront une hausse globale des prix. Il y a donc fort à parier que les sociétés magasineront davantage qu’auparavant.
Robin Squires, responsable national, groupe sectoriel Transports
Les transporteurs et les sociétés auraient effectivement intérêt à revoir leurs contrats de transport pour atténuer les risques de retard et d’annulation qu’entraîneront les futures pandémies et autres situations du genre.
Sarah Sweet, avocate principale, Assurance et responsabilité civile
Avant la COVID-19, on mettait l’accent sur la présence de déclarations et de garanties appropriées quant à la capacité des transporteurs de remplir leurs obligations ainsi qu’au type de marchandises à transporter. On insistait aussi sur l’inclusion de dispositions adéquates et solides d’assurance et d’indemnisation et sur une gestion globale des risques relatifs à des questions alors jugées d’importance capitale, notamment les déversements et le transport de marchandises dangereuses.
Lorsque la pandémie a frappé, les acteurs de l’industrie ont réalisé – souvent à leurs dépens – toute l’importance d’une clause de force majeure suffisamment étoffée. À ce chapitre, il y a particulièrement lieu de s’attarder à ce qui a empêché les expéditeurs et les transporteurs de remplir leurs obligations durant cette période. Souvent, les mesures de lutte contre la COVID-19 imposées par les autorités leur ont nui davantage que le virus lui-même, sauf bien entendu dans des situations comme une éclosion à bord d’un navire.
Dans de telles circonstances, il importe davantage que le libellé mentionne les « mesures gouvernementales » ou d’autres éventualités de ce type que les « pandémies » ou les « urgences de santé publique ». Seraient également à revoir les modalités de règlement et les moyens de remédier aux défauts de paiement, les niveaux de service ainsi que les volumes minimaux obligatoires, particulièrement si les expéditeurs et les transporteurs cherchent à diversifier leurs activités.
Environnement
Heidi Rolfe, avocate principale, Droit de l’environnement, droit municipal, expropriation et réglementation
et
Emily Pitre, avocate, Litiges
En règle générale, les entreprises canadiennes devraient tenir pour acquis que les normes environnementales s’appliquent toujours.
Si les délais de prescription relatifs aux procédures civiles ont été suspendus dans plusieurs territoires canadiens, ce n’est pas forcément le cas des échéances prévues dans les législations provinciales et fédérale en matière d’environnement ou dans les ordonnances rendues par les décideurs administratifs. Les normes et échéances applicables doivent donc être examinées au cas par cas.
Nous sommes au courant d’au moins un cas où le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs a déclaré que les échéances imposées par arrêté ne seront pas automatiquement repoussées. Il s’est néanmoins dit prêt à accorder des prolongations de façon discrétionnaire. Il serait prudent de demander une prolongation pour les échéances fixées par arrêté qui demeurent applicables, ainsi que pour toute approbation en attente.
Entrée en vigueur en août 2020, la Mines Amendment Act de la Colombie-Britannique constitue un autre exemple. Cette loi est venue créer un nouveau poste de directeur général à la délivrance de permis (chief permitting officer) et accroître la capacité du gouvernement provincial à tenir les mines responsables des blessures, des décès et des dommages matériels ou environnementaux. Bruce Ralston, ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières, décrivant la raison d’être de cette nouvelle loi, a déclaré que [TRADUCTION] « la pandémie de COVID-19 nous a rappelés que la santé et la sécurité doivent demeure une priorité absolue ».
De plus, le 1er avril 2020, le gouvernement de la Colombie-Britannique a présenté des modifications au Greenhouse Gas Emission Reporting Regulation, B.C. Reg. 249/2015. Ces modifications :
- ont changé les obligations de reddition de compte;
- ont permis des délais supplémentaires (d’au plus six mois) pour présenter les bilans de vérification et les rapports d’émissions et de conformité;
- ont permis la visite virtuelle de sites.
À ce jour, toutes les autres exigences apparentées demeurent inchangées.
