Ce que vous devez savoir
- En mars 2020, Porter a suspendu ses activités en soutien aux efforts de santé publique visant à contenir la COVID-19 et en réponse à l’effondrement de la demande pour les déplacements aériens. Porter a affirmé que la pandémie de COVID-19 constituait un événement de force majeure et a cessé de payer les frais d’aérogare mensuels à Nieuport de mars 2020 à septembre 2021, mois où la compagnie aérienne a repris ses activités à l’aéroport Billy Bishop.
- Le 19 octobre 2022, le juge Peter Cavanagh de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la pandémie de COVID-19 ne libérait pas Porter de ses obligations contractuelles et lui a ordonné de verser des dommages-intérêts de 130 M$ à Nieuport pour les frais non payés.
- La Cour a soutenu que même si Porter a été économiquement touchée par la pandémie, elle n’a pas été « restreinte » dans l’exécution de ses obligations de paiement en vertu du contrat, et sa décision de suspendre ses activités a été motivée par des considérations commerciales.
Contexte
En 2015, Nieuport a fait l’acquisition de l’aérogare passagers de l’aéroport Billy Bishop de Toronto (l’« aérogare »), où Porter exerce ses activités. Nieuport et Porter ont conclu un contrat de licence en vertu duquel Porter a accepté de payer certains frais à Nieuport, y compris des frais mensuels pour l’utilisation de l’aérogare (les « frais d’aérogare »), en échange de certains privilèges, dont le droit d’y exploiter une entreprise de transport aérien. Le nombre de créneaux horaires quotidiens attribués à Porter pour les heures de décollage était un facteur clé dans le calcul des frais mensuels.
En décembre 2018, Porter a avisé Nieuport en janvier 2020 qu’elle allait réduire, à l’aéroport Billy Bishop, son nombre de créneaux horaires quotidiens dans le cadre d’une initiative de réduction des coûts. Porter a envoyé plusieurs autres avis de renonciation à des créneaux au cours de l’année qui a suivi. Nieuport a contesté ces avis et maintenu que Porter continuerait d’être responsable de payer les frais d’aérogare pour ses 172 créneaux tout au long de 2020.
Puis, le 18 mars 2020, Porter a annoncé publiquement qu’elle allait suspendre ses activités le 20 mars suivant en soutien aux efforts de santé publique visant à contenir la COVID-19 et en réponse à une baisse précipitée de la demande pour les déplacements aériens. Porter a ensuite informé Nieuport de sa position selon laquelle la pandémie de COVID-19 constituait un cas de force majeure aux termes du contrat de licence. Bien que Nieuport ait contesté le fait que la pandémie de COVID-19 constituait un événement de force majeure, Porter a cessé de payer les frais d’aérogare mensuels à Nieuport du 1er mars 2020 au 8 septembre 2021, date à laquelle la compagnie aérienne a repris ses activités à l’aéroport Billy Bishop.
Porter a intenté une action contre Nieuport, qui a à son tour présenté une demande contre Porter. À la fin de 2021 et au début de 2022, l’action de Porter et la demande de Nieuport ont été traitées ensemble lors d’un procès hybride de quatre semaines devant le juge Cavanagh du rôle commercial de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario
Le 19 octobre 2022, le juge Cavanagh a rendu une décision de 99 pages en faveur de Nieuport. Un certain nombre de questions contractuelles étaient en litige entre les parties, mais les principales étaient 1) la base selon laquelle Porter était tenue de payer les frais d’aérogare mensuels en vertu de son contrat de licence avec Nieuport, et 2) l’incidence de la crise de santé publique liée à la COVID-19 sur les droits et obligations contractuels des parties aux termes du contrat de licence.
L’attribution des créneaux horaires
L’une des principales questions en litige entre les parties était la base sur laquelle calculer les frais d’aérogare mensuels de Porter. En vertu du contrat de licence, un élément clé du calcul des frais d’aérogare est l’attribution du transporteur (Carrier’s Allocation), un terme défini qui renvoie au nombre de créneaux horaires quotidiens attribués à Porter par PortsToronto, propriétaire et organisme de réglementation de l’aéroport Billy Bishop.
