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Perspectives

POINT DE VUE

Actions collectives – Rétrospective de l’année 2021 au Québec

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Une revue de l’année 2021 et des tendances qui se dessinent dans le domaine de l’action collective au Québec, présentée par les avocat.e.s de l’équipe Actions collectives BLG.


Sources :
(1)(2)(3) Source – compilation des demandes d’autorisation recensées au Registre des actions collectives et de la Base de données sur les recours collectifs de l’Association du Barreau canadien entre les 1er janvier et 31 décembre 2021.
(4) Source – Cour supérieure du Québec au 14 janvier 2022. Informations fournies pour la Division d’appel de Montréal seulement.
*Les auteurs remercient Mathieu Lacasse, stagiaire, ainsi que Charlotte Rémillard, étudiante, pour leur précieuse collaboration.

Développements jurisprudentiels d’intérêt de l’année 2021

1- La Cour supérieure met les points sur les i pour les demandes de preuve appropriée

Le 20 janvier 2021, le juge Donald Bisson a rendu une décision en matière de preuve appropriée dans le cadre d’une action collective contre les gouvernements du Québec et du Canada visant les pratiques d’adoption d’enfants autochtones1. Dans le cadre de ce recours, le juge Bisson devait trancher la demande de preuve appropriée des intimées, qui visait à déposer des éléments de preuve en lien avec des recours connexes, ainsi que des rapports et conventions reliés à l’historique des pratiques d’adoption. La Cour prend soin de résumer l’ensemble des critères applicables aux demandes de permission pour présenter une preuve appropriée sous l’article 574 C.p.c.2. Cette décision, qui reprend notamment les enseignements récents de la Cour d’appel dans l’arrêt Durand3, balise les limites de la preuve appropriée au stade de l’autorisation et donne une meilleure prévisibilité du point de vue stratégique à cette étape pour les parties intimées. Ce jugement est depuis couramment cité et appliqué avec une certaine constance.

2- La Cour d’appel confirme qu’il est possible de trancher une question de droit pure au stade de l’autorisation

Le 15 mars 2021, la Cour d’appel a confirmé le rejet de la demande d’autorisation intentée à l’encontre de plusieurs institutions financières et qui visait des pratiques en lien avec les dépassements de limite de crédit4. Le juge Pierre-C. Gagnon avait initialement rejeté la demande d’autorisation en déterminant que les dépassements de limite de crédit n’étaient pas une augmentation de limite de crédit.

La Cour d’appel a conclu que le juge pouvait, à l’étape de l’autorisation, trancher sur une pure question de droit dont dépendait le sort de l’action projetée, même si les faits allégués étaient tenus pour avérés. La Cour a par ailleurs statué que rien n’empêchait le juge saisi de la demande de répondre à une question de droit plus poussée, puis se livrer à une analyse juridique détaillée et exhaustive. Une « pure » question de droit ne doit pas nécessairement être simple à résoudre. À la discrétion du juge autorisateur5, certaines questions de droit plus complexes peuvent aussi être résolues même si elles nécessitent une analyse juridique détaillée et exhaustive, mais seulement dans la mesure où une preuve relevant du fond du litige n’est pas nécessaire à leur adjudication dès le stade de l’autorisation. Lire le bulletin de BLG.

3- La Cour supérieure rejette la première action collective en matière de perte de données débattue au mérite

Le 26 mars 2021, la juge Florence Lucas a rejeté la demande de M. Danny Lamoureux qui visait à obtenir compensation pour les préjudices subis en lien avec la perte d’un ordinateur portable contenant des données sensibles des usagers de la défenderesse.

La juge Lucas a déterminé que le demandeur n’avait pas fait la preuve d’un lien de causalité entre les pertes de données et les allégations de tentatives de vol d’identité présenté par les membres du groupe, notamment sur la base du fait que lesdites tentatives s’appuyaient sur des informations qui n’étaient pas en possession de la défenderesse. Par ailleurs, les membres du groupe n’ont pas fait la preuve d’un préjudice pour les fins des réclamations pour troubles et inconvénients au-delà des nuisances normales inhérentes à la vie en société. Lire le bulletin de BLG.

La Cour d’appel a tout récemment rejeté le pourvoi de M. Lamoureux. La Cour d’appel a déterminé que M. Lamoureux n’avait pas identifié une erreur manifeste et déterminante. Les conclusions de la juge Lucas s’appuyaient sur une expertise qui permettait de conclure à l’absence de lien de causalité entre les usurpations d’identités et le vol. La défenderesse avait par ailleurs respecté les meilleures pratiques dans sa réponse à l’incident, ce qui militait contre une condamnation à des dommages punitifs. Lire le bulletin de BLG.