Les sociétés tenues à des obligations relatives à l’emballage et aux produits du papier dans le cadre de programmes de gérance du recyclage – également appelées « responsabilité élargie des producteurs » – se sont vu accorder plus de latitude en 2020 en matière de reddition de compte, notamment par le report d’échéances et une diversification des options de report de paiement. Des programmes de gérance de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario ont eux aussi assoupli leurs obligations de reddition de compte.
Heidi Rolfe, avocate principale, Droit de l’environnement, droit municipal, expropriation et réglementation
et
Emily Pitre, avocate, Litiges
Les entreprises canadiennes devraient également présumer que toutes les conditions environnementales et réglementaires, notamment en matière de contrôle et de reddition de compte, s’appliquent toujours.
Partout au pays, les instances réglementaires et les décideurs administratifs poursuivent leurs activités de conformité et de vérification, parfois par des méthodes et des moyens auxquels les sociétés assujetties ne sont pas habituées (p. ex. inspections par vidéoconférence plutôt qu’en personne).
Les organismes de réglementation environnementale peuvent exercer leur discrétion au cas par cas lorsqu’un exploitant ou une installation s’attend à ne pas pouvoir respecter les conditions de son accréditation ou de son autorisation, ou encore les échéances s’y rapportant. Cela ne veut toutefois pas dire que ces obligations ne s’appliquent plus. Chaque décideur et organisme de réglementation peut s’adapter à la COVID-19 comme il l’entend.
Fabrication
Martin Abadi, avocat-conseil, Assurance et responsabilité civile
Ce que l’on appelait auparavant « surcapacité » sera sans doute rebaptisé « résilience » après la pandémie.
Les compromis entre l’efficacité et la résilience et entre les prix concurrentiels et la bonification pour le « fabriqué au Canada » ne sont pas chose nouvelle, mais le poids respectif de ces facteurs risque de changer dans certains secteurs. L’exemple le plus criant dans le contexte de la pandémie est celui des fournitures « essentielles », c’est-à-dire les produits de soins de santé. Des vaccins au désinfectant, les Canadiens et Canadiennes ont connu des ruptures de stock et des retards attribuables à des capacités de fabrication insuffisantes – parfois même inexistantes – au pays. Cet état de fait a entraîné un mouvement pour l’autosuffisance nationale dans le cadre duquel le gouvernement fédéral s’est hâté de rapatrier la production de produits rendus essentiels par la COVID-19.
Cependant, le développement des capacités nécessaires afin de concrétiser cet engouement pour les solutions de production canadienne requiert un allègement du fardeau administratif et un investissement approprié. La réglementation demeure l’une des grandes entraves à l’établissement d’une présence manufacturière au Canada. Pensons simplement au temps et aux ressources nécessaires pour satisfaire aux exigences canadiennes d’octroi de licences visant la production et la vente de produits de soins de santé.
Bien que Santé Canada ait simplifié certains de ces processus durant la pandémie – notamment en permettant l’utilisation de nouveaux types d’éthanol dans le désinfectant, ce qui a permis à des distilleries canadiennes de modifier leurs processus de fabrication pour répondre à la demande criante pour ce produit –, ces changements réglementaires sont temporaires et sans doute voués à disparaître d’ici peu. Beaucoup dépendra donc du degré d’investissement public et privé, deux secteurs auxquels il faudra d’ailleurs présenter une proposition de valeur convaincante après la pandémie, quand nombre de ces préoccupations pourraient être mises de côté en faveur d’autres priorités (économiques et sociales) au moment de la reprise.
Il y a ainsi fort à parier que les chaînes d’approvisionnement des secteurs où les consommateurs privilégient la variété et les bas prix retrouvent leurs priorités d’avant la pandémie. Qui plus est, bien que les entreprises puissent vouloir profiter de l’actuel désir des consommateurs d’« acheter canadien », de dépenser au pays et de réduire leur empreinte écologique, nous ne savons pas si cette tendance durera. Les fournisseurs dont les nouvelles chaînes d’approvisionnement se sont révélées avantageuses devraient toutefois se demander comment les conserver lorsque le marché reviendra à la normale et comment utiliser au mieux les éventuels capacités et gains financiers attribuables à ce rapatriement de la production, qui ne sera sans doute pas permanent.
