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Perspectives

Harcèlement psychologique et violence à caractère sexuel : nouvelles obligations pour les employeurs québécois

Le 27 mars 2024, le gouvernement du Québec sanctionnait le projet de loi 42, la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (la « Loi »), quelques mois après sa présentation à l’Assemblée nationale par le ministre du Travail, Jean Boulet, le 23 novembre 2023.

La Loi apporte des modifications aux trois lois suivantes, soit les pierres angulaires du régime québécois relatif à la prévention et la prise en charge du harcèlement psychologique et sexuel au travail :

  • La Loi sur les normes du travail (« LNT »)
  • La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »)
  • La Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST »)

Voici un survol des changements importants déjà en vigueur, ou dont l’entrée en vigueur est imminente.

Modifications à la LNT

  • Élargissement de l’obligation de prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique : La Loi élargit expressément les obligations de l’employeur au harcèlement psychologique provenant de « toute personne » envers ses employés, incluant ainsi les comportements problématiques de la part de clients, fournisseurs ou autres tiers, en plus de tels comportements provenant des autres employés de l’employeur. Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.
  • Recours en pratique interdite en cas de représailles : La LNT protège maintenant les personnes salariées contre les représailles après avoir signalé une situation de harcèlement psychologique ou si elles collaborent dans le processus de plainte. En effet, l’article 122 de la LNT est modifié pour permettre à une personne salariée de déposer un recours en pratique interdite dans de telles situations. Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.
  • Politiques de prévention et de traitement du harcèlement psychologique : La Loi amende la LNT afin de codifier ce que devra inclure une politique conforme, dont notamment ce qui suit :
  1. les méthodes et les techniques utilisées pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique (incluant le harcèlement sexuel);
  2. les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique qui sont offerts aux personnes salariées, ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
  3. les recommandations concernant les conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail;
  4. les modalités applicables pour faire une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour les prendre en charge, ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donné par l’employeur;
  5. les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement;
  6. le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur;
  7. les mesures visant à assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu;
  8. le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, d’au moins deux ans.

Cette modification entre en vigueur le 28 septembre 2024.

  • Confidentialité accrue : En cas de règlement d’une plainte de harcèlement psychologique, les parties devront dorénavant préserver la confidentialité de ce qui s’est passé lors du processus de règlement, à moins de convenir par écrit dans l’entente de règlement de la levée de cette obligation. Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.
  • Absence d’effet des clauses d’amnistie : Dans un apport qui aura de grandes répercussions sur la relation d’emploi, et ce, tout particulièrement dans les milieux syndiqués, la Loi vient retirer tout effet aux clauses empêchant un employeur de tenir compte d’une mesure disciplinaire précédemment imposée à une personne salariée ayant commis une inconduite relative à de la violence physique ou psychologique, incluant la violence à caractère sexuel, lorsque vient le moment d’évaluer l’imposition d’une mesure disciplinaire concernant une nouvelle inconduite relative à l’une de ces formes de violence. Autrement dit, les clauses d’amnistie pour les comportements visés ne peuvent plus être validement invoquées à l’encontre d’une progression des sanctions par l’employeur. Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.
  • Octroi de dommages punitifs en cas de harcèlement psychologique, même en cas de lésion professionnelle : Le Tribunal administratif du travail peut dorénavant octroyer des dommages punitifs à une personne salariée victime de harcèlement psychologique, même pour une période au cours de laquelle cette personne est victime d’une lésion professionnelle (ce qui n’est pas actuellement le cas). Ainsi, l’exception prévue à la LNT, qui empêchait auparavant l’octroi de dommages moraux et punitifs en cas de lésion professionnelle, n’empêche plus que l’octroi de dommages moraux. La lésion professionnelle découlant de la violence sexuelle devient donc la seule exception au principe de l’immunité civile de l’employeur en matière de lésion professionnelle, dans le cadre du régime québécois d’indemnisation des lésions professionnelles. Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.

Modifications à la LATMP

  • Présomptions de lésion professionnelle : La Loi ajoute deux présomptions de lésion professionnelle à la LATMP, facilitant la reconnaissance aux salariés en cas de violence sexuelle. L’employeur doit ainsi renverser ces présomptions en cas d’allégations de ce type :

La première présomption veut qu’une blessure ou une maladie d’un travailleur sera présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail lorsqu’elle résulte de la violence à caractère sexuel subie par ce dernier et est commise par son employeur, l’un des dirigeants de ce dernier dans le cas d’une personne morale, ou l’un des travailleurs dont les services sont utilisés par cet employeur.

