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Perspectives

Langues officielles et projet de loi C-13 : notre analyse des répercussions pour les entreprises privées sous réglementation fédérale

Le projet de loi C-13 prévoit l’instauration d’obligations quant à l’utilisation du français pour les entreprises privées sous réglementation fédérale, incluant l’introduction de nouveaux droits pour les consommateurs et les employés de ces entreprises.

Résumé

Le 1er mars 2022, la ministre des Langues officielles a déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-13, qui propose des modifications importantes à la Loi sur les langues officielles ainsi que l’édiction de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (la « Loi »). Cette Loi, tout à fait nouvelle, imposerait de nouvelles obligations relatives à l’utilisation du français en milieu de travail aux entreprises fédérales privées ayant des établissements au Québec ou y faisant affaire. Elle accorderait également de nouveaux droits aux consommateurs et aux employés en lien avec l’utilisation du français.

L’objectif de la Loi est de favoriser et de protéger l’utilisation du français dans les entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans d’autres « régions à forte présence francophone ». Puisque les dispositions concernant ces « autres régions » ne prendraient effet que deux ans après l’entrée en vigueur de la Loi, celle-ci ne s’appliquerait d’abord qu’au Québec.

Y seraient potentiellement assujetties les banques, les compagnies aériennes et les sociétés maritimes, puisqu’elles constituent des entreprises privées de compétence fédérale ayant un mandat fédéral ou exerçant des activités fédérales. Certaines entreprises seraient exclues de son champ d’application, notamment si elles comptent un nombre d’employés inférieur au seuil qui sera déterminé par règlement. La Loi permettrait d’établir des seuils différents pour les entreprises qui ont des lieux de travail au Québec et celles qui ne font que transiger dans la province, par voie de règlement. Les activités et les milieux de travail du domaine de la radiodiffusion ne seraient pas régis par cette Loi. Également, les sociétés assujetties à la Loi sur les langues officielles seraient exemptées de la Loi, et l’exemption d’autres entreprises privées demeurerait possible par voie réglementaire.

Droits des consommateurs

La Loi octroierait aux consommateurs québécois le droit de communiquer en français, à l’oral ou à l’écrit, avec les entreprises privées fédérales qui exercent des activités au Québec. Elle leur garantirait en outre le droit de recevoir des services et d’obtenir les documents afférents à ces services en français. Par conséquent, les contrats et d’autres documents devraient être disponibles en français. Les entreprises pourraient par ailleurs continuer de fournir des services ou des documents dans d’autres langues si le client le demande.

Le projet de loi C-13 n’offre pas de définition de certains des termes clés et qui influeront fortement sur le champ d’application et les répercussions futures de la Loi, comme : « consommateur », « employé » et « traiter défavorablement ». Ces termes seront définis par voie de règlement à une date ultérieure.

Charte de la langue française du Québec

Le projet de loi C-13 ne prévoit pas l’élargissement du champ d’application de la Charte de la langue française (la « Charte ») aux entreprises privées de compétence fédérale.

Cependant, aux termes de la Loi, ces entreprises pourraient volontairement se soumettre à la Charte, en donnant un préavis de leurs intentions et conformément à un mécanisme qui sera dicté par règlement. Une telle décision ne serait pas irréversible, puisque les dispositions de la Loi prévoient qu’une entreprise pourrait aussi donner un avis de la date à laquelle la Charte cesserait de s’appliquer à elle.

Recours en cas de violation des droits des consommateurs

Les consommateurs et d’autres groupes de personnes intéressées auraient la possibilité de porter plainte auprès du commissaire aux langues officielles du Canada s’ils estiment qu’une entité n’a pas respecté les droits des consommateurs prévus par la Loi. Le commissaire disposerait d’une grande latitude pour enquêter et aurait même le pouvoir de lancer des enquêtes de son propre chef. Après avoir fait enquête, s’il est d’avis qu’une plainte est fondée, le commissaire pourrait présenter des recommandations à l’entreprise privée concernée et demander à être informé des mesures qu’elle entend prendre pour leur donner suite.

Celle-ci autoriserait aussi le commissaire à conclure des ententes de conformité et à exiger, selon ce qu’il juge approprié, la prise de mesures pour rectifier l’infraction. Cela dit, l'exercice de ces pouvoirs ne serait pas nécessairement possible dès l’entrée en vigueur de la Loi, puisque ces outils additionnels pourraient entrer en vigueur à une date ultérieure.