Edona Vila, associée, Assurance et responsabilité civile
De la fabrication à la livraison, la pandémie a entraîné l’essor de l’automatisation à l’échelle de la chaîne de valeur. L’automatisation a toujours suscité le scepticisme et la peur pour la sécurité d’emploi, ce qui en a entravé sa propagation dans les organisations. Mais la pandémie et, avec elle, la nécessité d’une distanciation physique ont accéléré l’automatisation des chaînes d’approvisionnement, et les chefs d’entreprise partout dans le monde investissent à présent dans un avenir post-COVID-19 de plus en plus automatisé. En réduisant le nombre de personnes nécessaire pour une activité donnée, voire en remplaçant carrément l’humain, l’automatisation a permis aux organisations de traverser et de gérer les perturbations causées par la pandémie. Il n’y aura sans doute pas de retour en arrière.
La pandémie a également fait du déploiement virtuel de systèmes d’automatisation et de robots une norme de l’industrie, ne serait-ce qu’à titre provisoire. Non seulement cette façon de faire limite-t-elle les contacts physiques, mais elle permet aussi aux sociétés de communiquer entre elles plus rapidement et efficacement, ce qui accélère encore davantage l’automatisation au sein de nombreux secteurs.
La COVID-19 a également contribué à l’accessibilité des robots. En effet, ils sont si recherchés dans tous les secteurs qu’il est désormais essentiel que tout le monde puisse les utiliser facilement.
Edona Vila, associée, Assurance et responsabilité civile
L’avenir étant imprévisible, les entrepôts et centres de distribution voudront se faire les plus souples possible. Premièrement, les entreprises privilégieront de plus en plus les capacités industrielles par rapport au détail. Les grosses pointures de l’entreposage, de la distribution et de la logistique se doteront de centres d’expédition partout au Canada afin de répondre à la demande accrue pour la livraison résidentielle et commerciale de marchandises physiques. Deuxièmement, le commerce en ligne obligera les entreprises à acquérir davantage d’installations de fin de parcours et de « touche finale », de centres de distribution et d’entrepôts réfrigérés. La pénurie de terrains continuera de poser problème et entraînera sans doute une recrudescence des rénovations de vieux immeubles industriels dans les centres urbains.
Reste à voir où et comment les entreprises trouveront l’espace dont elles ont besoin pour répondre aux besoins des consommateurs. L’avenir nous dira si elles recourront à des entrepôts multiétages pour ce faire et la mesure dans laquelle elles influeront, à titre d’intervenantes clés, sur la mise en place de routes intelligentes (faisant notamment usage de la communication véhicule-infrastructures) ainsi que des aménagements axés sur la notion de ville intelligente et sur les transports en commun actuellement étudiés dans plusieurs territoires.
Gestion du risque
Martin Abadi, avocat-conseil, Assurance et responsabilité civile
Afin de conserver une source distincte d’avantage concurrentiel au chapitre des chaînes d’approvisionnement nationales, les entreprises canadiennes miseront sans doute, comme plusieurs le font déjà, sur des technologies de fabrication de pointe pour créer des produits de qualité supérieure, plutôt que de se limiter à fixer des prix concurrentiels.
Ce faisant, elles devront tenir compte de barrières à l’entrée, comme les coûts d’investissement, l’obtention des permis requis, l’exigence continue de conformité et les risques constants liés à la responsabilité du fait du produit. Le temps nécessaire pour mettre sur pied ces capacités manufacturières de pointe engendre également des coûts importants et constitue parfois l’aspect qui suscite le plus d’incertitudes, étant donné les périodes d’attentes que l’on peut observer dans la procédure d’autorisation réglementaire.
