Sur le radar : Perspectives juridiques relatives aux véhicules autonomes

POINT DE VUE

Des guerres de brevets pour véhicules autonomes poindraient-elles à l'horizon?

Les brevets se retrouvent souvent au cœur de litiges aux enjeux de taille. Bien que les opinions divergent quant à l’origine des guerres de brevets pour le téléphone intelligent, on estime que c’est la poursuite de Nokia contre Apple en 2009 qui a marqué le début de cette période conflictuelle non encore révolue. Ainsi, en mai 2018, après 7 ans de litige, Apple a obtenu 539 M$ en dommages-intérêts de la part de Samsung.

Cette tendance s’étendra-t-elle aux véhicules autonomes? Compte tenu de la vague des technologies sans fil qui gagne les industries de l’automobile et des appareils mobiles et du penchant pour le litige de certains propriétaires de la technologie, les observateurs craignent que les guerres de brevets dans l’industrie des véhicules autonomes (VA) ne soient inévitables.

Lors de l’événement Auto IP USA qui s’est récemment tenu à Detroit, des spécialistes de l’industrie automobile et d’autres secteurs ont discuté de collaboration et de réussite dans le domaine de la propriété intellectuelle (PI), et certaines questions soulevées à cette occasion font l’objet du présent article.

Lorsque Détroit rencontre la Silicon Valley

[Traduction] « Si le secteur du pneu est perturbé, il en sera probablement de même pour le vôtre. »
John Woods, directeur administratif, Innovation et collaboration, Bridgestone Americas Inc.

Les relations d’affaires des grands constructeurs automobiles américains, dont la propension au statu quo témoigne d’une aversion pour les contestations de brevets, sont marquées par une culture de tradition. Toutefois, les acteurs de Detroit ne sont pas les seuls à s’asseoir à la table des négociations entourant les VA. On a souvent attribué l’arrivée de la Sillicon Valley sur ce marché et le coup d’envoi de la révolution des VA au projet de véhicule sans chauffeur de Google, enclenché en 2009. Comme l’a indiqué Frank A. Mackenzie, avocat-conseil principal en PI de Ford Global Technologies, LLC, [Traduction] « [s]ans l’entrée en scène de Google dans ce secteur, nous ne parlerions pas de véhicules autonomes en ce moment. »

Dépôts de brevets dans l’espace des VA

Le nombre de dépôts de brevets aux États-Unis qui ont trait aux véhicules autonomes (provenant à la fois de sociétés de Detroit et de la Silicon Valley) a considérablement augmenté au cours des 10 dernières années. Ce courant à la hausse contraste avec la tendance relativement stable, quoique déclinante depuis quelques années, de l’ensemble des dépôts de brevets au pays de l’oncle Sam.

Si les brevets de dessin ont joué pour beaucoup dans les guerres de brevets visant les téléphones intelligents, le nombre de dépôts de brevets de ce type demeure infime pour ce qui touche les véhicules autonomes. Ceci est peut être dû à l’intérêt que portent pour l’instant les constructeurs de VA à la technologie plutôt qu’à l’esthétique, laquelle pourrait ultérieurement faire l’objet d’une attention plus appuyée.

Partage de technologies et concession de licences

Dans « All Our Patent Are Belong to You », célèbre lettre qu’il a publiée le 12 juin 2014, Elon Musk promet que [Traduction] « Tesla n’intentera aucune action en violation de brevet contre toute personne qui, de bonne foi, veut utiliser notre technologie ». On s’est alors demandé s’il cherchait à faire un coup de publicité ou s’il s’efforçait sincèrement de faire preuve de grandeur d’âme en faisant un pas vers la technologie à source ouverte pour ce qui est des véhicules électriques de Tesla.