Ce dossier est particulièrement significatif puisqu’il s’agit de la première affaire au fond sur une telle question. Aussi, nous prévoyons que les motifs de la juge Lucas et de la Cour d’appel serviront de guide pour les dossiers en matière de perte de données et de « data breach », qui ont tendance à être plus fréquents depuis quelques années.

4- Des allégations insuffisantes peuvent justifier une limitation temporelle du groupe

Le 4 octobre 2021, la Cour d’appel a autorisé une action collective à l’encontre des institutions ecclésiastiques pour les abus commis par M. Guillot dans le cadre des écoles religieuses qu’il gérait dans les années 1980 et 20006. La Cour supérieure avait initialement rejeté le recours proposé.

La Cour d’appel souligne les larges pouvoirs des tribunaux, dont le pouvoir de redéfinir le groupe si les allégations et la preuve ne reflètent pas ce qui est demandé. Aussi, dans les circonstances de cette cause, la Cour supérieure n’aurait pas dû rejeter le recours, mais plutôt redéfinir le groupe pour l’adapter aux causes d’action validement démontrées par les requérants. En l’espèce, cela se traduit par deux groupes restreints dans le temps, soit de 1982 à 1984 et de 2000 à 2015, alors que la période temporelle visée par la demande d’autorisation s’étalait de 1982 à 2015.

Cet arrêt de la Cour d’appel confirme à la fois les larges pouvoirs d’intervention des tribunaux en matière d’action collective, mais aussi de la nécessité d’analyser rigoureusement le dossier. Si les allégations donnant ouverture au recours sont incomplètes ou insuffisantes, il sera toujours possible pour le demandeur d’éviter le rejet du recours, mais au prix d’une action collective à portée plus réduite.

5- Droit de la concurrence : il faut minimalement démontrer l’existence d’un complot ou d’une entente anticoncurentielle dès le stade de l’autorisation

Le 28 juin 2021, la Cour supérieure, sous la plume du juge Donald Bisson, rejette une demande d’autorisation pour intenter une action collective contre divers acteurs impliqués dans l’industrie des puces électroniques (DRAM)7. La partie requérante alléguait la présence d’un cartel qui limitait indûment la production de DRAM et donc bénéficiait d’un prix artificiellement élevé.

Cette décision est particulièrement significative puisqu’elle consacre la nécessité de démontrer l’existence d’un complot ou d’une entente pour les fins de justifier d’une cause défendable sur la base du Code civil du Québec ou de la Loi sur la concurrence. Le juge Bisson souligne en particulier que l’existence d’un oligopole ou d’enquêtes à l’étranger ne sont pas des éléments suffisants en soi.

Ce recours vient clarifier le fardeau de la partie requérante au stade de l’autorisation, et confirme qu’il est mal avisé de s’appuyer sur des actions collectives parallèles ou des enquêtes en cours sans qu’il n’y ait de déclaration de culpabilité, d’aveux ou des éléments établissant l’existence d’une entente ou d’un véritable complot. Un recours connexe a d’ailleurs été rejeté par la Cour fédérale8.

Bulletins de BLG et autres publications

  • Centre de santé dentaire Gendron Delisle inc. c. La Personnelle, assurances générales inc., 2021 QCCA 1758 : le défaut d’alléguer l’existence d’un dommage matériel pour des réclamations d’interruption d’affaires est fatale au regard du libellé des polices. Lire le bulletin de BLG;
  • Pilon c. Banque Amex du Canada, 2021 QCCA 414 : les dépassements de limite de crédit ne sont pas des augmentations de limite non-autorisées, une pure question de droit que la Cour pouvait trancher à l’autorisation. Lire le bulletin de BLG;
  • E.L. c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 782 : la Cour d’appel se prononce sur la renonciation implicite au secret professionnel au stade de l’autorisation et conclut que la partie en demande peut renoncer à la confidentialité de ces informations lorsque l’état de santé est au cœur du litige. Le dépôt de cette preuve ne peut cependant pas être autorisé par anticipation. Lire le bulletin de BLG;
  • Alexandra Hebert, Anne Merminod et Alexis Leray, Maximus in Minimis: Damages for Stress, Worry and Inconvenience in Class Actions, Colloque national sur l'action collective – Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis (2021), Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2021, disponible pour consultation ici.