Idéalement, les organismes de réglementation devraient fournir des directives claires aux entreprises quant aux étapes à suivre pour l’approbation ou la certification de leur processus ainsi qu’aux délais approximatifs applicables, deux questions dont les réponses ont malheureusement été rendues incertaines par la pandémie. Il reste néanmoins que les entreprises qui sauront surmonter ces obstacles et prendre de grands engagements alors que nombre de leurs concurrents demeurent indécis pourraient y trouver la clé de leur essor et profiter d’avantages considérables en tant qu’instigatrices.
Keegan Boyd, associé, Droit de la santé
Cela dépend de plusieurs facteurs. De mon point de vue, certains fabricants semblent avoir tiré profit des perturbations au sein des chaînes d’approvisionnement internationales causées par la pandémie. Certains, par exemple, ont investi le financement gouvernemental qu’ils ont reçu dans leurs installations de production et la fabrication de produits en pénurie.
Dans d’autres cas, les barrières à l’entrée ont été rabaissées. Par exemple, nous avons observé une accélération des approbations pour les médicaments et appareils médicaux liés à la COVID-19, ce qui a permis à certains fabricants de se concentrer sur de nouveaux produits, de nouvelles initiatives. Certains de ces allègements et subventions ne se poursuivront peut-être pas à long terme, mais les sociétés qui en ont tiré parti pour répondre rapidement à diverses demandes pourraient en sortir gagnantes en fin de compte. Toutefois, ce n’est pas sans risques. Il se peut en effet que des défauts soient découverts dans certains des nouveaux produits et appareils dont la production a été ainsi précipitée, ce qui pourrait miner le rendement.
Milos Barutciski, associé, Droit des sociétés et droit commercial
Dans une perspective d’avenir, les entreprises devraient s’attacher à trouver un équilibre entre la résilience et l’efficacité de leur chaîne d’approvisionnement, par exemple en répartissant ses segments sur plusieurs territoires de manière à toujours disposer d’options en cas de perturbation. Une vérification de leur chaîne d’approvisionnement les aidera à évaluer le niveau de risque global et à cerner des pistes leur permettant d’accroître leur résilience.
Les entreprises pourraient aussi chercher à mieux contrôler leur chaîne d’approvisionnement en adoptant une approche plus exhaustive en matière de conformité, compte tenu de l’élargissement des exigences réglementaires liées aux sanctions économiques et aux droits de la personne. En effet, le Canada a multiplié les sanctions économiques dans la dernière décennie; il a d’ailleurs récemment sanctionné la Russie, la Chine et le Myanmar (Birmanie). Et il n’est pas le seul à le faire : cette tendance s’observe dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, dont les sanctions s’appliquent souvent de façon extraterritoriale.
Le Canada semble suivre l’exemple de pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni en se proposant de légiférer contre « l’esclavage moderne », de sorte à imposer des obligations de transparence quant au respect des droits de la personne dans les chaînes d’approvisionnement internationales et l’interdiction d’importer des marchandises partiellement ou entièrement issues du travail forcé. Une vérification des chaînes d’approvisionnement peut également en assurer la conformité aux exigences réglementaires commerciales internationales en vigueur et à l’étude.
Santé et services médicaux
Keegan Boyd, associé, Droit de la santé
Au Canada, nous dépendons de sociétés étrangères à plusieurs égards, notamment pour ce qui est de l’approvisionnement en certains types d’équipement de protection individuelle ou de vaccins. Bien qu’elle fonctionne en temps normal, cette approche n’est pas la meilleure pour protéger les Canadiens et Canadiennes de menaces mondiales, comme la pandémie que nous vivons actuellement. Si le Canada entend continuer à dépendre exclusivement d’entités étrangères dans ses chaînes d’approvisionnement, nous devrions accumuler des stocks de certains articles à durée de vie élevée pour réduire au minimum les incidences de cette dépendance.
