une main qui tient une guitare

Perspectives

Information sur les risques climatiques : orientations et attentes des trois grands noms sur le vote en conseil

Mise en contexte

L’approche qu’adoptent les sociétés ouvertes pour gérer et communiquer les risques et les occasions associés aux questions climatiques a beaucoup fait parler dans les milieux des marchés des capitaux, de l’investissement et des marchés financiers en général ces trois dernières années. Après avoir été animé en 2021 et 2022, le débat sur le sujet perd un peu d’intensité cette année, à l’heure où les autorités de réglementation des valeurs mobilières du Canada et des États-Unis mettent la dernière touche à leurs projets respectifs de règles encadrant la communication d’information sur les risques climatiques.

Nous avons déjà écrit à propos du projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques et de l’instruction générale connexe (en anglais) des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), documents qui ont fait l’objet d’une longue période de consultation conclue en février 2022. Le règlement devrait être parachevé une fois que la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis aura publié la version définitive de sa propre règle connexe, The Enhancement and Standardization of Climate-Related Disclosures for Investors, plus tard cette année selon toute vraisemblance.

En l’absence, à ce jour, de règles claires des autorités de réglementation sur les obligations d’information en la matière, c’est en grande partie aux agences de conseil en vote telles qu’ISS et Glass Lewis qu’échoit le rôle d’influencer les pratiques d’information des émetteurs sur les questions ESG et d’encourager leur renforcement en ce qui concerne plus précisément le climat. Nous avons écrit en décembre 2022 sur les lignes directrices d’ISS et de Glass Lewis sur le vote par procuration pour 2023.

On ne saurait faire un tour d’horizon complet de la question sans tenir compte de la perspective d’un autre groupe important, celui des gestionnaires d’actifs – les « trois grands » en particulier, à savoir BlackRock, State Street et Vanguard. Chacun affiche un actif géré se chiffrant en milliers de milliards de dollars; à eux trois, ils gèrent plus de 20 000 milliards de dollars d’actifs1. Ces gestionnaires, de par leurs placements colossaux – ils sont le principal actionnaire de 88 pour cent des sociétés de l’indice S&P 5002 –, détiennent une grande partie des droits de vote dans les sociétés dans lesquelles ils investissent. Ils peuvent donc exercer une grande influence sur des décisions de gouvernance de ces dernières, dont l’élection d’administrateurs et d’autres questions importantes sur lesquelles les actionnaires sont appelés à voter.

Si les gestionnaires d’actifs s’intéressent de si près au risque climatique, c’est qu’ils le voient comme un risque de placement. Ils intègrent donc le risque climatique dans la conception de leurs portefeuilles, ayant mis le cap sur un monde carboneutre. Certains suivent de très près l’incidence qu’auront les changements climatiques et la transition vers une économie sobre en carbone sur la rentabilité à long terme des sociétés dans lesquelles ils investissent. Pour bien gérer ces risques, les investisseurs ont besoin d’informations détaillées sur la manière dont les sociétés surveillent les risques climatiques et sur les moyens qu’elles prennent pour les atténuer, dans l’immédiat et à long terme. Il est donc de plus en plus important que les conseils d’administration comprennent les lignes directrices sur le vote par procuration de BlackRock, State Street et Vanguard et qu’ils y répondent, pour pouvoir engager un dialogue constructif avec ces investisseurs influents.

Ce qu’il faut savoir

Dans le présent article, nous faisons la synthèse des lignes directrices canadiennes et mondiales des trois grands sur le vote par procuration, plus précisément en ce qui a trait aux risques et aux occasions liés au climat et à la communication d’information sur ces questions.

BlackRock

Dans ses lignes directrices canadiennes sur le vote par procuration pour 2023 (en anglais), le service Gérance des placements de BlackRock définit trois grandes catégories d’informations à communiquer au sujet de la durabilité et du climat :