Perspectives pour 2022

1- Les recours COVID-19


Les recours en lien avec la COVID-19 n’ont pas reçu un traitement uniforme des tribunaux. Cela s’explique notamment par la décision prise par bon nombre d’entreprises de rembourser intégralement leurs clients privés d’un service ou de la livraison d’un bien en raison de la pandémie. Des pratiques qui prennent le plus souvent la forme d’un remboursement, d’une prolongation de garantie, ou d’un programme de satisfaction à la clientèle sont de plus en plus répandues. On constate qu’elles ont un impact direct sur le sort de certaines actions collectives. Que ce soit en matière d’éducation, d’assurance, de loisir, ou de gestion de la pandémie, les actions collectives proposées n’ont pas encore toutes franchi l’étape de l’autorisation alors que certaines ont été rejetées dès l’autorisation et ont fait l’objet d’un appel. L’évolution de ces dossiers sera donc à suivre de près. On constate par ailleurs que les nouveaux recours en lien avec la pandémie sont de moins en moins nombreux.

2- Vie privée et liberté d’expression au centre de l’attention


L’année 2022 pourrait être marquée par le dénouement de certains recours en matière de vie privée. L’affaire Lamoureux, soit le premier dossier qui a procédé au fond en matière de perte de données au Canada, a récemment été rejeté par la Cour d’appel. Par ailleurs, le règlement du vol de données de Desjardins est en cours d’approbation. À surveiller également : le sort qui sera réservé aux actions collectives contre des géants de l’informatique qui vont procéder cette année sur des questions d’utilisation de données ou en matière de liberté d’expression.

3- Vers une lecture plus rigoureuse des allégations de la demande d’autorisation


Le début d’année 2022 a notamment été marqué par la décision Google c. Homsy. Le juge Bisson rejette l’action collective proposée, notamment sur la base que la plupart des allégations ne pouvaient pas être tenues pour avérées car il s’agissait d’allégations générales sur le comportement des défenderesses ou d’allégations qui ne relevaient pas d’un élément factuel propre au demandeur. La preuve sous-jacente à la demande d’autorisation était par ailleurs insuffisante ou absente sur des éléments clés. S’attaquer aux faiblesses de la demande d’autorisation constitue un moyen de contestation à explorer pour la partie intimée, dans la mesure où la possibilité de s’appuyer sur une preuve appropriée, bien que très souvent permise, a cependant été limitée par la Cour d’appel dans des arrêts récents . Il sera donc pertinent de voir la portée de cette décision et de son impact sur l’autorisation dont le seuil est très bas au Québec.

4- Vers une réforme de l’action collective?


Le ministère de la Justice du Québec a lancé en 2021 une consultation publique visant à explorer des pistes de réforme pour la procédure d’action collective au Québec. Elle touche notamment le mécanisme de l’autorisation, une révision possible des critères (dont un renforcement de la règle de la proportionnalité), ainsi que la gestion de l’instance. Les intéressés avaient jusqu’au 31 juillet 2021 pour soumettre leurs observations; il est possible que le ministre de la Justice prenne éventuellement position en proposant un projet de réforme, le cas échéant. Le mémoire déposé par le Barreau du Québec dans le cadre de cette consultation est disponible ici.

5- Une accalmie de nouvelles demandes d’autorisation?


On note une diminution importante des nouvelles actions collectives introduites depuis le début de l’année 2022. Un contexte qui s’explique possiblement par le déploiement de ressources pour gérer le nombre important de recours autorisés au cours des dernières années et qui procèdent présentement au fond. Reste à savoir si cette tendance se maintiendra au cours des prochains mois.

1 Ward c. Procureur général du Canada, 2021 QCCS 109.
2 Ward c. Procureur général du Canada, 2021 QCCS 109, par. 17-20.
3 Durand c. Subway Franchise Systems of Canada, 2020 QCCA 1647.
4 Pilon c. Banque Amex du Canada, 2021 QCCA 414, demande de pourvoi à la Cour suprême rejeté, 2022 CanLII 16713 (CSC).
5 L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, par. 55; Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, par. 154; Allard c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 686, par. 27.
6 M.L. c. Guillot, 2021 QCCA 1450.
7 Hazan c. Micron Technology inc., 2021 QCCS 2710.
8 Jensen v. Samsung Electronics Co. Ltd., 2021 FC 1185.
9 Voir notamment Durand c. Subway Franchise Systems of Canada, 2020 QCCA 1647, par. 51 54; Benamor c. Air Canada, 2020 QCCA 1597, par. 44.

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