Les vaccins contre la COVID-19 et le taux de vaccination au Canada illustrent bien ce phénomène. Le fait que les Canadiens tardent à recevoir leur vaccin contre la COVID-19 par rapport aux ressortissants de pays capables de le produire pourrait bien être une conséquence nécessaire de cette orientation. Il y a lieu de se demander s’il ne serait pas judicieux de vouer une part de nos ressources au développement d’une capacité à produire nous-mêmes certains produits. L’annonce récente par Sanofi de son intention de construire une nouvelle usine de vaccins à Toronto démontre que divers ordres gouvernementaux en sont présentement à s’associer pour accroître la capacité canadienne de production de vaccins.
Cet enjeu n’a pas trait qu’à la pandémie : même avant celle-ci, de l’équipement et des appareils médicaux faisaient l’objet de rappels. Or, quand on n’a que quelques grands fournisseurs de produits médicaux et aucune capacité de production, le moindre rappel, la moindre déficience peut immédiatement entraîner une pénurie. Je crois que plusieurs hôpitaux méditeront sur les problèmes d’approvisionnement qui auront sévi partout dans le monde durant la pandémie et qu’ils envisageront de diversifier leurs fournisseurs et, lorsqu’ils le peuvent, de tenir des stocks plus importants.
Keegan Boyd, associé, Droit de la santé
Les médicaments et les appareils médicaux sont fortement réglementés au Canada, et la pandémie a démontré la difficulté de lancer de nouveaux produits de santé sur le marché canadien. Or, si divers produits ont été autorisés en vertu d’ordonnances provisoires, la mesure dans laquelle leur vente et leur utilisation seront permises après la pandémie est incertaine. Idéalement, il faudrait que ceux qui ont été ainsi autorisés et qui auront « fait leurs preuves » durant la pandémie soient définitivement approuvés au moyen d’un processus accéléré d’approbation postpandémie.
Milos Barutciski, associé, Droit des sociétés et droit commercial
Quand les frontières se sont fermées, le gouvernement fédéral a adapté ses lois, politiques et procédures douanières pour régler les problèmes logistiques posés par la pandémie, par exemple le besoin de produire ou d’obtenir autrement de l’équipement de protection individuelle (ÉPI). Plus particulièrement, il a adopté les mesures provisoires suivantes :
a) Autorisation accélérée de la fabrication, de l’importation et de la distribution de fournitures médicales;
b) Assouplissement des procédures douanières (p. ex. : simplification des procédures de dédouanement et réduction des tarifs relativement à l’ÉPI et d’autres marchandises essentielles) et levée de frais et de pénalités compte tenu de la perturbation des activités;
c) Émission par le Bureau de la concurrence de directives sur le traitement de la collaboration de bonne foi entre concurrents en vue de fournir des biens et services essentiels, et ce, dans le but d’encourager ces coopérations.
Le gouvernement fédéral a par ailleurs adopté le projet de loi C-20, Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19, en vertu duquel certaines échéances pourront être suspendues ou repoussées par arrêté. Ce pouvoir couvre un vaste éventail de lois, notamment la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur Investissement Canada et la Loi sur les mesures spéciales d’importation.
Alors qu’une vaccination généralisée contre la COVID-19 est en vue, nous nous attendons à ce que le Canada assouplisse graduellement ses restrictions sur les passages frontaliers et, partant, les règles de quarantaine, notamment le séjour obligatoire dans un hôtel pour les passagers aériens qui entrent au pays. On s’attend aussi à ce qu’il retire graduellement les modifications aux délais prévus par la loi et aux procédures frontalières adoptées dans le cadre de la pandémie.
Néanmoins, lorsque les lieux de travail se rempliront de nouveau au gré de l’élargissement des programmes de vaccination canadiens et mondiaux et que les mesures d’urgence et réglementaires mises en œuvre pour contrer la pandémie disparaîtront, les entreprises canadiennes devraient s’attendre à ce que le régime réglementaire conserve de sa fébrilité actuelle pour quelque temps. Elles auront donc plus intérêt que jamais à se tenir au courant de l’évolution des cadres réglementaires applicables à leurs secteurs.