  • Risques et occasions importants liés à la durabilité : BlackRock souhaite que les sociétés publient de l’information sur le recensement, l’évaluation, la gestion et la surveillance des risques et des occasions importants liés à la durabilité, en suivant les quatre volets établis par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) : la gouvernance, la stratégie, la gestion des risques, les mesures et les objectifs.
  • Risque climatique : BlackRock s’attend à ce que les sociétés expliquent aux investisseurs en quoi [traduction] « leur modèle d’affaires s’aligne sur des scénarios pour l’économie mondiale qui maintiennent la hausse des températures bien en deçà de 2 degrés Celsius, dans l’objectif d’atteindre la carboneutralité en 2050 ». Fait important, le gestionnaire d’actifs note qu’il appartient à chaque société de définir sa stratégie, et que ce n’est pas à BlackRock ni à d’autres investisseurs de le faire. Il souhaite également que les sociétés publient des objectifs à court, moyen et long terme (idéalement, de la manière préconisée par l’initiative Science Based Targets3) pour la réduction de leurs émissions de GES de portées 1 et 2, et qu’elles montrent que leurs objectifs sont compatibles avec les intérêts financiers à long terme de leurs actionnaires. La communication d’informations sur la réduction des émissions de portée 3 est souhaitable, mais compte tenu de la complexité de la méthodologie, ces informations et les engagements s’y rapportant ne sont pas essentiels pour que BlackRock donne son appui à des administrateurs.
  • Capital naturel (catégorie ajoutée cette année) :BlackRock souhaite que les sociétés indiquent comment elles évaluent leur dépendance vis-à-vis du capital naturel et comptabilisent leur utilisation de celui-ci (notamment grâce à une surveillance adéquate des risques et à des mesures et objectifs pertinents) pour comprendre comment ces facteurs sont intégrés dans la stratégie. Cela peut concerner les sociétés dont les activités sont fortement tributaires de la disponibilité de ressources naturelles données, ou celles dont des maillons de la chaîne d’approvisionnement sont situés dans des régions où le capital naturel est menacé. BlackRock note que les recommandations en évolution du Groupe de travail sur l’information financière relative à la nature (TNFD) peuvent se révéler un cadre utile, mais comprend que les sociétés puissent communiquer leur information suivant d’autres normes.

Fait à noter, BlackRock prévoit d’investir encore longtemps dans des secteurs à forte intensité de carbone, qui ont, selon lui, un rôle crucial à jouer dans l’économie et dans une transition énergétique ordonnée. Il encourage les sociétés à expliquer en quoi leur affectation de capitaux à diverses sources d’énergie s’harmonise avec sa stratégie.

BlackRock dit ne pas s’attendre à changer sensiblement sa façon de voter cette année et indique que ses échanges avec les sociétés consisteront en bonne partie à poursuivre le dialogue sur les risques et les occasions importants amorcé en 2022.

BlackRock a indiqué qu’il ne votera probablement pas pour le ou les administrateurs chargés de la surveillance des risques climatiques si les informations publiées ne suivent pas les quatre volets du GIFCC, et si une société n’a pas publié d’information sur ses émissions de portées 1 et 2 et annoncé des objectifs significatifs à court, moyen et long terme. Le gestionnaire d’actifs pourrait par ailleurs appuyer, au cas par cas, des propositions d’actionnaire ou de la direction qui, selon son appréciation, renforcent l’approche de la société en question à l’égard du risque climatique et de la transition énergétique.

State Street

State Street a publié en mars 2022 ses plus récentes lignes directrices sur le vote par procuration et le dialogue avec les sociétés pour l’Amérique du Nord (en anglais). Le gestionnaire d’actifs a également publié deux documents en janvier 2022 : le premier définit ses attentes en matière d’information pour des plans de transition climatique efficaces (en anglais), et le second fournit des orientations pour l’information relative au climat (en anglais). State Street Global Advisors est aussi signataire de Climate Action 100+, une initiative d’investisseurs visant à pousser les plus grands émetteurs du monde à agir pour combattre les changements climatiques.

Information sur les risques climatiques : State Street encourage les sociétés à communiquer des informations suivant le cadre du GIFCC. Ainsi, le gestionnaire note qu’il pourrait voter contre l’élection d’un administrateur indépendant principal dans des sociétés du S&P 500 et de l’indice composé S&P/TSX qui ne communiquent pas suffisamment d’informations selon ce cadre, par exemple sur la surveillance par le conseil des risques et des occasions liés au climat, sur le total des émissions de GES de portées 1 et 2 ou sur les objectifs de réduction des émissions. En ce qui a trait aux grands émetteurs, State Street indique qu’en 2023, il sera [traduction] « prêt à demander des comptes aux administrateurs » des sociétés qui n’afficheront pas de progrès satisfaisants en vue de répondre à ses attentes en matière d’information (voir le tableau 1 ci-dessous).

Tableau 1 – Principales catégories d’information sur la transition climatique

Catégorie

Attentes en matière d’information

Ambition

  • Ambition à long terme à l’égard du climat

Objectifs

  • Objectifs intermédiaires de réduction des émissions de GES
  • Alignement sur des objectifs de température

Information selon le cadre du GIFCC

  • Information suivant les recommandations du GIFCC
  • Analyse de scénarios
  • Déclaration et certification des émissions

Stratégie de décarbonation

  • Intégration du plan de transition dans la stratégie à long terme
  • Mesures de décarbonation
  • Utilisation de crédits carbone
  • Décarbonation de l’ensemble de la chaîne de valeur

Alignement de l’affectation des capitaux

  • Prise en compte de considérations liées au climat dans les décisions d’affectation des capitaux
  • Dépenses d’investissement dans des stratégies sobres en carbone
  • Tarification du carbone
  • Investissements dans la décarbonation

Mobilisation entourant la politique climatique

  • Publication des politiques et des positions en matière de changements climatiques
  • Associations du secteur