La deuxième présomption veut qu’une maladie survenant dans les trois mois suivant la violence à caractère sexuel subie par le travailleur sur les lieux du travail sera présumée être une lésion professionnelle.

Ces modifications entrent en vigueur le 28 septembre 2024.

  • Délai de réclamation prolongé : Pour une lésion professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel, une réclamation d’un travailleur pourra être produite dans les deux ans de la lésion professionnelle. Actuellement, le délai prévu par la LATMP est de six mois à la suite de l’accident ou, dans le cas d’une maladie, six mois à compter de l’établissement de la relation médicale entre l’état de santé et le travail. Les réclamations en matière de violence sexuelle recevront ainsi un statut particulier.

Ces modifications entrent en vigueur le 28 septembre 2024.

  • Imputation : Dès que la lésion professionnelle d’une personne salariée résulte de violence à caractère sexuel, les prestations seront dorénavant imputées aux employeurs de toutes les unités. La Loi élargit ainsi la liste d’exceptions à la règle voulant que ce soit à l’employeur qu’est imputé le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.

Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.

  • Accès au dossier médical : Bien qu’une application stricte de l’ancien article 39 de la LATMP empêchait déjà l’employeur d’utiliser le professionnel de la santé désigné comme une « courroie de transmission » pour obtenir le dossier médical d’un travailleur, une différence importante entre la théorie et la pratique était bien ancrée. À titre d’exemple, notons que même le formulaire publié par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») à l’attention du professionnel de la santé désigné comportait une copie pour l’employeur.

Or, la Loi vient modifier l’article 39 de la LATMP pour préciser expressément que l’employeur « n’a pas droit d’accès » au dossier médical du travailleur, ajoutant par ailleurs des dispositions pénales à ce sujet.

Ainsi, l’employeur qui « tente d’obtenir ou obtient, de quelque manière que ce soit, le dossier médical auquel il n’a pas droit d’accès, » s’expose à des amendes pouvant atteindre 10 000 $. Soulignons ici que le libellé très large de cette disposition pénale pourrait faire en sorte d’exposer un employeur à une amende même en cas de possession involontaire d’un dossier médical auquel il n’a pas droit d’accès. Une très grande vigilance sera donc de mise pour les employeurs, de ce côté.

Ces modifications entrent en vigueur le 28 septembre 2024.

Modifications à la LSST

  • Définition de « violence à caractère sexuel » : La Loi modifie la LSST pour lui ajouter une définition du concept de « violence à caractère sexuel ». Cette définition se lit comme suit : 

Toute forme de violence visant la sexualité ou toute autre inconduite se manifestant notamment par des gestes, des pratiques, des paroles, des comportements ou des attitudes à connotation sexuelle non désirés, qu’elles se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, ce qui inclut la violence relative à la diversité sexuelle et de genre.

Cette définition est inspirée de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. Les établissements d’enseignement qui y sont assujettis pourront y voir un arrimage avec leurs politiques obligatoires en matière de prévention de la violence sexuelle.

Cette modification est entrée en vigueur le 27 mars 2024.

Conclusion

Force est de constater que le régime de prévention et de prise en charge du harcèlement psychologique au travail, huit ans déjà après la naissance du mouvement #moiaussi, évolue substantiellement en 2024, et que la violence à caractère sexuel est beaucoup plus encadrée.

Plusieurs changements sont déjà entrés en vigueur et plusieurs autres obligations entreront à leur tour en vigueur en septembre 2024, accordant aux employeurs le printemps et l’été pour se conformer.

Comme prochaines étapes, les employeurs devront non seulement réviser leurs procédures et politiques, ils devront aussi former leurs gestionnaires sur l’ensemble des changements, afin d’assurer la conformité de leur organisation aux obligations modifiées.

Communiquez avec nous

Le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG continuera de suivre l’évolution de ces changements en pratique et se fera un plaisir de vous accompagner afin de vous aider à vous conformer aux nouvelles règles. Au besoin, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.

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