Généralités
Robin Squires, responsable national, groupe sectoriel Transports
Les changements ont été multiples. Il y a eu une diversification des modes de transport privilégiés, par exemple. Les entreprises ont en outre délaissé la méthode juste-à-temps et commencé à conserver des stocks sur place ou en entrepôt pour se préparer à d’éventuelles crises semblables à la COVID-19, en plus de miser sur des stratégies de « micro-exécution de commandes » (micro-fulfillment) pour réduire les coûts et la surface utilisée.
On constate également un recours plus fréquent aux technologies autonomes et robotiques pour pallier ce type de risques. Pour les mêmes raisons, on observe par ailleurs un plus fort intérêt à régler la question de longue date qu’est la livraison de fin de parcours. Les fusions, les acquisitions et les insolvabilités ont elles aussi entraîné leur lot de difficultés. Compte tenu de tout ce qui précède et de bien d’autres facteurs, l’industrie connaîtra de nouveaux défis au chapitre de l’investissement et de l’acquisition de talents.
Sarah Sweet, avocate principale, Assurance et responsabilité civile
À l’instar d’autres facteurs de stress qu’elles ont connus ces dernières années, la COVID-19 a souligné l’importance pour les chaînes d’approvisionnement de faire preuve de souplesse. À plusieurs égards, il se peut bien que la pandémie ait accéléré cette réflexion chez les expéditeurs et les transporteurs.
Naturellement, les transporteurs sont désormais plus nerveux à l’idée de miser sur un ou deux contrats d’envergure à long terme et cherchent plutôt à travailler avec de nombreux expéditeurs dans plusieurs secteurs. La pandémie incite également les transporteurs à desservir plus d’endroits au pays et à l’étranger, en fonction de leurs capacités, afin de pallier d’éventuels confinements et quarantaines.
Cette stratégie peut aussi s’avérer utile dans d’autres contextes, comme la fermeture de ports et les grèves de travailleurs. En outre, d’autres mesures comme la modernisation et la numérisation des activités et des infrastructures ont été vitales pour la prospérité au cours de la pandémie.
Keegan Boyd, associé, groupe Droit de la santé
Dans le secteur médical, nous avons vu des sociétés canadiennes s’équiper pour fabriquer des fournitures et de l’équipement essentiels, comme des respirateurs et d’autres appareils médicaux, afin de répondre à la hausse subite de la demande. Je soupçonne qu’en raison de la COVID-19, la capacité manufacturière canadienne dans le domaine des soins de santé connaîtra une augmentation permanente.
À l’avenir, le Canada se montrera sans doute plus avisé quant aux avantages de maintenir plusieurs chaînes d’approvisionnement pour les produits importants ainsi qu’une certaine capacité de production nationale.
Mais je crois que la grande leçon demeure la préparation aux pandémies, c’est-à-dire constituer des stocks de fournitures dont nous pourrions avoir besoin en cas d’urgence, ou du moins conclure les ententes nécessaires pour en garantir la disponibilité advenant une hausse subite de la demande mondiale. Cet épisode a rappelé aux gens que les choses ne tiennent qu’à un fil et qu’il faut être prêt.
Martin Abadi, avocat-conseil, Assurance et responsabilité civile
et
Milos Barutciski, associé, Droit des sociétés et droit commercial
Bon nombre d’entreprises qui utilisaient un modèle de livraison juste-à-temps ont vu leurs chaînes d’approvisionnement filiformes frappées de plein fouet et leur position sur le marché minée par la réponse internationale à la pandémie de COVID-19 – réglementation d’urgence, confinements, pénurie de main-d’œuvre, perturbation du réseau de transport et retards –, contrairement aux entreprises dont les chaînes d’approvisionnement employaient des pratiques de gestion des stocks plus sécuritaires (bien que possiblement moins efficaces) et une multitude de fournisseurs. À court terme, à tout le moins, la pandémie poussera de nombreuses entreprises à faire place à la résilience dans leurs chaînes d’approvisionnement, en dépit de coûts potentiellement plus élevés. Nous verrons ensuite si les pressions tarifaires – et l’estompement de la pandémie dans les mémoires au fil des prochaines années – entraîneront l’amaigrissement progressif des chaînes d’approvisionnement.