Gouvernance climatique

  • Surveillance par le conseil
  • Surveillance par la direction

Transition équitable

  • Attentes en cours d’élaboration

Risques physiques

  • Évaluation des risques physiques
  • Gestion des risques physiques

Dialogue avec les parties prenantes

  • Dialogue avec le secteur
  • Dialogue avec les investisseurs
  • Dialogue avec des experts du climat
  • Dialogue interne

 

En ce qui concerne les propositions d’actionnaire liées au climat, State Street les étudiera au cas par cas, en tenant compte [traduction] « de leur alignement avec le cadre du GIFCC et les normes du Sustainability Accounting Standards Board (SASB), s’il y a lieu, des tendances des marchés émergents et de l’industrie, des résultats des sociétés comparables et des dialogues engagés avec la direction, le conseil et d’autres parties prenantes ». Surtout, State Street vérifiera si l’adoption d’une proposition concernant d’importantes questions de durabilité [traduction] « favorisera la création de valeur pour les actionnaires à long terme, compte tenu des pratiques et des informations existantes de la société et des pratiques existantes du marché ».

Vanguard

Vanguard a publié récemment sa Politique de vote par procuration pour les sociétés canadiennes en portefeuille, entrée en vigueur le 1er février 2023.

Les politiques de Vanguard semblent moins exigeantes que celles de BlackRock et de State Street, puisqu’elles ne définissent pas de circonstances précises dans lesquelles le gestionnaire d’actifs pourrait voter contre l’élection de candidats administrateurs si certaines de ses attentes quant à l’information relative au climat n’étaient pas satisfaites.

Vanguard évalue le risque climatique à travers [traduction] « le prisme de l’importance relative, cherchant à déterminer si les facteurs liés au climat représentent une menace importante pour la valeur actionnariale à long terme ». Le gestionnaire d’actifs dit souhaiter que l’information sur les émissions de même que les mesures et les objectifs soient « étoffés et efficaces », comme ceux s’alignant sur les objectifs de l’Accord de Paris.

En ce qui a trait à la gestion des risques climatiques, Vanguard recherche ce qui suit :

  • des conseils d’administration compétents en matière de climat, qui exercent une surveillance indépendante des questions climatiques et intègrent les risques climatiques dans la planification stratégique et financière;
  • une communication efficace de l’information : l’information relative au climat devrait s’aligner sur des cadres orientés vers les investisseurs, comme ceux proposés par le GIFCC;
  • l’atténuation des risques : là où les changements climatiques posent un risque important, Vanguard encourage les sociétés à se fixer des objectifs s’alignant sur ceux de l’Accord de Paris.

En ce qui concerne les propositions d’actionnaire, Vanguard indique que ses fonds peuvent appuyer celles qui s’attaquent à une lacune de l’information de la société par rapport aux normes du marché ou à des cadres largement acceptés (comme ceux du SASB ou du GIFCC); celles qui reflètent une approche propre au secteur axée sur l’importance relative; et celles qui ne sont pas excessivement normatives en ce qui concerne la stratégie de l’entreprise, les activités quotidiennes, l’échéancier, les coûts ou d’autres questions. Si ces critères sont respectés, un fonds peut appuyer les types de propositions environnementales suivants (liste non exhaustive) :

  • demande d’information sur les émissions de portées 1 et 2, et sur celles de portée 3 dans les catégories où les risques climatiques sont jugés importants par le conseil d’administration;
  • évaluation de l’impact des changements climatiques sur la société, y compris une analyse de scénarios appropriée et de l’information sur les conséquences pour la planification stratégique.

Fait à noter, Vanguard s’est retiré de l’alliance Net Zero Asset Managers (NZAM) en décembre 2022, [traduction] « afin de pouvoir fournir à [ses] investisseurs la clarté qu’ils désirent quant au rôle des fonds indiciels et quant à [sa] conception des risques importants, notamment les risques climatiques, et pour affirmer clairement que Vanguard s’exprime en toute indépendance sur les questions d’importance pour [ses] investisseurs ». BlackRock et State Street sont toujours signataires de NZAM.

La suite des choses

Nous nous attendons à ce que le débat reprenne plus tard cette année, quand la SEC publiera la version définitive de ses règles sur l’information relative au climat. Le degré de rigueur ou de laxisme de ces dernières orientera sans doute fortement la teneur de celles qu’adopteront ensuite les ACVM.

Communiquez avec nous

Pour toute question sur les lignes directrices dont il a été question dans cet article, ou pour en savoir plus sur des sujets connexes, n’hésitez pas à communiquer avec les personnes-ressources ci-dessous ou avec un avocat de nos groupes Marchés financiers, Gouvernance ou Changements climatiques.


1 Shaun Bisman et Felipe Cambeiro, Big Three Institutional Investor Updates (2022), [en ligne].

2 Jan Fichtner, Eelke M. Heemskerk et Javier Garcia-Bernardo, Hidden power of the Big Three? Passive index funds, re-concentration of corporate ownership, and new financial risk (2017), [en ligne].

3 Science based targets website

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