Nieuport a fait valoir que le terme devait être interprété comme signifiant un nombre fixe et entier de créneaux horaires quotidiens. La position de Porter était qu’il pouvait s’agir d’un nombre fractionnaire et que ce nombre pouvait varier d’un jour à l’autre et être exprimé sur une base moyenne quotidienne. Chaque partie a présenté des preuves de témoins de faits et d’experts pour appuyer son interprétation.
Le juge Cavanagh a appliqué les principes d’interprétation contractuelle énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp. en tenant compte des preuves exhaustives et des circonstances présentées par les deux parties. Au bout du compte, il a accepté l’interprétation de Nieuport. Porter est tenue de payer des frais d’aérogare selon un nombre constant de créneaux quotidiens qui se répètent au cours d’une année civile et qui lui sont réservés. Comme il a conclu que le contrat de licence n’était pas ambigu, le juge Cavanagh a statué que la preuve de la conduite ultérieure des parties était inadmissible conformément à la décision de la Cour d’appel dans Shewchuck v. Blackmont Capital Inc.
Le juge Cavanagh a également estimé que Porter était tenue de demander à PortsToronto un nombre réduit de créneaux quotidiens. Comme Porter ne l’avait pas fait, aucune réduction n’avait été apportée. Porter était donc dans l’obligation de payer des frais d’aérogare mensuels sur la base de son attribution complète de créneaux.
La pandémie de COVID-19
Porter a avancé deux théories afin d’expliquer pourquoi elle avait droit à une exonération en raison de la pandémie de COVID-19 :
- D’abord, elle a soutenu que la pandémie entrait dans la portée de la clause de force majeure du contrat de licence et la libérait ainsi de ses obligations i) de payer les frais d’aérogare, et ii) d’aviser Nieuport de son intention de réduire le nombre de créneaux horaires.
- Ensuite, elle a également fait valoir que le contrat de licence exigeait que Nieuport agisse raisonnablement dans l’exercice de ses droits contractuels, et qu’il était déraisonnable pour Nieuport d’exiger le paiement des frais d’aérogare et de les majorer pendant la pandémie. À titre subsidiaire, Porter a soutenu qu’il était déraisonnable pour Nieuport d’exiger le paiement de la totalité des frais d’aérogare alors que les activités de Porter étaient suspendues.
La clause de force majeure
Porter s’est appuyée sur la clause suivante du contrat de licence pour se décharger de ses obligations de payer les frais et de donner un préavis pendant la pandémie :
[TRADUCTION] 5.1 Force majeure
- Si et dans la mesure où l’une des parties est de bonne foi dans l’incapacité de remplir ses obligations en vertu du présent contrat de licence ou qu’elle est retardée ou restreinte dans sa capacité de remplir ses obligations, cette partie sera libérée d’une partie des obligations touchées pour la durée de l’événement de force majeure.
- Nonobstant un événement de force majeure, la partie concernée procédera à l’exécution de ses obligations non touchées.
La Cour a noté qu’il incombait à Porter de prouver qu’elle tombait sous le coup de la clause de force majeure, et que l’application d’une telle clause dépendait des termes particuliers de la clause en question. En l’espèce, la question était de savoir si Porter avait été incapable de remplir ses obligations ou encore si elle avait été retardée ou restreinte dans l’exécution de ses obligations, soit 1) payer les frais d’aérogare et 2) donner un préavis de 12 mois avant de réduire son nombre de créneaux horaires en raison de la pandémie ou de la réponse du gouvernement à celle-ci. Porter a soutenu qu’elle était « restreinte » dans sa capacité de payer les frais d’aérogare puisqu’elle ne gagnait aucun revenu pour les payer, et qu’elle était « restreinte » dans sa capacité de donner un préavis puisqu’elle ne pouvait pas prévoir avec exactitude la demande pendant la pandémie.