La pandémie a aussi présenté l’occasion pour les pays de promouvoir des politiques et un discours reposant sur l’« achat local », ce qui a accéléré la tendance protectionniste mondiale qui gagnait déjà du terrain depuis quelques années. Ainsi, il semble clair que certains gouvernements tenteront d’atteindre l’autosuffisance dans les secteurs essentiels, comme la Chine, qui a lancé son 14e plan quinquennal, alors que d’autres, comme l’administration Biden et ses politiques « Achetez américain », accentueront le traitement préférentiel qu’ils accordent à l’approvisionnement national. On peut s’attendre à ce que ces deux approches entrent en conflit avec les ententes commerciales internationales en vigueur sur les restrictions d’import-export et l’approvisionnement gouvernemental.
Sarah Sweet, avocate principale, Assurance et responsabilité civile
La COVID-19 a certainement secoué la chaîne d’approvisionnement canadienne, mais elle ne l’a pas brisée. L’adaptation à l’éclatement de la crise, où les événements se sont rapidement succédé – par exemple, l’interruption de la production et les fermetures, les préoccupations et la sécurité des employés de même que la fluctuation de la demande des consommateurs et des expéditeurs – a certes quelque peu tardé. Mais dans l’ensemble, la chaîne d’approvisionnement s’est rétablie. Elle s’adapte maintenant mieux aux situations et anticipe mieux les fluctuations du marché et de ses conditions qu’au début de la pandémie.
Martin Abadi, avocat-conseil, Assurance et responsabilité civile
Les chaînes d’approvisionnement canadiennes ont fait preuve d’une grande agilité face à la fluctuation rapide de la demande des consommateurs et de la disponibilité des ressources. Elles ont surmonté les pénuries de main-d’œuvre, spécialement dans les secteurs agricole et alimentaire, ainsi que quelques éclosions au sein d’usines de conditionnement des viandes, qui ont fait chuter l’offre tout en gardant les prix élevés.
Pour les entreprises canadiennes, la COVID-19 a mis en évidence les dangers de trop se fier à une source en particulier, quel que soit le maillon de la chaîne. Nombre de ces entreprises sont également passées aux chaînes d’approvisionnement nationales, ce qui accentue la tendance à la « glocalisation » et à la démondialisation qui s’installait déjà avant la pandémie. Qui plus est, bien que les chaînes d’approvisionnement nationales aient connu leur lot de défis – plus de 60 % des organisations qui s’approvisionnent de sources canadiennes rapportent des perturbations moyennes à importantes en raison de la pandémie –, de nombreuses entreprises canadiennes entendent toujours en faire un changement permanent.
Keegan Boyd, associé, Droit de la santé
Je ne pense pas que les chaînes d’approvisionnement canadiennes aient été moins résistantes que celles d’autres pays à quelques égards, mais une chose est sûre, certaines pénuries de produits se sont prolongées.
J’aimerais croire que la plupart d’entre elles sont maintenant derrière nous. De juillet à septembre l’an dernier, je discutais avec plusieurs hôpitaux clients à propos de solutions de rechange pour les masques N95 parce qu’il leur était impossible d’en obtenir suffisamment pour répondre à la demande accrue. Il a été possible d’obtenir certaines de ces options, en fin de compte. Je soupçonne que de telles situations se sont produites partout dans le monde. Il y a eu la demande écrasante en papier hygiénique au début de la pandémie, ce qui était particulier. Mais sinon, malgré la peur initiale relative aux vivres et les étagères vides des premiers jours, il semblerait que la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne ait bien tenu le coup.
- Par : Sarah Sweet, Robin Squires, Heidi Rolfe, Emily Pitre, Sam Levy, Keegan Boyd, Avesta Alani
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