Dans certaines situations, par exemple si le commissaire refuse d’enquêter sur une plainte ou si les mesures qu’il a recommandées ne sont pas mises en œuvre, le plaignant et le commissaire pourraient tous deux se tourner vers la Cour fédérale, laquelle pourrait rendre une ordonnance (p. ex. de conformité) selon ce qu’elle juge approprié et équitable dans chaque circonstance.

Le commissaire n’aurait cependant pas le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires en vertu de la Loi1.

Droits des employés

Les employés d’une entreprise privée de compétence fédérale qui occupent un poste dans un lieu de travail situé au Québec ou dont le poste est rattaché à un tel lieu de travail auraient le droit :

  • d’effectuer leurs tâches ou d’être supervisés en français;
  • de recevoir toute communication ou documentation de leur employeur en français, y compris des offres d’emploi ou des possibilités de promotion – si un document est bilingue, l’utilisation du français et de l’anglais devra être équivalente; 
  • d’avoir accès à des instruments de travail et à des systèmes informatiques couramment utilisés en français.

En raison de la prévalence du télétravail dans certains secteurs, il sera intéressant d’observer comment sera interprétée la notion d'employés « qui occupent un poste dans un lieu de travail situé au Québec ou dont le poste est rattaché à un tel lieu de travail ».

Obligation de promouvoir l’utilisation du français

Les entités assujetties à la Loi qui exercent des activités au Québec auraient comme obligation de promouvoir l’utilisation du français dans leurs lieux de travail de la province, notamment en s’assurant d’aviser les employés de leurs obligations à ce titre et de les informer de leurs droits et de leurs recours.

Les entreprises privées soumises à Loi seraient également tenues de mettre en place un comité responsable de soutenir le comité de direction dans la promotion du français et son utilisation en milieu de travail.

Droit d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français

La Loi comprend des exceptions concernant la promotion de l’utilisation du français. Elle permettrait par exemple aux employeurs d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français de leurs employés qui occupent un poste dans un lieu de travail situé au Québec ou dont le poste est rattaché à un tel lieu de travail. L'employeur aurait toutefois à démontrer que la nature du travail justifie objectivement cette exigence (par exemple, parce que l'employé communique régulièrement avec des clients aux États-Unis).

Les employés qui occupent déjà un poste dans un lieu de travail au Québec, le jour précédant l’entrée en vigueur de la Loi, bénéficieraient de droits acquis. Il serait donc interdit de les traiter défavorablement si leur connaissance du français devenait, par l’effet de la Loi, insuffisante pour leur poste actuel.

De plus, les dispositions de la Loi prévoient que cette dernière ne devrait pas être interprétée de manière à nuire au maintien et à la valorisation des langues autres que le français et l’anglais, ni de façon incompatible à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones. Notons aussi que la Loi prévoit que les droits linguistiques (liés au français ou à d’autres langues) devraient être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet, de même qu’en fonction de leur caractère réparateur. Par conséquent, la protection des langues autres que le français et l’anglais devrait être prise en considération lors de l’application de la Loi.

Recours pour les employés

Le commissaire ne serait pas autorisé à mener d’enquêtes de son propre chef en matière de droits des employés.

Pour entraîner l’intervention du commissaire, les employés auraient par conséquent à porter plainte auprès de celui-ci. Ces plaintes auraient à être déposées dans les 90 jours suivant la date à laquelle l’employé a connaissance de la violation de la Loi ou celle à laquelle il aurait dû en avoir connaissance. Ce délai pourrait être prolongé dans des circonstances particulières, notamment en vertu de règlements d’application ou si l’employé a déposé sa plainte par erreur auprès d’un autre fonctionnaire.

Dans certains cas, le commissaire pourrait aussi soumettre la plainte au Conseil canadien des relations industrielles aux fins de résolution s’il n’y est pas arrivé lui-même. Le Conseil possède des pouvoirs étendus, notamment celui de réintégrer les plaignants dans leur emploi et d’imposer aux entreprises toute autre mesure qu’il juge équitable afin de contrebalancer les conséquences d’une violation des droits des employés ou d’y remédier. La Loi ne vise pas à restreindre ou à éliminer la possibilité pour les employés d’exercer des recours civils.


1 Le pouvoir d’imposition de sanctions pécuniaires introduit par le projet de loi C-13 à la Loi sur les langues officielles ne s’appliquerait pas à la Loi (voir le projet de loi C-13, article 69).

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