La Cour a commencé par examiner les preuves des répercussions de la pandémie de COVID-19. Elle a accepté la preuve d’expert de l’incidence majeure de la COVID-19 sur l’économie de l’industrie aérienne, et le fait que les voyages d’affaires – le principal secteur d’activité de Porter – aient été particulièrement touchés et devraient être les plus lents à se rétablir. Elle a toutefois rejeté l’argument de Porter selon lequel elle n’était pas en mesure de fonctionner pendant la pandémie, estimant plutôt que la décision de Porter de suspendre ses activités était un choix motivé par des considérations commerciales.
La Cour a cité le juge Dickson dans l’affaire Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Co., qui a expliqué qu’« une clause de force majeure qui dispense une partie de l’exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, sur lequel les parties n’ont aucun contrôle et qui rend l’exécution du contrat impossible, s’applique généralement lorsque cet événement est inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable ». Elle a examiné la jurisprudence, selon laquelle les parties ne peuvent généralement pas se soustraire à leurs obligations contractuelles de paiement simplement parce que les conditions ont changé et ont rendu le contrat économiquement désavantageux ou non rentable plutôt qu’impossible à respecter. La Cour a trouvé que la jurisprudence est claire : le fait qu’une obligation contractuelle soit devenue plus coûteuse, voire énormément plus coûteuse, à exécuter n’est pas un motif pour libérer une partie de ses obligations pour cause de force majeure.
Elle a noté que la définition de la force majeure dans le contrat de licence exigeait que l’événement fasse en sorte que la partie soit incapable de respecter son obligation ou qu’elle soit retardée ou restreinte dans l’exécution de son obligation. En l’occurrence, comme la pandémie et les mesures prises par le gouvernement n’ont pas empêché Porter de remplir ses obligations de payer les frais d’aérogare ou de donner un préavis, la clause n’a pas été jugée exécutoire. En fin de compte, la Cour a soutenu que même si Porter a été touchée par la pandémie, sa décision de suspendre ses activités était motivée par des considérations commerciales, principalement la baisse des revenus causée par un effondrement de la demande.
L’obligation pour Nieuport d’agir raisonnablement
L’alinéa 6.22(b) du contrat de licence prévoit que Nieuport agira à tout moment de manière raisonnable dans l’exercice de ses droits et obligations en vertu du contrat. Porter a fait valoir qu’il était déraisonnable pour Nieuport d’exiger le paiement de la totalité des frais et de les majorer en contexte de crise sanitaire mondiale, car cela poussait effectivement Porter à exercer ses activités alors qu’il n’était pas sécuritaire ou conseillé de le faire.
La Cour a encore une fois rejeté l’argument de Porter. La position de Porter signifierait qu’à tout moment pendant la durée du contrat de licence, la Cour pourrait être appelée à déterminer si les frais d’aérogare sont raisonnables et, dans la négative, à fixer des frais raisonnables. Les parties auraient pu inclure une clause de rajustement des prix leur permettant de revoir les frais en cas de changement des circonstances, mais elles ne l’ont pas fait. En l’absence d’une telle clause, on ne peut pas dire que Nieuport a agi de manière déraisonnable en exerçant son droit d’exiger le paiement des frais et de les augmenter automatiquement le 1er janvier de chaque année.
Points à retenir
La décision rendue dans Porter Airlines nous rappelle que les parties ne peuvent généralement pas invoquer des clauses de force majeure pour se soustraire à leurs obligations contractuelles de paiement simplement parce que les conditions ont changé et ont rendu le contrat économiquement désavantageux ou non rentable plutôt qu’impossible à respecter. Dans chaque dossier, cependant, le résultat dépendra du libellé de la clause de force majeure et de la question de savoir s’il est possible d’avancer que les parties avaient l’intention de transférer le risque et d’accorder une exonération dans les circonstances.