Tesla compte parmi les membres du LOT Network, dont font partie Google, Ford, GM, Uber et d’autres grands constructeurs automobiles et importantes sociétés de haute technologie. Ce réseau offre une entente de cession de licence (license on transfer ou LOT) visant à réduire le nombre de contestations présentées par des chasseurs de brevets (patent assertion entities) qui tirent plus de 50 % de leur produit brut de cette activité. La licence entre en vigueur dès que les droits de brevet appartenant aux membres du LOT Network sont vendus à ces entités, qui ne peuvent ainsi opposer aucun droit de brevet acquis contre eux. À noter que le LOT Network estime que ces entités sont responsables d’environ 84 % des contestations de brevets concernant la haute technologie aux États‑Unis.

D’autres entités nouvelles et existantes qui accordent des licences, dont Avanci, Via Licensing et Nokia, concentrent leurs activités sur l’octroi de licences pour des brevets de technologies sans fil et de communication qui font partie intégrante des nouveaux espaces créés par l’Internet des objets (IdO) et les VA.

Pramath Malik, vice-président, Développement des affaires de la société d’analyse de brevets de Dolcera, a posé une question pertinente au sujet de l’octroi de licences : [Traduction] « [c]omment la première société qui tente de concéder une licence pour son portefeuille s’y prendra-t-elle si elle bat de l’aile? ».

Qui règle la note?

[Traduction] « Les solutions en matière d’octroi de licences entre le secteur du sans-fil et l’industrie automobile sont complexes en raison des divergences de vues sur la PI et des différences qui existent dans la chaîne d’approvisionnement. Comment tarifer la PI et prévoir une indemnisation pour une unité de contrôle télématique en obtenant quand même des marchés? »
Luke McLeroy, vice-président, Développement des affaires, Avanci

Traditionnellement, les équipementiers automobiles exigent et obtiennent souvent une indemnisation pleine et entière de la part de fournisseurs. Toutefois, étant donné l’accentuation des tensions qui s’exercent sur les redevances ayant trait à la connectivité sans fil et à d’autres innovations de haute technologie, il se peut que le statu quo de l’indemnisation pleine et entière ne soit pas possible dans le cas des véhicules autonomes.

Aux États-Unis, les avis concernant les redevances sur les brevets essentiels qui ont trait aux technologies sans fil s’avèrent pour le moins partagés dans le domaine de la concession de licences. Les droits rattachés à ces brevets sont concédés sous licence à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (Fair, Reasonable and Non-Discriminatory, « FRAND »). Cependant, comme l’a indiqué John S. LeRoy, actionnaire de Brooks Kushman PC, [Traduction] « la redevance totale à verser pour doter un véhicule de la technologie 4G/LTE est d’environ 30 $, mais le coût des pièces est de 15 $, de sorte que la redevance exigée représente 200 % du coût de la technologie. La redevance devrait-elle coûter plus cher que la technologie elle-même? ». Compte tenu de la chaîne d’approvisionnement à plusieurs niveaux de l’industrie automobile, qui réglera la note de ces licences et comment devrait-on la partager?

Conclusion

Le nombre de contestations de brevets visant les VA demeurant contenu pour le moment et celui des dépôts liés à ces mêmes véhicules ne semblant pas vouloir diminuer, certaines questions pertinentes se posent.

  • De quelle façon calmera-t-on les inquiétudes que suscitent l’indemnisation et l’octroi de licences au sein de la chaîne d’approvisionnement automobile?
  • Que faut-il penser des tensions qui s’exercent sans relâche sur les taux de redevance?
  • Dans quelle mesure les différences culturelles entre Detroit et la Silicon Valley joueront-elles sur les pourparlers en matière de partenariats et d’octroi de licences?

Les guerres de brevets pour la téléphonie intelligente ont commencé après que les fabricants du monde entier eurent connu passablement de succès et enregistré des ventes appréciables dans une industrie arrivée à maturité; le marché des VA, quant à lui, n’en est qu’à ses balbutiements (malgré un marché de l’automobile globalement très mûr). Étant donné les enjeux élevés et la croissance phénoménale prévue dans l’industrie des VA ainsi que l’importance de la PI, la question n’est pas tant de savoir si des poursuites en violation de brevets liés aux VA suivront, mais plutôt à quel moment et sous quelle forme elles apparaîtront.

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